Rendre l'Évangile « présent » au sein de la culture en étant soi-même présent, sans hostilité, proche d’autrui et y quémandant l'hospitalité
L’accueil de l’étranger, comment est-il vécu dans les quartiers où nous vivons ? Dans les Églises que nous fréquentons ?
Je me pose cette question alors que je viens de rédiger une affiche (photo ci-dessus) pour la paroisse Saint-Maurice de Lyon 8ème : « Messe (eucharistie) de rentrée » où le groupe Passage-Monplaisir présente son appel à accueillir tous migrants.
Christoph Theobald signale l’alternative : « hospitalité ou empathie avec autrui ». Voir la page précédente.
Je continue la lecture de son texte. En quoi, l’Église d’aujourd’hui, ses membres qui vivent sur un terrain particulier, vivent-ils d’un style précis qui soit accueil de l’autre, des autres. Les guerres dont on parle ne peuvent que nous plonger dans la désespérance. Et pourtant, l’Esprit nous pousse à toujours croire que le Mauvais ne peut vaincre. « Parler de sainteté hospitalière ou d'hospitalité sainte laisse donc paraître le versant humaniste de l'Évangile de Dieu. »
Christoph Theobald :
2. On aura compris, je l'espère, l'enracinement profond de ce style dans notre humanité, confrontée inévitablement à la distinction entre un «chez soi» ou un «chez nous» - l’espace d'intimité dont nous avons tous besoin pour vivre - et un «ailleurs» qui est autre - l'espace d'autrui, son « chez soi» ou leur «chez eux» -; ce qui suppose des frontières et des barrières de toutes sortes, pose la question : comment les traverser ? et suggère l'issue de l'hospitalité. Parler de sainteté hospitalière ou d'hospitalité sainte laisse donc paraître le versant humaniste de l'Évangile de Dieu, ces «lieux» au sein de nos sociétés et sur notre planète où, dans nos éthiques humaines et dans nos conditions souvent difficiles, peut émerger ce qui relève d'une gratuité inconditionnelle et d'une liberté à proprement parler théologale.
Nous retrouvons ici les trois «sentiments», évoqués par le pape François au début de son discours de Florence pour présenter certains traits de ce nouvel humanisme chrétien : l'humilité, le désintéressement et la béatitude. Les deux premiers se réfèrent à l'exhortation qui, chez l'apôtre Paul. précède l'hymne christologique de la lettre aux Philippiens ; "hymne du périple du Christ Jésus que le pape introduit au départ pour orienter le comportement des chrétiens, les invitant à contempler son visage: «Le visage d'un Dieu "vidé" qui a revêtu la condition de serviteur, humilié et obéissant jusqu'à la mort (Ph 2, 7).» Il s'agit d'« attitudes» relationnelles ou hospitalières : «Ne faites rien par rivalité, rien par gloriole» - nous connaissons bien ces ressorts profonds - «mais, avec humilité, considérez les autres comme supérieurs à vous» - ce qui est à la base du geste hospitalier. «Que chacun ne regarde pas à soi seulement, mais aussi aux autres » - c'en est la condition élémentaire - (Ph 2, 3-5). Humilité et sortie du narcissisme autoréférentiel, ces deux caractéristiques de la sainteté hospitalière sont enfin couronnées par un troisième sentiment, la béatitude; à savoir une joie et un bonheur, acquis sur un chemin balisé par les «béatitudes», mais récompensé par la joie, comme celle - ai-je envie d'ajouter - qui surgit au moment où Zachée accueille Jésus dans sa maison. Le pape François a explicité ces quelques traits de l'humanisme chrétien dans son Exhortation apostolique Gaudete et exultate (2018 ; Mt 5, 12) où l'on retrouve non seulement les deux grandes tentations qui guettent le style chrétien, celle du pélagianisme et celle du gnosticisme, mais aussi un long commentaire des Béatitudes. Déjà dans son discours florentin, il parle de «la partie la plus humble de notre peuple» où «il y a beaucoup de cette béatitude : c'est celle de ceux qui connaissent la richesse de la solidarité, du partage même du peu que l'on possède, etc.»; nous pourrions ajouter la béatitude qui émerge dans nos expériences d’hospitalité, particulièrement fréquentes dans les milieux populaires. L’Exhortation Gaudete et exultate prolonge cet intérêt pour ce qui se passe dans la pénombre de toute vie quotidienne, parlant des «saints de la porte à côté».
On pourrait penser que ces trois « attitudes » ne concernent que la communauté chrétienne ; ce qui semble être le cas dans la lettre aux Philippiens. Mais dans son discours de Florence, le pape François dit explicitement : «Une Église qui présente ces trois traits - humilité, désintéressement, béatitude - est une Église qui sait reconnaître l'action du Seigneur dans le monde, dans la culture, dans la vie quotidienne des gens.» Nous touchons ici à un aspect fondamental de l'enseignement pontifical qui ne milite pas seulement en faveur d'un « humanisme chrétien» mais voit déjà naître, au sein de nos sociétés, un «nouvel humanisme», ou, pour le dire autrement, ne se contente pas d'une Église qui offre hospitalité à tous mais l'invite aussi à rendre l'Évangile de Dieu « présent » au sein de la culture, s'y rendant elle-même «présente» et y quémandant l'hospitalité. De cette inversion, il sera maintenant question dans la dernière partie de ce chapitre. Rendre l'Évangile « présent »…