Rendre l'Évangile « présent »... au sein de la culture et dans la vie quotidienne des gens. « Vous serez mes témoins ».
à propos de l'illustration se rendre ici
« La forme plurielle souligne le caractère communautaire-ecclésial de l'appel missionnaire des disciples »
De mes lectures, réflexions et médiations de ce mois d’août à Limonest, maison du Prado, j’ai choisi quelques pages qui peuvent servir de base à une réflexion de disciple missionnaire du Christ. En un sens, je les destine à un éventuel groupe de réflexion ecclésiale. Recevoir, vivre de l’Évangile pour donner à voir le Ressuscité : Christ Jésus. Il serait question de déterminer, très concrètement, quels gestes nous pourrions poser pour rendre présent la Bonne Nouvelle du Christ dans nos quotidiens.
N’est-il pas demandé d’ouvrir davantage les paroisses à la Mission ? « L'identité de l’Église, écrit François, est d’évangéliser. »
Je continue donc la lecture du livre de Ch. Theoblad, Le courage de penser l’avenir, en me disant que ce serait profitable de se retrouver chez moi à plusieurs pour en parler. Candidats à ce partage, faites-vous connaître ! Pour voir la première page, venir ici.
Christoph Theobald :
<< Fort de ce qui vient d'être dit du «christianisme comme style», (voir, par exemple ici ) nous pouvons maintenant revenir aux deux versants du diagnostic : à ce qui a été dit de nos fragiles itinéraires individuels et de nos sociétés en manque de confiance. On ne peut pas nier que la culture contemporaine, formée de multiples microcultures, a pris des distances importantes par rapport au christianisme et à l'Église. Constatant son « exculturation», les sociologues distinguent aujourd'hui plusieurs types de rapport à la tradition chrétienne, parlant par exemple d'un christianisme patrimonial ou d'un christianisme de folklore à côté d'un christianisme éthique de valeurs, types d'appartenance qui marginalisent de plus en plus le christianisme ecclésial, voire théologal. Il convient du coup de distinguer plus nettement la foi au Christ Jésus des «christiens» que nous sommes de ce que j'ai appelé, dans mon diagnostic, «foi élémentaire» ou «confiance élémentaire» sans lesquelles ni un individu ni une société ne peuvent subsister. La foi chrétienne s'inscrit en quelque sorte dans la «foi élémentaire»; devant être «autorisée» de l'extérieur et de l'intérieur, elle relève d’une même structure humaine que la « foi élémentaire». Mais elle se situe à la suite du Christ Jésus, le «Saint de Dieu», et ne peut maintenir sa spécificité christique en dehors d'une « présence» ecclésiale au service de quiconque et de la société, en faveur de leur confiance et de leur foi élémentaire en la vie ; « présence» hospitalière dont il vient d'être question.
Il faut rappeler ici prioritairement ce qui a été dit plus haut du régime de « gratuité » inconditionnelle qui est le cœur même de toute hospitalité. Un nouvel humanisme comme ressort intime de notre culture ne se crée pas de toutes pièces et de manière volontariste. L'Évangile ne peut jamais être rendu présent à la manière d'un «implant»; cela serait ajouter de la violence à la violence qui traverse nos cultures et y produit des ilots idéologiques de crispation face à la crise de confiance que vivent les individus et la société tout entière. La manière du Christ Jésus en Galilée est plutôt l'offre gratuite d'une hospitalité quotidienne et, davantage encore, la demande humble et désintéressée d'hospitalité, confiante en ce que la confiance engendre de la confiance et libère les forces créatrices du vis-à-vis; ce qui a été déjà repéré plus haut comme signe discret de la présence de l'Esprit.
Plusieurs champs de notre vie quotidienne et de la culture contemporaine peuvent ainsi être irrigués par la « présence» de l'Évangile. J'en distinguerai deux types, m'inspirant de la distinction du pape François entre une « crise anthropologique» et une crise « socio-environnementale» : le premier terrain, ce sont nos espaces de socialisation humaine et le second. l'inextricable lien entre notre inhospitalité par rapport aux exclus et le refus de l'hospitalité que notre terre continue silencieusement à nous offrir.
1. Une «présence» gratuite des chrétiens auprès de leurs concitoyens peut avoir un impact important sur le climat global de la société et rétablir la confiance. Il faut cependant avoir à l'esprit que la confiance prend naissance dans des groupes relativement réduits, qu'elle est appelée à mûrir dans la rencontre de l'autre et grâce à la possibilité d'exercer sa raison critique dans les échanges, dans les débats aussi rudes soient-ils, et dans la délibération commune.
Le tout premier lieu de formation de la confiance est la famille. On peut certes réfléchir à la crise qu'elle traverse et, antérieurement, à celle du mariage. On peut alors évoquer la «culture du provisoire» et le manque de confiance en l'avenir qui entrainent la difficulté de s'engager, etc. On peut au contraire s'en tenir à la position pragmatiste du droit actuel qui consiste à constater simplement les séparations et à protéger la partie la plus faible, surtout l'enfant. Mais au lieu de s'aligner uniquement sur des raisonnements de type statistique qui ne cessent d'observer l'augmentation du nombre des divorces et le recul de la natalité en beaucoup de pays européens, ne convient-il pas de mettre collectivement davantage en valeur ce qui continue de se jouer en profondeur : la joie éprouvée lorsqu'une nouvelle génération advient et qu'elle est «engendrée» à la confiance en l'avenir?
Ou encore de provoquer nos sociétés à reconnaître avec davantage de modestie qu'elles sont les héritières des générations précédentes et invitées à livrer aux générations nouvelles - avec créativité - ce qu'elles ont reçu ? C'est toute cette responsabilité historique, liée à la suite des générations, qui fait défaut aujourd'hui, laissant la place à un « présentisme » très nocif à la formation d'une confiance collective.
C'est l’école et plus globalement l'ensemble des processus de première formation, primaire, secondaire et universitaire, qui, pour une large part, prennent le relais de la famille. Nos sociétés investissent beaucoup d'énergie dans l'instruction de leurs jeunes membres pour les amener à devenir adultes et responsables de leur existence ; mais sont-elles suffisamment attentives à la formation de la confiance en l'avenir comme ciment spirituel du vivre-ensemble et de la vie bonne tout simplement ? Certes, l'échec scolaire et universitaire suscite beaucoup de réflexions et d'aménagements concrets, l'orientation des plus jeunes, ainsi que l'entrée dans la vie professionnelle, étant devenues des préoccupations constantes. Mais il n'est pas sûr que nos sociétés soient bien conscientes que leur système d’évaluation et de sélection des plus forts et de la valorisation de l’hyperactivité (souvent téléguidé par le libéralisme économique) a un impact profond sur la formation de tous les enfants et les jeunes, en prenant le risque de les priver du dynamisme spirituel d’une véritable confiance en l'avenir. C'est un château de cartes qui se construirait ainsi, si cette tendance prenait le dessus en laissant une partie de la jeunesse à la porte, sans souci de tisser un climat de confiance qui, seul, permet de se tenir ensemble, capables d'affronter toutes les épreuves.
Et l'apprentissage d'une culture démocratique et laïque ? Comment former non seulement le sens de l'égalité de tous et de la justice, mais aussi l'art du débat, de la délibération et de la décision collective ? On peut se demander si, dans la situation de crise du vivre-ensemble quasi permanente que traversent actuellement nos pays européens et leurs institutions, une attention aux «microclimats» n'est pas la toute première voie possible. Car c'est au niveau le plus élémentaire, surtout des communes, que la non-transparence et le schisme entre la population et ses dirigeants peuvent être plus aisément réduits, des osmoses entre associations et monde politique être favorisées, et l'intérêt pour le bien commun et la chose publique plus facilement suscité. À condition cependant que les acteurs locaux, politiques et sociaux soient plus proches de la vie quotidienne des citoyens, crédibles dans leur vie personnelle, détachés de leur propre carrière et capables d'intéresser tous leurs concitoyens au débat sur les questions qui les concernent tous, bref, qu'ils soient des femmes et des hommes qui parlent et agissent avec «autorité».
Redisons qu'aucune parole ecclésiale, prononcée à partir d’une position surplombante, ne peut susciter cette confiance. Comme sur le plan individuel, la confiance advient à la fois de l’extérieur et de l'intérieur de nos corps sociaux et de leurs institutions. D’où la nécessité d'une présence hospitalière des « disciples-missionnaires » dans leurs propres familles, dans les écoles et institutions de formation, dans la vie associative et politique, etc. Ils y sont à la même enseigne que tous les parents, éducateurs, acteurs sociaux et politiques: c'est leur crédibilité qui emportera la conviction, et sans doute leur joie, non pas d'avoir été couronnés un jour de succès, mais de voir nos sociétés et institutions retrouver confiance en elles-mêmes et en leur capacité d’affronter collectivement un avenir incertain. >>
Pages 224-227