Pauvreté subie, sobriété choisie. L’histoire d'un vieux Kabyle, Belkacem, qui est pour moi un grand ami, guide ma vie ! Fidélité à Dieu.

Publié le par Michel Durand

Photo d'un homme Kabyle en tenue traditionnelle : photo de Roland Bonaparte 1889, coloriée je pense

Photo d'un homme Kabyle en tenue traditionnelle : photo de Roland Bonaparte 1889, coloriée je pense

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Le Comité de rédaction de la revue du Prado, Quelqu’un parmi nous, voulant marquer le 100e anniversaire de sa parution, s’est engagé à lire des articles des années précédentes. Le bénéfice de ces lectures fut de constater que la priorité : donner la parole aux « petits », aux pauvres, aux éloignés de l’Évangile fut bien respecté.

Aujourd’hui, alors que l’on parle de plus en plus de sobriété, soit par contrainte économique, soit par choix de vie pour mettre en place en tout lieu une réelle décroissance productiviste pour plus de spirituel, il est bon d’entendre les récits qui évoquent que des gens très pauvres gardent tout le bonheur de vivre. Telle est la leçon que je retire de cet article : Lettre de Kabylie qu’un membre du Comité a lu avec grand bonheur. Ce récit nous conduit en janvier 1973.

 

Lettre de Kabylie

Bien Chers Amis,

« Quelqu'un parmi nous » m'arrive en général, dans un coin de Kabylie où j'habite et travaille depuis bientôt quatre ans.

Et, l'envie me prend, en recevant ce dernier numéro, de communiquer un peu avec vous, puisque vous travaillez à faire entendre la voix des plus déshérités ; de ceux que souvent on préfère ignorer !

Moi, j'aimerais bien un numéro sur cette vertu merveilleuse qui se nomme fidélité. C'est elle qui guide les hommes, les aide à sortir d'eux-mêmes, leur donne l'audace de se lancer quelquefois dans l'inconnu... sans trop de prudence, ou de réflexion !

Bien sûr c'est éprouvant d'être fidèle au but choisi... Il faut d'abord connaître ce but... et en avoir un !

L'histoire d'Abraham guide souvent ma vie, elle est si belle ! Sa fidélité à Dieu, lui a fait tout oser !... sans comprendre. Quel exemple !

Je pourrais écrire un volume sur la vie de mes frères Algériens, sur la vie de ceux qui m'entourent, « les petits »... les « bien-aimés du Seigneur » !

Il me semble (mais je me trompe peut-être ?), qu'en fait, peu souvent, il est question dans notre revue de ces trois quarts de l'humanité qui meurt de faim (et ce n'est pas un vain mot !).

Je pense aussi à cette grande humiliation qui est pour les hommes, le manque de travail !

Bien sûr, chacun a « ses problèmes », « ses cas »... Il faut bien vivre là où le Seigneur nous a placé, faire face à notre présent personnel !

Mais, je crois qu'il y a un devoir de justice à se documenter, à s'ouvrir aux autres, à connaître les aspirations et les besoins du monde entier... Peut-être même à être inventif ? ingénieux ? Notre esprit et notre cœur doivent s'ouvrir aux souffrances de nos frères moins favorisés que nous ! Que soit un peu présente à nous tous la misère de ceux qui manquent de pain, d'instruction, d'amitié, de spiritualité… !

Pour terminer, je dois ajouter que chaque jour j'apprends beaucoup de ceux qui m'entourent. L'histoire d'un vieux Kabyle, Belkacem, qui est pour moi un grand ami, guide souvent ma vie !

Et je dis : « Seigneur donne-moi la patience de Belkacem ! son espérance, sa générosité, sa persévérance, sa bienveillance, sa magnanimité, sa sérénité et sa confiance en Dieu ! »

Une demi-heure d'avion sépare Alger de Marseille, il y a vraiment trop de différence entre ceux qui naissent d'un côté ou de l'autre de la Méditerranée, ne trouvez-vous pas ?

Suzanne

 

Merci à Suzanne de nous provoquer à faire une revue plus internationale. Son vœu rejoint exactement notre projet et le voici exaucé avec ce numéro.

La revue rejoint plusieurs dizaines de pays, et spécialement des pays du Tiers-Monde. Et comme elle est composée par les lecteurs, aux lecteurs eux-mêmes à en tirer la conclusion ! Qu'ils écrivent donc ! Ou, le mieux, qu'ils fassent parler, pour nous, les hommes de ces pays !

 

Voici la belle histoire de Belkacem, qui est une histoire de fidélité.

Elle se passe dans une tribu Kabyle où j'ai tenu un petit dispensaire (précise Suzanne).

Belkacem est un vieux Kabyle ; il a un turban, un burnous, une grande barbe blanche, et un nez crochu. Il a surtout des yeux qui ressemblent à de petites étoiles quand il sourit ! — Il vient régulièrement tous les matins, se faire mettre deux gouttes dans les yeux, car il est presque aveugle.

Un après-midi, comme d'habitude, je pars avec ma boîte faire quelques piqûres dans les villages de montagne qui sont sur mon secteur. Tout à coup, le ciel se voile, et brusquement une pluie torrentielle se met à tomber... J'ai juste le temps de me précipiter sous le porche d'une masure et je me trouve nez à nez avec... Belkacem et son âne. Heureux tous les deux de cette rencontre !

Je me trouvais chez lui sans le savoir. « Entre, entre » me dit-il, « la vieille va te faire quelque chose de chaud ! » La vieille, en rentrant, je ne la voyais même pas !... et puis, dans l'obscurité, j'ai vu un petit tas sombre à côté de son « Kanoun » (petit trou dans le sol où l'on fait la braise). On ne s'est rien dit, car la vieille ne parle pas français.. mais je sais depuis longtemps, que sans se parler on peut très, bien se.comprendre... en se regardant !

C'est alors qu'assis par terre, autour du Kanoun, Belkacem m'a raconté, en souriant, comme si c'était la chose la plus naturelle, l'histoire de sa vie.

« Je n'ai eu qu'un fils, il est même allé à l’école ! A dix-huit ans, il est parti en France travailler, il avait de l’ambition ; ici il n'y avait pas de travail… Il revenait nous voir tous les deux ans, de temps en temps on avait des nouvelles. C'est un bon fils ! Et puis, un jour, il s'est marié, avec une Française. Ils sont venus tous les deux après leur mariage, pour les vacances. Mais la jeune femme n'a pu vivre comme nous... Ils sont repartis au bout de deux jours ! C'était normal, me dit-il, elle n'avait pas les mêmes habitudes que nous (coucher par terre, etc.).

Il y a maintenant dix huit ans de cela ! Ils ne sont pas encore revenus ! « Pourtant, tu vas voir », me dit-il. Au-dessus de cette pièce, j'ai construit .une chambre pour elle... (et je pense que pour faire cela, ses petites-économies, et les quelques bijoux d'argent de la vieille y sont passés, car ils sont très pauvres).      

« Viens voir ! » — J'ai escaladé un mur, et en effet, posé comme un cube au-dessus de la pièce unique qui est le logement normal des gens d'ici, il avait construit une petite pièce, bien claire, avec une fenêtre, il me, l'a fait remarquer ! Et, dans un coin de cette pièce vide… un vieux lit pliant, en fer... Seul pauvre meuble qui n'avait jamais servi… et qui attendait ! Il avait pensé à tout, Belkacem, et avait dû mettre tant d'amour à réaliser cela ! Cette pièce était impeccablement blanche, et je lui en ai fait la remarque : « Tu vois, tous les deux ou trois ans, je la reblanchis... On ne sait jamais... s'ils revenaient ! »

Et nous sommes redescendus, laissant cette pièce inhabitée... attendre... l'Espérance deBelkacem !

J'étais, un peu émue, et émerveillée, devant tant de .simplicité, de grandeur d’âme !... Et ne, sachant trop quoi dire. Mais l'Esprit Saint est toujours là et m'a soufflé à l’oreille :

- « Avez-vous des petits-enfants ? »

- « Oui, j'ai un petit-fils », me répondit-il

- « Et comment s’appelle-t-il ? » « Belkacem, comme moi. »

Alors, j'ai été heureuse !

- « Comme vos enfants vous aiment pour avoir donné votre nom à leur fils ! »

- « C'est vrai » me dit-il en souriant !

Seigneur !… fais que j’entende.

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