Chaque citoyen de la planète devrait avoir droit à une partie des recettes prélevées sur les multinationales et les milliardaires de la planète
La prospérité des pays riches n'existerait pas sans les pays pauvres.
Si j’avais à commenter l’évangile de ce jour, Mat 25,31-46, en parler dans une homélie ou dans une conférence suivie d’un débat, je pense que je tiendrais maintenant largement compte des écrits de Thomas Piketty.
Certes, mes connaissances en économie et en histoire ne sont pas telles que je puisse comprendre tous les développements exprimés, mais les éclairages entrevues me sont utiles.
Dans les milieux militants de l’écologie et de l’objection de croissance, Thomas Piketty est souvent cité. Pourtant, l’épaisseur de ses livres continuait à m’effrayer jusqu’au jour où j’ai découvert « Une brève histoire de l’égalité ». Seulement 350 pages. Un regard historique qui se prononce sur les inégalités observées dans la société.
Avec la révélation de l’Évangile, nous découvrons que les humains reçoivent l’invitation de la fraternité. Que font les disciples du Christ pour qu’il en soit ainsi ? Que faisons-nous pour pallier aux méfaits de l’histoire ? L’Église ne devrait-elle pas demander pardon pour ses mauvaises perceptions de la propriété privée ?
Entrons en repentance.
Que le problème des inégalités, des injustices existe depuis l’origine du monde n’est pas un argument pour le laisser agir. Aussi j’inviterai volontiers à un séminaire où l’on mettrait l’évangile selon Matthieu et l’approche de Thomas Piketty en parallèle. Dans ce contexte, aujourd’hui, qu’aurait à dire l’Institution ecclésiale ? Même si François de Rome parle beaucoup, il me semble qu’en France, les évêques soient plutôt silencieux sur ce sujet.
« Cette brève histoire de l’égalité n’aurait pas non plus pu être écrite sans les progrès réalisés concernant l'histoire de la répartition des richesses entre classes sociales. Ce domaine de recherche a lui-même une longue histoire. Toutes les sociétés ont produit des savoirs et des analyses au sujet des écarts de richesse réels, supposés ou désirables entre les pauvres et les riches, au moins depuis La République et Les Lois (où Platon recommande que ces écarts ne dépassent pas un à quatre). Au XVIIIe siècle, Jean-Jacques Rousseau explique que l'invention de la propriété privée et son accumulation démesurée sont à origine de l'inégalité et de la discorde parmi les hommes. Il faut toutefois attendre la Révolution industrielle pour que se développent de véritables enquêtes sur les salaires ouvriers et les conditions de vie, ainsi que des sources nouvelles sur les revenus, les profits et les propriétés. Au XIXe siècle, Karl Marx tente d'utiliser au mieux les données financières et successorales britanniques de son temps, même si les moyens et les matériaux dont il dispose sont limités. »
Voici un autre passage de Thomas Piketty, Une brève histoire de l’égalité, page 138 :
La question des réparations repenser la justice à l'échelle transnationale
Récapitulons. La répartition des richesses en vigueur aujourd'hui entre pays du monde comme à l'intérieur des pays porte la trace profonde de l'héritage esclavagiste et colonial. La connaissance de ce passé est indispensable pour mieux comprendre les origines et les injustices du système économique actuel, mais elle ne suffit pas en tant que telle pour définir des solutions et des remèdes. La question est complexe et exige une délibération approfondie. Dans certains cas, la solution passe par des réparations explicites, comme pour le remboursement de la dette française à Haïti, qui me semble incontournable, ou pour la question de la réforme agraire et l'accès aux terres dans certains territoires ou des indemnisations aux États-Unis. Refuser tout débat sur les réparations, alors même que d'autres spoliations et injustices toutes aussi anciennes continuent de faire l'objet d'indemnisations, complique considérablement le développement de normes de justice universelle acceptables par le plus grand nombre. Il est temps de comprendre que les logiques de justice réparatrice et de justice universaliste sont complémentaires et doivent avancer de concert, en se soutenant l'une et l'autre.
Pour autant, il est bien évident que l'on ne réglera pas tous les problèmes avec des réparations. Pour réparer les dégâts du racisme et du colonialisme, il faut aussi et surtout changer le système économique sur une base systémique, en réduisant les inégalités et en assurant un accès aussi égalitaire que possible de toutes et de tous à l'éducation, à l'emploi et à la propriété, indépendamment des origines de chacun. Cela exige aussi de mener des politiques ambitieuses, cohérentes et vérifiables de lutte contre les discriminations, sans toutefois figer les identités, qui sont toujours plurielles et multidimensionnelles. Nous verrons dans quelle mesure il est possible sur la base des expériences disponibles de trouver un équilibre entre des critères sociaux et des critères liés aux origines. Pour des raisons similaires, l'opposition entre des mesures de redistribution à l'échelon national et au niveau international doit impérativement être dépassée. En particulier, chaque pays, chaque citoyen de la planète devrait avoir droit à une partie des recettes prélevées sur les multinationales et les milliardaires de la planète, d'abord parce chaque être humain devrait avoir un droit minimal égal à la santé, à l'éducation, au développement, et ensuite parce que la prospérité des pays riches n'existerait pas sans les pays pauvres. L'enrichissement occidental comme d’ailleurs l'enrichissement japonais ou chinois s'appuient depuis toujours sur la division internationale du travail et sur l'exploitation effrénée des ressources naturelles et humaines planétaires.
Toutes les accumulations de richesse qui ont eu lieu sur la planète sont tributaires d'un système économique mondial, et c'est à cette échelle que doit être posée la question de la justice et de la marche vers l'égalité. Avant d'aller plus loin dans ces différentes directions, il nous faut toutefois mieux comprendre comment les inégalités de statuts et de classes se sont transformées depuis le XVe siècle à l’échelle du monde et en particulier au sein des pays occidentaux ».
On va me dire que l’Évangile, tout spirituel, n’a rien à voir avec cette approche politique. C’est justement ce que je demande d’observer en suivant le regard de Matthieu : « Alors ils répondront, eux aussi : “Seigneur, quand t’avons-nous vu avoir faim, avoir soif, être nu, étranger, malade ou en prison, sans nous mettre à ton service ?” »