Le sentiment de paix, faisant partie de l’humain, est inévitable : on le rencontre après toutes vraies lectures. Le mauvais, c'est l’illuminisme

Publié le par Michel Durand

chapelle romane à Rimont (71)
chapelle romane à Rimont (71)

chapelle romane à Rimont (71)

Jean-François Arnoux, membre de l’Amicales des anciens élèves de Rimont, petit séminaire de l’Église catholique en Saône et Loire, diocèse d’Autun, Chalon et Mâcon, sollicite ma participation à leur ouvrage « Une étonnante adolescence ». Il m’adresse deux séries de questions que je note ici. Suis-je capable d’y répondre ? Nous sommes en 2023. Mon séjour d’une année scolaire à Rimont était en 1961-62. 62 ans !

- 1°/ Comment es-tu entré à Rimont ? Comment concrètement était la vie de ceux qu'on appelait « les V. A. » (vocation adulte), compte tenu, que, vus de notre place dans la « grande maison », vous aviez un « régime à part », plutôt mystérieux… pour les « petits » que nous étions !

- 2°/ Qu'est ce que Rimont t'a apporté ? Comment perçois-tu aujourd'hui ce moment de ta vie, l'enseignement, l'ambiance, la « construction intérieure » que ce temps passé à Rimont a pu t'apporter, dans ton éducation, dans ta foi… ou/et le questionnement que ce moment a pu provoquer ?

Je ne suis jamais retourné à Rimont aussi le souvenir que j’ai aujourd’hui du paysage ne peut être modifié par d’éventuels modernisations. La photo de l’invitation à la rencontre du 17 juin 2023 est bien l’image que j’en garde : d’immenses bâtiments écrasant de petites maisons.

La vision d’une foule d’enfants, d’adolescents vêtus d’une grande cape noire, entrant silencieusement, en rang par deux, dans la grande église (très froide en hiver), est à jamais gravée dans ma mémoire. Cette Église, loin du monde, n’est pas celle que je souhaitais.

En fait, le groupe des V. A. ne participait que rarement aux offices dans la grande église. Nous étions quatre V. A. et nous avions nos temps de prières dans une chapelle romane de petite taille. Très bel édifice du XIIe siècle. Je viens de contrôler sur internet. Jean François a raison d’écrire : « vous aviez un “régime à part”, plutôt mystérieux… pour les “petits”que nous étions ! »

En fait, les « petits » du petit séminaire de Rimont, j’avais l’occasion de les rencontrer chaque jour puisque la direction m’avait demandé d’être surveillant. De septembre à juin, je gardais en tant que « pion » les élèves de seconde ou de première pendant le temps des études personnelles. Il m’arrivait aussi d’être présent pour des après-midis de grand-jeu en plein nature. J’ai le souvenir d’immenses espaces de buis sauvage. J’ai le souvenir que tous ces jeunes sont bien obéissants. Ils ne disent rien vivant une constante obéissance disciplinée.

En fait, obéissant, je l’ai été moi-même en acceptant, à la demande de l’évêque, de passer une année scolaire à Rimont pour y apprendre le latin à raison de 4 ou 5 heures par jour. J’ai accepté cette formation avec les V. A. bien que j’avais la possibilité de me rendre au Séminaire Universitaire sans connaissance du latin, m’avait dit un séminariste à Lyon. L’évêque ne voulait pas.

 

Mon journal d’adolescence

En fait, au lieu de parler de mes souvenirs, il me semble plus convenant d’ouvrir le cahier où je notais régulièrement à l’époque l’essentiel de ce que je vivais. J’ai heureusement conservé ce journal et je l’ai relu récemment afin d’y chercher les preuves, les éléments qui permettent de discerner la réalité d’une vocation. Prêtres, nous nous disons appelés par Dieu, comment en parler avec discernement ? La durée d’une vie, la constance de choix unifiés, d’engagements pour une même action indique, à mon sens, la réalité de l’appel divin quelqu’en soit le mystère.

Voilà ce que je notais, le 7 octobre 1960, en classe de philosophie au collège de la Colombière alors que je venais d’apprendre qu’il me fallait apprendre le latin de l’Église. Ne faudrait-il pas mieux que je rentre chez les dominicains ? Le dominicain que j’ai connu à Clermont « représente, pour moi, le passeur d'avenir. Je le vois, par sa manière franche de prêcher, au plus près des hommes modernes… J’ai donc beaucoup d'admiration pour son modernisme. Cette admiration se symbolise en quelque sorte dans le couvent du Corbusier construit près de Lyon. Il n'y a rien de plus formidable que ce bâtiment. Il est fonctionnel et semble s'adapter à merveille à la vie de prière. Nettement, je préférerais me former dans ces murs et me nourrir des idées dominicaines plutôt que d'aller à Rimont (pour apprendre le latin qui, dit-on, me manque) et prendre des points de vue qui déjà me plaisent peu. [Pour parler ainsi, il se peut que j’avais rendu visite à Rimont]. Disons en quelques mots que, grâce à  la vie religieuse, j'évite la solitude d'un prêtre de campagne laquelle m'effraie beaucoup ».

Arrivés à Rimont, le 25 septembre 1961, je note :
« Faisons le point dans ce que j'appelle “ma rentrée dans le monde de la soutane ”. À vrai dire, quand je suis arrivé lundi vers 16 heures, ce sont les shorts et les chemises ouvertes qui m'ont apparu… Après avoir vu le directeur qui m'a remis la clé de ma chambre, je me dirige vers celle-ci. Première difficulté toute matérielle : je n'arrive pas à ouvrir la porte. Deuxième difficulté : rencontrer le supérieur pour lui compter le fait. Mais il ne me croit pas et me renvoie faire de nouveaux essais. Suit une demi-heure de tentatives. Sans succès. Fatigué de celles- ci, et n’osant plus revoir le directeur, je questionne un professeur qui m'envoie auprès de l'économe lequel, très serviable, fait le nécessaire. Pendant ce temps, je fais connaissance avec le préfet de discipline, l’abbé Maurice. La conversation fut courte et il me donne tout de suite un travail.

Le soir arrive, il faut attendre le repas. Les soutanes sont maintenant à leur place, c'est-à- dire sur les corps et les prêtres lisent, dans la fraîcheur du soir, - la température était forte cette journée - leur bréviaire tout en se promenant [prière individuelle et non communautaire].“C’est l'heure de paix” me dit l’abbé Richet qui aperçut de suite mon visage d’inadapté. “Vous observez, poursuit-il, cet établissement qu'on appelle petit séminaire”. Puis, il me parla ensuite des préjugés qu'il ne faut pas avoir et je lui réponds par la difficulté d'éliminer ceux qui existent. “Vous serez surpris, a-t-il répondit, surpris en bien ; tout autant par les élèves que par les professeurs”. Poursuivant ainsi : “ne croyez pas qu'ils sont primitifs ; ils ont eu l’occasion de sortir ; les professeurs ne tombent pas de la dernière pluie, les élèves non plus. Vous verrez, vous serez surpris”. “Je l’espère” ai-je répondu et, à côté de phrases évasives, je n'ai pu m'empêcher de méditer sur ces mots si justement tombés : “suis-je inconnu ici ?” Non, ils savent tout de ce que je suis venu faire, de mon opinion, de mes hésitations.

Rimont le 21 octobre 61 - lettre à l’évêque

Monseigneur,

Bien avant que Monseigneur Guimet vous fasse le point de ma situation, j'aurais dû vous prévenir de mes projets.

Enfin, ceci étant passé, sachez que l'ambiance de l'école me plaît énormément. Comme le disait, le jour de ma rentrée, un professeur d’ici, je suis admirablement surpris. Aussi, je ne pense pas perdre mon temps dans ce cadre de séminaire qui, je le répète, m'a surpris en bien. Il existe entre les professeurs, et par suite entre les camarades, un très bon esprit d'entente. Enfin, les offices religieux reçoivent ici un tonus de foi que je n'ai rencontré nulle part ailleurs. Donc, vous pouvez voir que je me plais à Rimont. J'y gagne une vitalité spirituelle, un affermissement de ma vocation et de ses exigences. Avec l'aide de l'abbé Girard, ce travail, sous le regard de Dieu, s'accomplit plus sûrement et en profondeur.

Il me reste maintenant de vous remercier de votre lettre, qui m'a fait grandement plaisir. Je vous remercie également des prières que vous devez adresser. En effet, si Dieu me comble de tant de biens, ce doit être grâce aux nombreuses prières que l'on adresse pour ses futurs apôtres (ou possibilité d’apôtres).

 

« Une étonnante adolescence »

Jean-François me demande : Comment perçois-tu aujourd'hui ce moment de ta vie… la « construction intérieure » que ce temps passé à Rimont a pu t’apporter ?

Aujourd’hui, il m’arrive de penser que ce temps passé à Rimont pour faire du latin, n’était pas vraiment nécessaire. Certes, je reconnais que la connaissance de cette langue latine d’Église m’a permis de parler au cours de mes études à l’université grégorienne à Rome avec, par exemple, des séminaristes de Formose (Taïwan). Mais en enfin, autant d’années d’étude ?…

Ceci dit, je ne peux nier que le trajet que j’avais à vivre pouvait assurément demander un tel investissement dans le temps et que, encore aujourd’hui, il y a du travail à accepter pour mettre en œuvre la présence du Christ, suivre ses réalisations et non les miennes.

Lu dans mon journal d’adolescence : Rimont, 14 mars 62 : Enfin !

« J'ai enfin découvert – avec l'aide de mon directeur – ce qu'il fallait penser de la paix obtenue en prière. Je crains toujours ce que me donne ma sensibilité. Et cette paix, lot de quelques unes de mes prières, n'en est pas étranger. Je craignais donc ce sentiment de paix ; je craignais que, par ses attraits, elle m'écarte de la vraie oraison. Les saints et les maîtres de spiritualité condamnent toutes manifestations sensibles. Or, eux-mêmes font preuve de tels états. Que dire de cette opposition ? D'autant plus que le sentiment de paix – faisant partie de l’humain – est inévitable : on le rencontre après toutes lectures optimistes, après l'audition de toutes musiques pacifiantes. Ce qui est condamné, c'est l’illuminisme, la sensiblerie. Ce dont on se méfie, c'est de prendre goût aux impressions humaines. C'est de rechercher la paix comme telle. D’où, quant un maître spirituel parle des impressions, il condamne non celle-ci, mais leurs recherches. Ce qui est mauvais c'est de rechercher cette paix pour elle-même afin d'en jouir. Si elle s'installe en nous sans l'avoir recherché auparavant on n'y peut rien. On l’a ; cela est bien si on ne l'a pas recherché. Mais peut-on entretenir cette paix ?

Me voici enfin débarrassé de l’artiste, de la crainte de ce que m’apporte ma sensibilité. Il m’appartient de ne pas rechercher toute impression, mais de me réjouir et de rendre grâce si je les obtiens. Drôle de paradoxe ».

Je termine avec cette note du 18 mars 1962 pour répondre à la question : qu’est-ce que Rimont t’a apporté ? Je réponds : un affermissement dans ma marche vers le choix de vivre avec l’Institut séculier du Prado qui m’accompagne dans la marche diocésaine.

« En plus de l'autorité de l’évêque, nous avons celle d'un supérieur diocésain qui est également sous la dépendance d'un supérieur général. Voici beaucoup de personnes qui, à première vue, peuvent contrer mon esprit d'indépendance ! Indépendance. Je ne veux pas nier son existence. Mais, je me place sous l'autorité de l'Évangile. Je me mets à la suite du Christ, n'est-ce pas un acte libre ? Je reste encore libre quand je refuse personnellement (certaine forme de) l’anarchie. L'esprit d'indépendance ne peut-il pas devenir esprit anarchique quand il ne fait que ce qu’il lui plait ? Je plie mon indépendance folle sous la Parole du Christ. Suivre le Verbe divin.

Les supérieurs ne suivent-ils pas également la volonté de Dieu ? Nous suivons le même chemin, nous avons tous l'Évangile pour maître. Aussi, ce qu'ils me commanderont ne sera pas en contradiction avec ce que je veux puisque nous voulons tous ce que Dieu veut, puisque nous sommes tous disciples du même Seigneur. D'autres part, l'indépendance dans nous parlons a déjà subi plusieurs épreuves. N'a-t-elle pas été mise à l'épreuve par mes huit années de pension ? Par mon choix : abandon de tous métiers artistiques dont je suis très amateur ? Par mon séjour à Rimont où, pour ne pas m’individualiser, je suis le régime des vocations adultes, (dont le profil est bien différent du mien), et aussi celui des élèves (du petit séminaire). Cet esprit d'indépendance n'a-t-il pas su se plier ? Ne le saura-t-il pas encore ? Dieu aidant : car je remets mon esprit entre les mains du Seigneur. Cette déposition, cette confiance que je lui fais et lui ferais toujours davantage nécessite une vie déterminée, orientée, régulière. Il en est ainsi de toute imitation du Christ. Je veux vivre la vie du Christ le plus près possible de la réalité (du monde). Je cherche un enseignement, une formation qui viennent directement de son Évangile. Je veux quelque chose de pure, de direct, de nette. Le Prado m'apporte cette formation évangélique où tous les actes sont effectivement accomplis en fonction des actes du Christ. La spiritualité pradosienne correspond au mieux à ce que je cherche. Elle comble mes besoins. Elle est la formation qui me sied le mieux. Grâce à elle je peux vivre la vie du Christ, point très important dans ma vocation sacerdotale ».

Il est certain que l’évêque de l’époque, Mgr Lebrun, ne me voyait pas au Prado. C’est pour cela qu’à la suite de ma première année à Limonest, séminaire pradosien, il me demanda de poursuivre mes études au séminaire français de Rome. En fait, une équipe de séminaristes du Prado se trouvant au séminaire français, rien de fondamental ne changea à ce niveau. 1964 fut l’année de mon engagement pradosien. J’imagine aujourd’hui que le temps passé à Rimont m’aida à vivre ce que j’avais à vivre.

La réflexion aujourd’hui m’invite à regarder du côté du rôle de l’évêque, son influence, son pouvoir dans un climat désormais conciliaire et ou synodale. Vivre le polyèdre plus que la sphère pour que circule la parole.

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