Rimont. Petit séminaire. Je n’avais jamais connu de si près le calme de la campagne et l’ambiance d’une vie en apparence coupée du monde
Suite de la retranscription du journal d’adolescence. Désormais le style en est largement différent, me semble-t-il.
20 septembre 1961
Le Bac, les vacances
Comme il m’est pénible décrire ce rapport de ma vie ! De quand date le dernier compte rendu ? Bien avant le Bac certainement ! Je n’ai pas celui-ci (le cahier) sous les yeux, ce qui explique cet oubli. J’écris alors sur des feuilles volantes.
Est-ce que je me rappelle de tout ce qui s’est passé ? Certes, non. Cela me permettra d’être bref.
Notons tout d'abord le travail que j'ai dû fournir pour le bac ; travail, fatigue, mauvaise humeur, esprit troublé. Cela va de soi. Mon âme n'était pas en paix et je me rappelle que jusqu’aux épreuves du Bac, je fus obligé de prendre de l'équanil et autres médicaments pour mes migraines ainsi que quelques fortifiants. Le bac maintenant, une trouille terrible ; beaucoup plus que l'an passé ; incomparable même. Cette crainte, ce manque d'espoir ne faisait que me tourmenter et mon état général, mon sommeil ne s'en améliorer pas pour autant.
Le Bac est passé, je n'en parle pas plus longuement car il en est de même pour beaucoup.
A t-on juste ou faux ? Question pleine d'anxiété trouvée chez un grand nombre. Même chez ceux qui feignent l’indifférence. Ici, j'ai pris un risque tout ce qu'il y a de plus irraisonnable. En attendant les résultats, je faisais un stage de moniteur, donc il m'était impossible de réviser pour l’oral. Si on échoue à l'écrit, on passe un examen oral. Et l'oral même se déroulait à la fin du stage ; pour m’y rendre il aurait fallu l'abandonner et me présenter devant un jury sans avoir fait aucune révision. Inutile de dire qu'à cette nouvelle épreuve, l'échec était certain. Mais Dieu a voulu que tout se passe bien. Si je voulais mon bac, je ne pouvais l’avoir qu’à l’écrit et Dieu a permis que je l'ai à l'écrit. Qui a passé le bac ? Christ ou moi ? Christ y est pour quelque chose. La lumière du Saint Esprit m'a fortement aidé.
Et je serais reconnaissant pour cette bonté. Seulement il a tellement donné, notre Père qu'il est difficile d'être vraiment et sincèrement reconnaissant. Que puis-je offrir à Dieu en remerciement ? Pour conclure ce succès au bac répétons la phrase de l’abbé Rizet : Dieu y est pour quelque chose.
De suite après le stage, je prends rendez-vous avec Monseigneur Guimet qui me laisse jusqu'en septembre pour réfléchir. La question posée est Rimont ? Lyon ? Vocation adultes ? Surveillant à Rimont (pion) ? Après ceci, je vais en colo, puis au bord de la mer (vacance en famille). Enfin, retour auprès de Monseigneur Guimet et décision pour Rimont. Il me semble avoir écrit mes hésitations dans le choix de mon travail d'octobre, mais j'ignore si cela est dans mes lettres ou pour moi-même. Bref, j'ai la flemme d'écrire en détail mes objections et mes démarches qui, d'après Guimet, sont celles d’un scientifique. Du reste, elles n'ont peut-être pas beaucoup d'importance. Ainsi que le détail de mes activités de colo et de bord de mer. Notons seulement que je m’efforçais de vivre chrétiennement, de mon mieux, en essayant d'assister le plus souvent possible à la messe du matin. C'était difficile : manque de tout.
Pourquoi écrire ces confessions ?
Peut-être il trouvera ai-je de quoi aider les autres. Peut-être un autre y trouvera de quoi aider ses frères dans le Christ. Je souhaite seulement bon courage à l'autre, ou à moi-même, désireux de faire de ce texte un récit ouvert à tous. Il y aura un travail fou dans le fatras de notes mal écrites.
Rimont le 25 septembre 1961
Faisons le point dans ce que j'appelle « ma rentrée dans le monde de la soutane ».
À vrai dire, quand je suis arrivé lundi vers 16 heures, ce sont les shorts et les chemises ouvertes qui m'ont apparu. Bref, sur ce côté sportif du déménagement – ou de l’emménagement – causés par les rentrées et passons à une situation de caractère comique.
Après avoir vu le directeur qui m'a remis la clé de ma chambre, je me dirige vers celle-ci. Première difficulté toute matérielle : je n'arrive pas à ouvrir la porte. Deuxième difficulté : rencontrer le supérieur pour lui compter le fait. Mais il ne me croit pas et me renvoie faire de nouveaux essais. Suit une demi-heure de tentatives. Sans succès. Fatigué de celles-ci, et n’osant plus revoir le directeur, je questionne un professeur qui m'envoie auprès de l'économe lequel, très serviable, fait le nécessaire. Pendant ce temps, je fais connaissance avec le préfet de discipline, l’abbé Maurice. La conversation fut courte et il me donne tout de suite un travail.
Le soir arrive, il faut attendre le repas. Les soutanes sont maintenant à leur place, c'est-à-dire sur les corps et les prêtres lisent, dans la fraîcheur du soir, - la température était forte cette journée - leur bréviaire tout en se promenant. « C'est l'heure de paix » me dit l’abbé Richet qui aperçut de suite mon visage d’inadapté. « Vous observez, poursuit-il, ces établissements qu'on appelle petit séminaire ». Puis, il me parla ensuite des préjugés qu'il ne faut pas avoir et je lui réponds par la difficulté d'éliminer ceux qui existent. « Vous serez surpris, a-t-il répondit, surpris en bien ; tout autant par les élèves que par les professeurs ». Poursuivant ainsi : « ne croyez pas qu'ils sont primitifs ; ils ont eu l’occasion de sortir ; les professeurs ne tombent pas de la dernière pluie, les élèves non plus. Vous verrez, vous serez surpris ». « Je l’espère » ai-je répondu et, à côté de phrases évasives, je n'ai pu m'empêcher de penser sur ces mots si justement tombés : « suis-je inconnu ici ? » Non, ils savent tout de ce que je suis venu faire, de mon opinion, de mes hésitations.
Sept heures.
Voilà le repas : repas martyr où l'espérance d'une fin précipitée se formulait intensément en moi et où l'émotion me coupât radicalement l'appétit. Ils étaient joyeux, tout joyeux et n'épargnaient ni les astuces, ni les vacheries, ce dernier mot pouvant être de leur vocabulaire. En un mot, il m'ont plus ; cependant, mon déphasage, par rapport à eux subsistait et subsistât jusqu'à la rentrée des élèves. C'est-à-dire que jamais je n'ai pu me mettre dans leur euphorie. D'autant plus que mon timide silence n'était pas invisible et qu'on le faisait remarquer. À part les repas, rien ne me fut vraiment pénible pendant ces jours.
Rimont 30 septembre 1961
Le mardi, veille de la rentrée, se déroula dans diverses occupations de préparation.
Mercredi. Voilà enfin le jour « H ». L'après-midi les élèves arrivent et j'ai de nombreuses surprises : anciens élèves de la Colombière, Colons de Cuiseaux, connaissance par connaissance (on vient me demander si je ne suis pas Monsieur Durand car un cousin, un ami a parlé de moi) meublent l'attente du soir en conversation.
Le soir, le dîner se passe avec les vocations adultes. Et je ne fus peut-être guère plus silencieux qu'avant. L'ambiance du repas était moins gaie ; elle était même morne et j’eu un mauvais premier point de vue de ces jeunes qui, a 25 ans, semblaient avoir un grand nombre de petites habitudes. Notons que cette impression disparu par la suite. Et j'ai remarqué que j'avais beaucoup à apprendre d’eux, qu'il était dans mon intérêt de chercher à les connaître.
C'est ce que je fis jusqu'à ce jour où je peux dire que, sans comprendre toutes leurs réactions, il m'a été possible de m’intégrer à leur groupe. Cela ne fut pas sans peine, car il montrait un peu de froid, de distance, envers le pion, voir l'intellectuel - prétendu tel - que je suis.
Les journées de jeudi, vendredi, samedi n’eurent rien de bien précis. Mes élèves à surveiller suivent une retraite, si bien que je possède tout le temps pour moi-même ou pour Dieu. Ainsi, si je ne peux observer la vie matérielle de l'école, je peux en observer l'ambiance religieuse et générale. Celle-ci me semble bonne, même très bonne. En assistant à la première messe de communauté, mon être tout entier fut transporté par l'élan de foi régnant dans cette assistance. Certes, mon émotion religieuse est facilement ébranlée ; seulement, je ne fus jamais autant touché que cette fois et mon âme n’accepta que mieux la voix de Dieu.
Une bonne ambiance aide pour être en amitié avec Dieu. Et chaque jour, après la messe du matin, je garde en mon cœur cette paix, cette joie silencieuse désirée depuis une longue date. Joyeux, je le suis en effet ; et, dans la paix, je le suis davantage. Pouvons-nous dire, de ceci, que je me plais ici ? Oui, et le calme de la campagne me fait moins dans sa réalité que dans son imagination. La fenêtre de ma chambre s'ouvre à l’est sur une vaste étendue d'aspect sauvage. Poules, vaches, chevaux, moutons, chèvres accompagnent, par leur paisible bruit, le lever et le coucher du soleil. Que les levers sont splendides ! Et ce paysage varie toujours. Il devient de fortes montagnes avec une petite brune, une lourde plaine dans la demie obscurité, une douce colline au matin etc… On ne peut pas décrire toutes ces variations tellement elles sont nombreuses. Enfin, voyez que tout ceci me plaît, dans ce lieu où je peux aimer et connaître ce Dieu qui m’aime.
Mais tout ceci ne sont que des mots relatant un état d'âme. Aussi, pouvons-nous supposer que, dans une telle abstraction, je risque de me perdre. Il y a dans ma vie présente un programme en train de se faire qui sera plus loin indiqué. En attendant parlons un peu du père Maurice, le préfet de discipline. (Nous sommes aujourd'hui vendredi et depuis lundi, date de la présente, j'ai eu davantage de temps pour l’observer).
Il a une grande expérience de l'enfance qu'il dirige avec une grande personnalité. L'autodétermination doit être son mot le plus cher. Les élèves ont en quelque sorte la direction de leurs occupations entre les mains. Il y a certes un contrôle, mais celui-ci est tellement bien compris que je ne peux avoir pour ce style d’éducation, que de l'admiration. Le contact de ce père me sera très utile dans de nombreux domaines. Ainsi, n'ayant pas en lui, l'amour de la rigueur mathématique, il pourra me montrer en agissant, ce qu’est un esprit large, tolérant, s’accommodant de nombreuses circonstances. Il ne prévoit rien par avance et ses ordres je les reçois au fur et à mesure que sa pensée se déroule. Les premiers temps j'étais totalement dérouté et ne pouvais le suivre, mais maintenant, je saisis ses point de vue et comprends qu'un tel caractère a de nombreux avantages.
Laissons-là Maurice et voyons Girard. Ce professeur de philo est mon directeur. J'attends beaucoup de lui car il montre une grande connaissance humaine et une puissante vie spirituelle. « Sa personnalité te marquera » me dit un soir Monseigneur l’évêque en me rendant visite ; car il est déjà venu voir les nouvelles recrues. Seulement, L’abbé Girard est maintenant malade (paratyphoïde) et même en m’étant permis de le voir dans son lit, je ne peux longuement lui parler.
Aujourd’hui, samedi, je vous ferai part de l’horaire.
Il est établi en fonction d'un compromis entre mon travail de surveillant et les activités religieuses des vocations adultes.
Lever à 6h15
Prière, méditation, messe avec les vocations adultes : 6h45 - 7h45
Petit déjeuner à 8 heures
Surveillance d’étude : 8h20 - 9h05
Travail personnel : 9h05 - 11h05 (essentiellement apprentissage du latin)
Surveillance récréation : 11h05 - 11h30
Lecture spirituelle personnelle : 11h30 - 12 heures
Repas : 12 heures - 12h45
Surveillance récréation : 12h45 - 13h30
Surveillance étude : 13h30 - 14h15
Travail personnel : 14h15 - 16h15
surveillance récréation et goûter : 16h15 - 17 heures
Surveillance étude : 17 heures - 19h30
Repas : 19h30
Chapelet avec les vocations adultes : 20h15
Lecture spirituel, cours spirituel du père Cornet avec les vocations adultes : 21h15
Prière du soir : 21h45 avec les vocations adultes
coucher : 22 heures
C'est ainsi que je termine ce compte rendu en rappelant ce qui me fut dit avant de rentrer ici :
« n'oublie pas Michel que si tu dois te retirer du sacerdoce, il faut sans crainte ou scrupule revenir sur ses paroles et engagements. Sans lâcheté, il faut renouer avec une vie civile et reprendre les études pour avoir une place dans le monde. Et ceci sans considération de la peine à fournir ».