On ne peut séparer la morale de la théologie car les questions morales doivent être abordées avec l’annonce du kérygme : un Père qui nous aime
Dans mon homélie du 16 juillet 2023, je disais que la lecture de l’Évangile s’accompagne d’une relecture théologique et éthique.
La note de la TOB au verset 13,18 « vous donc écoutez la parabole du semeur » indique ceci : Matthieu reprend sous forme d’interprétation la proclamation de l’événement que la parole annonce en langage symbolique et que les disciples sont en train de vivre (13, 16-17) : relecture théologique et éthique du texte.
La page que Luc vient d’adresser à ses contacts entre dans cette dynamique. Il la présente en ces mots : Bonjour, Je vous partage cet interview de Victor Manuel Fernandez, l'évêque nouveau préfet de la Doctrine de la foi. J'aime voir dans ce texte la capacité de l'Église à dire la foi en même temps que la vie concrète des gens. On trouve ici les accents de la pensée sociale chrétienne. Amitié, Luc.
La méditation de la Bonne Nouvelle s’accompagne d’une mise en pratique. La Parole entendue engendre des modes de vie, une éthique marquée par la Grâce qui est plus qu’une loi appliquée. À ce propos lire cette page de Victor Manuel Fernandez : La Loi et la grâce pour les juifs et les chrétiens.
Merci à Luc de signaler cet entretien :
Croissance de la théologie catholique
Le nouveau responsable de la doctrine s'exprime
Interview de Victor manuel Fernandez, responsable du Dicastère pour la doctrine de la foi
17 juillet 2023
Au début de ce mois, le pape François a nommé l'archevêque Victor Manuel Fernandez préfet du dicastère pour la doctrine de la foi.
L'évêque argentin était depuis 2018 archevêque de La Plata et, auparavant, recteur de l'université catholique d'Argentine, fonction à laquelle il avait été nommé par le cardinal Jorge Bergoglio.
Largement reconnu comme l'auteur de l'exhortation apostolique Amoris laetitia (2016), V. M. Fernandez est depuis longtemps un proche collaborateur du pape.
Depuis sa nomination le 1er juillet, il a fait parler de lui par ses commentaires sur la bénédiction des mariages de personnes de même sexe et sur la gestion des abus et par un livre qu’il a écrit en 1995 sur le thème du baiser.
Au milieu de ces vagues, le pape François l’a fait cardinal le 9 juillet - il rejoindra officiellement le collège des cardinaux à la fin du mois de septembre.
Dans un entretien accordé par courriel le 17 juillet, V. M. Fernandez analyse le paysage moral, parle de son nouveau mandat et de sa perception de la théologie catholique.
Quelles sont, selon vous, les trois ou quatre questions morales majeures auxquelles l'Église est confrontée aujourd’hui ? Comment le Dicastère pour la Doctrine de la Foi (DDF) y répond ? Quelle est l'approche du pape sur ces questions ?
Si nous ne parlons que de morale, je citerais ces quatre points :
1) La primauté absolue de la grâce et de la charité dans la théologie morale catholique ;
2) La dignité inaliénable de chaque personne humaine et ses conséquences ;
3) L'option préférentielle pour les pauvres, les petits et ceux qui sont abandonnés par la société ;
4) Les approches individualistes, hédonistes et égocentriques de la vie qui rendent difficiles le mariage, la famille et le bien commun.
Mais nous serions mal engagés si nous séparions la morale de la théologie.
Nous devons nous rappeler que pour François, les questions morales doivent être abordées avec l’annonce du kérygme : un Père qui nous aime et qui cherche notre épanouissement humain par un Christ qui nous a sauvés et qui nous sauve aujourd'hui en nous communiquant sa vie.
Dans la lettre qu'il vous a adressée à l'occasion de votre nomination, le pape François écrit qu'auparavant, le DDF "Au lieu de promouvoir la connaissance théologique, poursuivait les erreurs doctrinales. Ce que j'attends de vous est très différent". C’est ce que vous avez depuis appelé un "tournant".
Praedicate evangelium, qu’a rédigé le pape François, dit que le DDF "œuvre pour que les erreurs et les enseignements dangereux qui circuleraient dans le peuple chrétien ne restent pas sans réfutation."
Ces deux documents semblent présenter des points de vue différents sur le rôle du DDF. Comment pensez-vous qu'ils puissent être réconciliés ? Quelle est votre sentiment à propos de votre nomination ?
Si vous lisez attentivement la lettre du pape, il est clair qu'à aucun moment il ne dit que la fonction de réfutation des erreurs doit disparaître.
Il est évident que si quelqu'un dit que Jésus n'est pas un homme réel ou que tous les immigrés doivent être éliminés, cela nécessite une intervention forte. Mais en même temps, cette intervention peut être une occasion de grandir et d'enrichir notre compréhension de la foi.
Dans le premier cas il faudrait accompagner les personnes dans leur désir légitime de mieux montrer la divinité de Jésus-Christ ; dans le second il serait nécessaire d’examiner avec elles les imperfections et l’incomplétude de la législation en matière d'immigration.
Dans sa lettre, le pape dit explicitement que le dicastère doit "garder" l'enseignement de l'Église. Seulement, en même temps - et c'est son droit - il me demande un plus grand engagement pour aider au développement de la pensée théologique, par exemple lorsque des questions difficiles se posent, parce que sa croissance est plus efficace que son contrôle.
Les hérésies ont été éradiquées mieux et plus rapidement par un développement théologique ajusté, alors qu'elles se sont répandues et perpétuées lorsqu'on ne faisait que condamner. Mais François me demande aussi de soutenir l’accueil du magistère récent, et cela inclut évidemment le sien. Cela fait partie de ce qui doit être "gardé".
Il semble qu'il y ait de plus en plus de critiques à l'égard de Veritatis splendor dans l'Église aujourd'hui, et même un désir de la réexaminer. Pourquoi en est-il ainsi ? Comment y répondre ?
Veritatis splendor est un grand et solide document.
De toute évidence, il souligne une préoccupation particulière, celle de fixer des limites. C'est pourquoi il n'est pas le texte le plus adéquat pour encourager le développement de la théologie. En effet, sur ces dernières décennies, combien de théologiens pouvons-nous nommer ayant la stature des Rahner, Ratzinger, Congar ou von Balthasar ?
Même la théologie de la libération ne compte pas de théologiens du niveau de Gustavo Gutiérrez.
Quelque chose s’est mal passé : beaucoup de contrôles mais peu d’avancées.
Aujourd'hui, nous avons besoin d'un texte qui, rassemblant ce qui est précieux dans Veritatis splendor mais dans un autre style, un autre ton, permette d'encourager la croissance de la théologie catholique, comme me le demande le pape François.
Quel est le point de départ de la théologie morale et pastorale ? Où et comment commence-t-elle ?
Le point de départ de toute théologie est la Révélation divine.
Mais la théologie se développe dans des contextes concrets. Ce n'est pas la même chose de faire de la théologie en temps de guerre, dans une conversation avec un cinéaste, dans un quartier d'enfants affamés ou avec un groupe de missionnaires au Japon.
Ainsi, bien que le point de départ soit la Révélation, c'est la Parole inépuisable qui, entrant en contact et en conversation avec les situations humaines les plus diverses, permet aux différents aspects de son incommensurable mystère d'émerger.
Vous avez parlé de votre ouverture à étudier et éventuellement approuver des bénédictions pour des couples de même sexe, tant qu'il n'y a pas de confusion avec le mariage et vous avez ajouté que la déclaration de 2021 du DDF sur le même sujet ne "sent pas François".
Vous avez dit qu'« Il ne serait pas mauvais de repenser [le document] à la lumière de tout ce que le pape François nous a enseigné ».
Pourtant, c'est le pape François qui a spécifiquement autorisé la déclaration de 2021. Comment les catholiques doivent-ils comprendre la pensée du pape sur cette question ? Est-il en train d'évoluer, ou quelque chose a-t-il changé au cours des deux dernières années ? L'approche des évêques belges reflète-t-elle l'esprit du pape ?
J'ai dit qu'il ne serait pas mauvais d'y "repenser", rien de plus. Mais une interview n'est pas l'endroit le plus approprié pour le faire.
Il faudra que je parle avec beaucoup de personnes, que j'écoute le dicastère lui-même, que je sois attentif à ce qui se passe au synode, etc. pour, sans nécessairement contredire ce que dit ce document, l'enrichir et le développer.
D'autre part, il y a des expressions qui sont théologiquement correctes mais qui peuvent facilement être mal comprises. Par exemple, l'expression "Dieu ne bénit pas le péché" est certainement une phrase que François n'utiliserait pas sans s'assurer qu’elle respecte ce que les personnes peuvent vivre.
Vous avez mentionné que le pape François vous a dit que les questions disciplinaires, en particulier celles relatives aux abus, seraient traitées par l'équipe d'experts du DDF, plutôt que par vous directement, et que dans le passé, c'est la raison pour laquelle vous avez refusé le poste, car vous ne vous sentiez pas préparé à traiter les cas graves d'abus.
Toutefois, en tant que préfet, les décisions finales passeront toujours par votre bureau et seront soumises à votre approbation et à vos critères. Même si vous déléguez complètement cette tâche, vous resterez l'ultime responsable.
Vous avez admis avoir commis des erreurs dans la gestion de cas d'abus à La Plata, vous sentez-vous à la hauteur de cette tâche ?
Je verrai ce que je devrai signer en fonction de ce que me dira le pape, en accord avec ce dont nous avons déjà discuté.
De toute façon, les préfets [de discatère] ne sont pas en général des canonistes, et pour ces sujets ils donnent leur approbation en faisant confiance au sérieux du travail de leurs collaborateurs.
Pour être précis, dans un cas de La Plata, je n'ai pas admis d'erreur parce que j'ai suivi les procédures en vigueur à l'époque, et toujours en consultation avec le dicastère. Ce que j'ai dit, c'est avoir agi "insuffisamment". J'aurais pu faire plus, j'aurais pu prendre les mesures les plus drastiques plus rapidement. On apprend de sa propre expérience. Aujourd'hui, nous disposons de meilleures procédures qu'à l'époque, ce qui facilite les choses.
Comment espérez-vous que votre nomination servira l'Église ?
Il n'y aura rien de spectaculaire. J'ai seulement la certitude que chaque personne apporte quelque chose qui lui est propre. Je laisserai quelque chose de bon derrière moi.
Comment aimeriez-vous que les catholiques prient pour vous ? Que peuvent-ils demander ?
J'aimerais qu'ils demandent sincèrement l'aide de l'Esprit saint, non pas pour faire ce que je pense ou ce que les autres pensent, mais ce qui répond à la volonté du Seigneur et à son plan. Cette prière peut être faite par n'importe qui, même par quelqu'un qui me déteste. J'en serais reconnaissant.