​​​​​​​Les écrivains et écrivaines donnent à penser à la culture de la société dans laquelle nous vivons. Ils donnent à sentir nos modes de vie

Publié le par Michel Durand

Jean de Saint-Cheron dans la cour de l'Institut Catholique de Paris, le 15 décembre 2022.

Jean de Saint-Cheron dans la cour de l'Institut Catholique de Paris, le 15 décembre 2022.

En ce lieu, j’ai évoqué l’écrivaine Sophie Divry à plusieurs reprises, récemment en février et en mai 2024.

 

En divers lieux, j’ai plusieurs fois eu l’occasion de dire que Sophie Divry devrait être appelé pour donner des cours de littérature contemporaine dans les séminaires pour la formation des prêtres. J’écris cela en reconnaissant que je ne lisais pas assez de romans pendant ma formation au séminaire français de Rome ou dans la maison du Prado à Limonest.

En effet, aujourd’hui, je pense fortement que les écrivains, écrivaines de fictions donnent à penser à la culture de la société dans laquelle nous vivons. Ils nous donnent à voir, sentir les modes de vie qui sont les nôtres. Ils soulignent le milieu sociale d’origine qui nous revient.

Écrivant ces mots je repense à ma surprise de juillet. Elle fut grande. Alors que je souhaitais banalement, timidement, que Sophie Divry parle de ses romans à des séminaristes catholiques, je lis que François, évêque de Rome, insiste nettement (lourdement) dans cette même direction. C’était le 17 juillet 2024. Il convient de lire, relire cette « LETTRE DU PAPE FRANÇOIS SUR LE RÔLE DE LA LITTÉRATURE DANS LA FORMATION »

« La littérature a donc à voir, d’une manière ou d’une autre, avec ce que chacun désire de la vie, puisqu’elle entre en relation intime avec son existence concrète, avec ses tensions essentielles, ses désirs et ses significations. »

« Pour un croyant qui veut sincèrement entrer en dialogue avec la culture de son temps, ou simplement avec la vie des personnes concrètes, la littérature devient indispensable. À bon droit, le Concile Vatican II affirme que « la littérature et les arts [...] s’efforcent d’exprimer la nature propre de l’homme » et « de mettre en lumière les misères et les joies, les besoins et les énergies ». En vérité, la littérature s’inspire de la quotidienneté de la vie, de ses passions et de la réalité des événements tels que « l’action, le travail, l’amour, la mort et toutes les pauvres choses qui remplissent la vie ».

 

Mais revenons à aujourd’hui. Pourquoi ai-je repensé à cette lettre ?

Tout simplement parce que le quotidien La Croix vient de publier, le 2 septembre 2024, la réflexion de Saint Jean-Cheron (À vif/ l’espace débat), Le Pape face à la haine de la littérature.

Voici.

Alors que la lettre du pape François sur « le rôle de la littérature dans la formation » est passée inaperçue au cœur de cet été olympique et politique, Jean de Saint-Cheron se réjouit dans sa chronique de son aspect révolutionnaire.

Comme chaque année, on constate que la rentrée dite « littéraire » est l’occasion de parler de tout sauf de littérature. Bien sûr, j’exagère.

Mais la réception du roman auquel je consacrais ma chronique lundi dernier prouve qu’à de très rares exceptions près, la critique ne s’en est saisie que pour parler de son thème, la crise écologique. Pas un mot ou presque sur l’art romanesque de son auteur. Et c’est globalement la même chose pour tous les livres dont la presse parle avec passion ces jours-ci : Jacaranda de Gaël Faye est l’occasion d’évoquer l’histoire du Rwanda marqué par le drame du génocide des Tutsis, Houris de Kamel Daoud est un témoignage sur la décennie noire en Algérie qui brise un tabou sur la terrible situation faite aux femmes, etc. Tout cela est vrai, bien sûr. Mais pourquoi continuer à parler de romans si ce qui intéresse les lecteurs et les critiques, en dépit de quelques exceptions, n’est au fond que le sujet traité, ou les “idées” de l’écrivain, et non la manière, ni l’art de la fiction ? À ce compte-là, autant se contenter d’essais ou de livres d’histoire. Beaucoup sont d’ailleurs remarquablement écrits, et appartiennent au monde polymorphe de la littérature.

Le rôle de la littérature

William Marx, ardent défenseur de la chose littéraire et professeur au Collège de France, tâchait de rendre compte en 2015, dans un essai intitulé La Haine de la littérature, du fait que la littérature ne suscite en réalité pas tant de l’indifférence – heureusement, elle est même généralement acceptée, voire appréciée –, que la haine d’un petit nombre. Car elle menace ceux qui voudraient exercer seuls l’autorité ; elle menace les discours figés sur la vérité ; elle menace la morale ; enfin, elle menace la société. En bref, elle est subversive : « La littérature est le discours illégitime par excellence.» Il faudrait donc la faire taire, ou lui faire dire autre chose que ce qu’elle raconte.

Heureusement, pour lutter contre ce que Marx nomme l’anti-littérature, il y a le pape François et sa « Lettre sur le rôle de la littérature dans la formation », datée du 17 juillet 2024. « Lorsque je pense à la littérature, écrit le pape, je me souviens de ce que le grand écrivain argentin Jorge Luis Borges disait à ses étudiants : “Le plus important est de lire, d’entrer en contact direct avec la littérature, de s’immerger dans le texte vivant qui se trouve devant nous, plutôt que de s’attacher aux idées et aux commentaires critiques.” Et Borges expliquait cette idée à ses étudiants en leur disant qu’au début ils ne comprendraient peut-être pas grand-chose à ce qu’ils liraient ; mais, en tout cas, ils entendraient “la voix de quelqu’un”.»

Révolutionnaire ?

Publiée au cœur de l’été dans une indifférence quasi générale, cette lettre du pape n’a pas échappé à William Marx qui, dans une tribune parue dans Le Monde du 23 août, juge que le document pontifical constitue «un événement considérable pour tous les amoureux de la littérature».

Le professeur au Collège de France estime non seulement que le pape contredit une tradition de censure (explicite ou non) de l’Église, mais encore qu’il insiste sur des vérités essentielles. Par exemple sur le fait que « l’œuvre littéraire, qui n’est faite que de mots, de style et de symboles, exige du lecteur qu’il lui insuffle sa propre imagination et qu’il exerce ses propres pouvoirs de création et de représentation. » Mais il va plus loin : « Ce ne sont pas les œuvres édifiantes qu’il recommande de lire, mais toute la littérature sans exception. »

Citant Proust, Celan ou Cocteau, le pape François nous invite à nous laisser saisir par la littérature, «cette voie qui nous rend sensibles au mystère des autres » (la formule est du pontife romain). Si cela fait longtemps que nous n’avons pas goûté à la fiction romanesque, cette rentrée littéraire est l’occasion rêvée de le faire, sans préjugés ni arrière-pensées.

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