L’unité chrétienne, non derrière mais devant nous, nécessite le courage de se laisser imprégner de l’avis de l’autre pour une sagesse commune

Publié le par Michel Durand

Célébration oecuménique 2020 - Bayeux - Lisieux (Calvados)

Célébration oecuménique 2020 - Bayeux - Lisieux (Calvados)

Source de la photo

 

 

Cette page est à situer à la suite de celle du 13 décembre où je donne ma propre relecture du Chapitre XX de Le courage de penser l’avenir (Christoph Theobald) et de celle du 19 décembre où s’expriment, sur le sujet, Monique et Jean Marc.

 

Je note (comme déjà dit) que ce qu’exprime Cesar Baldi va dans le même sens.

 

Voici la relecture de Bernard.

 

Comment anticiper et construire un avenir commun entre les différentes confessions chrétiennes pour répondre selon la volonté du Christ Jésus : «Que tous soient un !» (Jn 17,11)

Dans le contexte œcuménique qui est le notre, nous devons nous demander comment la foi, l'amour et surtout l'espérance peuvent l'accueillir et, se laissant transformer par lui, le conduire au bout. L’unité n’est pas derrière nous mais devant nous. Elle nécessite le courage de se laisser imprégner de l’avis de l’autre pour une sagesse commune. Si les différentes Églises chrétiennes (luthériens, calvinistes, orthodoxes et catholiques…) ont de la peine à définir leur unité elles ont la force d’œuvrer ensemble pour le bien commun.

Elle se fera dans la patience et la prière pour plus de discernement. La condition essentielle de l’unité c’est qu’elle soit désirée. D’où l’importance, de ce que la tradition chrétienne appelle le « sensus fidei » point sur lequel insistent toutes les Églises chrétiennes. Cela nécessite de non seulement s’entendre mais de s’écouter dans une démarche synodale. « Église et synode sont synonymes »

Est-ce le moment favorable (le kairos) pour une nouvelle démarche œcuménique ? Une tension existe sur cette question due d’une part à la fragmentation générée par les Églises pentecôtistes et évangéliques et d’autre part par la situation actuelle postmoderne caractérisée par l’ordination des femmes, la place des minorités sexuelles, les interventions sur l’éthique biomédicale, etc. ainsi que l’émergence de toute sorte de pouvoirs financiers ou d’experts. Le savoir est amassé dans les big data et les outils (algorithmes) pour y accéder induisent que notre connaissance est partielle ce qui met en avant la complexité actuelle du vivre ensemble. On peut se demander si une telle cohabitation est possible sans vision commune de l'avenir.

Il y a une différence entre la foi officielle et la foi vécue. D'où l'actuelle tentative des autorités de faire appel au sensus fidei fidelium et à la synodalité pour donner la parole à tous ou à un maximum de fidèles et dépasser ainsi, autant que faire se peut, ce schisme vertical.

Il y a aussi une tendance à occulter la vérité au profit d’un engagement éthique pour la paix, l’attention aux plus pauvres, la sauvegarde de la création se contentant, pour le reste, d'une juxtaposition de nos communautés confessionnelles en favorisant les relations de bon voisinage. La vérité ne peut que se manifester, et se manifester dans une écoute commune.

Au point où nous en sommes, comment anticiper un avenir commun ? Il est nécessaire de passer outre aux malentendus et de ne pas vouloir imposer une doctrine d’une Église aux autres Églises. Cela nécessite de voir ce qui peut converger et ce qui est irréductible dans un nouveau concept, celui du « consensus différencié » qui nuance celui de la « hiérarchie des vérités » la référence de la vérité étant le symbole de Nicée-Constantinople. Des résultats, inimaginables en 1965, ont été obtenus par ces processus bilatéraux la « Clarification du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens » sur le Filioque en 1995 et surtout la signature de la Déclaration commune catholique et luthérienne sur la doctrine de la justification à Augsbourg en 1999.

Une pédagogie de l’unité est nécessaire. Le courage d'anticiper un avenir commun consisterait alors à développer un modèle d'unité et une vision ; vision qui serait d'ailleurs plus facile à communiquer et rendre recevable par le « sens de la foi » des baptisés que les résultats fragmentaires de dialogues qui restent greffés sur des contentieux que beaucoup de chrétiens ne comprennent même plus.

Des gestes significatifs ont été posés. On peut citer : le pèlerinage de Paul VI avec le patriarche Athénagoras à Jérusalem en janvier 1964 ; le geste du même pape qui s’agenouille en 1975 devant le métropolite Méliton, envoyé du Patriarche Dimitrios, pour lui baiser les pieds ; ou encore la visite, en 1966, de l'archevêque de Cantorbéry, Michael Ramsey. L'inauguration commune de l'année de commémoration de la Réforme en Suède avec le pape François. Le courage de l'anticipation consiste donc à accueillir l'autre qui m’est d'abord un étranger, en attendant avec patience que se produise le miracle du passage de l'asymétrie à la symétrie, quand l'hôte accueilli devient l'hôte qui accueille et vice versa.

Les deux démarches celle des gestes symboliques et celle du courage et de la patience dans le processus doctrinal laisse envisager le courage de dessiner progressivement une vision d’avenir, faisant appel à notre désir et à notre capacité de conversion individuelle et collective, activés dans la prière pour l'unité.

Le décentrement des églises sur leur vocation missionnaire va confirmer que l’Église ne vit pas pour elle-même mais pour transmettre le message de l’Évangile, message de paix, d’amour, de justice, de réconciliation, et annoncer le pouvoir de la Croix et de la Résurrection et l'attente de l'éternité. Et ceci se fera en écoutant le message des Églises sœurs. Le courage d'anticiper un avenir commun consisterait alors, comme il a été déjà suggéré plus haut, à faire passer les processus de dialogue du traitement des «vieilles oppositions confessionnelles » à une ré-interprétation commune de la vérité évangélique pour notre temps.

Le témoignage commun de la mission des Églises ne peut se faire ni en dehors des processus de dialogue menés sous l'autorité des différentes hiérarchies, dans le cadre du COE ou dans une relation directe entre telle ou telle Église, ni des structures synodales de celles-ci. Ce qui esquisse une image d’un modèle d’unité. Cela nécessite de combler une double carence : le manque de vision commune et le modèle d’unité qui serait prôné par une de nos Églises.

La parole de Dieu a été entendue au cours de l’histoire, mais reste à reconnaitre collectivement sa défaillance par rapport à la prière du Christ pour l'unité… Catholiques et Luthériens devraient toujours se placer dans la perspective de l'unité et non du point de vue de la division, afin de renforcer ce qui est commun, même si les différences sont plus faciles à voir et à sentir.

Une telle démarche repose sur ce que l’auteur appelle une ecclésiologie négative qui implique en effet un « ni... ni », bien connu dans toute la tradition théologique et appliquée ici à l'ecclésiologie : l'unité visible ne passera ni par un «retour» (à Rome ou à Constantinople), ni par une simple fédération œcuménique.

Seul un véritable respect devant l'altérité des traditions existantes, voire le désir de bénéficier du « charisme » propre de la tradition de l'autre, et donc l'acceptation initiale du « ni... ni » d'une ecclésiologie négative permettront peut-être de franchir ce mur. Le courage d'anticiper est ici poussé jusque dans ses ultimes retranchements spirituels.

Quant à la primauté du siège de Pierre, le pape François a affirmé dans son texte consacré à l'institution du synode romain : « Je suis persuadé que, dans une Église synodale, même l'exercice du primat pétrinien pourra recevoir une plus grande lumière. » … le Cardinal Ratzinger parlait en 1983 de « dogme œcuménique » -, à savoir d’une ecclésiologie synodale ou conciliaire, fondée sur la pluralité des Églises locales, chacune et l'ensemble des Églises impliquant, dans l'Eucharistie, l'interdépendance de la communauté et du « premier », l'évêque en tant que serviteur.

L'unité visible de nos Églises y pourrait alors être perçue comme « un signe levé parmi les nations » (Is 11, 12) « lumière du monde » et « sel de la terre » (Mt 5, 13-16), pour une pacification durable de nos pays et de leur environnement.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article