L'homme s'est inventé de nouveaux dieux : Argent
Le style de cette « confession » n'est pas toujours facile à lire. Chargées d'élans mystiques, les phrases sont longues, subtiles, nuancées. Les occasions de se perdrent sont nombreuses.
Je vous invite malgré tout à entrer dans les méandres de cette méditation. Vous n'en sortirez pas déçu. Les essentiels de nos existences y sont concernés.
LE MONDE RETENTIT D'UN HURLEMENT d'horreur. Les hurlements les plus effroyables sont les hurlements muets. Les hurlements rentrés. Enfermés dans la glotte. Ils doivent faire place sans cesse dans ce réduit à de nouveaux hurlements avortés. Le corps qui les contient étouffe de ne pouvoir éclater. Même les hurlements libérés sont affreux. Parfois, on croirait qu'à cette horreur se résume le monde. Horreur assourdissante. Hébétude au-delà de la souffrance. Ainsi de la brûlure extrême ou du mal d'amour. Ils paralysent la souffrance. Jusqu'à ce que la souffrance reprenne ses droits et sa revanche... Alors !... Parfois, souvent, presque toujours, c'est trop.
Courtes et insupportables les explications traditionnelles par le « péché ». Non que souvent elles ne vaillent. Peut-être valent-elles bien plus que le moraliste le plus austère ne le soutient. Il suffit de se connaître un peu. On sait bien, par expérience, qu'une seule pensée basse alourdit immensément le poids du monde. Et que dire d'une parole assassine ! D'un assassinat perpétré ! Assurément la faute humaine, la haine humaine, ou seulement l'égoïsme humain, l'indifférence humaine, creusent un cratère vertigineux dans le corps et l'âme du monde. L'homme, par son « péché », blesse non seulement soi, non seulement ses congénères, mais le monde tout entier, jusqu'à ses ultimes confins, s'ils existent. C'est un grand mystère que celui d'une si gigantesque disproportion entre l'insignifiance apparente de cet avorton éphémère et les effets presque infinis de ses manquements. Ne pas croire que, sous ces mots, se cache, ou que par eux se révèle, la ridicule prétention humaine à situer l'homme au centre de tout. Où se situe-t-il dans la prodigieuse aventure du temps et de l'espace ? Peut-être à la surface, à la marge, et peut-être au cœur du monde ; peut-être à la fois ici et là ? Qu'il ne s'accorde ni trop d'importance, ni trop peu. Qu'il sache au moins que si, comme il semble, rien de ce qui constitue le monde ne lui est accessible selon un autre point de vue que le sien, il ne s'ensuit pas que ce point de vue soit sans valeur, même s'il ne peut l'apprécier avec justesse. D'autant que le point de vue de l'homme sur le monde et sur soi-même lui fait constater, éprouver sa finitude, sa petitesse, et qu'en elles il pressent que réside son sens de l'infini et de la suprême grandeur. S'il en est ainsi - et comment ne pas le voir ! -, l'explication par le « péché» de l'horreur du monde et des hurlements emprisonnés ou libérés que cette horreur suscite en l'homme n'est pas si risible et si vaine qu'il y paraît.
Pourtant, à l'évidence, elle ne dit rien - ou si peu - des bouleversements du monde, dans lesquels l'homme est emporté comme un fétu. Quelles que soient les fautes de l'homme contre la demeure terrestre qui lui est confiée - et elles sont terribles, au point de rendre très aléatoires à court terme ses possibilités d'y survivre -, elles ne sont pas toutes coupables des tremblements de terre, des raz de marée, des cyclones... La majeure partie des catastrophes naturelles semble ne leur rien devoir. Rien ne dit que, par exemple, sous peu la terre ne soit pas écrasée par des corps célestes eux-mêmes emportés dans la ronde indifférente du cosmos... Si bouleversant de beauté nous paraisse et semble être vraiment celui-ci - tant qu'il y aura des regards humains pour s'en émerveiller -, on sait qu'il est le théâtre de violences inouïes, depuis sa naissance - que cette naissance ait été ou non précédée d'autres naissances, innombrables, et d'autres morts. Et l'on sait que de ces violences l'homme n'est ni responsable ni coupable : il les subit ; il essaie de les prévoir, de s'en protéger quand elles adviennent, d'en protéger aussi ses semblables en des mouvements de solidarité, de communion, d'amour infiniment plus significatifs et encourageants qu'ils ne sont dérisoires au regard de la puissance aveugle qui les ensevelit dans sa fureur.
Cette puissance furibonde, en effet, semble renvoyer à l'absurde les causes du malheur. À moins de croire en un Dieu mauvais, ou encore tantôt bon, tantôt mauvais, au gré de ce que nous ressentons comme ses caprices. Encore faut-il être bien naïf et bien vaniteux pour attribuer la violence des forces du chaos à un dessein divin sur nous, fût-il capricieux. La folie des hommes nous semble certaine et se charge tous les jours d'infliger le malheur, un malheur mortel, tant à eux-mêmes qu'à la nature. Mais ils savent qu'ils pourraient, qu'ils devraient la refréner et créer sur la terre, sinon les conditions du bonheur éternel, manifestement hors de leur portée, du moins celles d'une existence tolérable en sa fugacité. Il n'est jamais certain que les hommes, si bas qu'ils descendent, si cruellement qu'ils se comportent envers eux-mêmes et envers leur terre-mère, n'en viendront pas à une attitude plus raisonnable, plus mesurée, plus aimante, plus authentiquement vivable donc. La destruction totale et prochaine de l'homme par l'homme et, avec lui, par lui, celle de la nature qu'il a reçue en partage, même si elles sont devenues ces derniers temps l'hypothèse la plus plausible et peut-être la plus vraisemblable, ne sont pas inéluctables : l'homme peut se reprendre ; il peut encore se reprendre ; pour cette reprise de la raison sur la déraison il n'est peut-être pas trop tard, même si, à l'évidence, il est très tard. Tandis que le cosmos, l'effroyable violence qui sévit dans le cosmos, semblent parfaitement indifférents aux efforts bienfaisants de l'homme, autant qu'à sa folie destructrice. Pourtant tout retentit sur tout ; un vol de papillon, on le sait, a fortiori la pensée et l'action de l'homme, ses dispositions intérieures et leurs manifestations, bonnes ou mauvaises, justes ou injustes, confiantes ou défiantes, ouvertes à la vie ou refermées sur la mort. Tout cela est étrange. Beaucoup de croyants se soumettent - c'est le sens de l'islam, je crois : la soumission - à la volonté de Dieu. « C'était écrit. »1I ne reste plus à l'homme que la possibilité d'obéir ou de désobéir, sans que, d'ailleurs, son éventuelle désobéissance aux ordres divins altère si peu que ce soit la plénitude de conscience et de volonté divines : de cette désobéissance aussi, dût-elle être éternellement punie, on dira : « c'était écrit ». D'autres évoquent un « plan de Dieu ». Le judaïsme et le christianisme l'affirment. Selon ces voies, le monde, la vie ont un sens. II appartient à l'homme de le dégager et de le suivre, car Dieu lui a confié la terre, que, durement, il doit travailler, « à la sueur de son front » depuis la faute originelle, mais dont la vocation est de redevenir un jardin, aussi beau, plus beau peut-être même que le premier jardin, image et préparation du jardin d'éternité dont la mort de chaque homme juste lui ouvrira la porte. De telles voies sont consolantes. Elles encouragent à la purification du cœur et au bien agir. Elles sont humbles lorsqu'elles sont suivies avec sincérité, car elles récusent, même si les mauvaises herbes égoïstes du cœur y repoussent sans cesse, toute démarche intéressée. En profondeur, en vérité, elles exigent du pèlerin le don absolu et la pureté essentielle. Elles sont trop profondes pour s'illusionner sur la faiblesse de ceux qui empruntent leur chemin. Elles accueillent d'avance les chutes, les retours en arrière, la complicité avec l'esprit de négation, de possession. Mais elles sont riches de la miséricorde divine. Ce sont des voies qui incluent dans leur propos la remise en marche du pécheur. Elles considèrent en effet que « là où abonda le péché, a surabondé la grâce ». Parmi elles, la voie du Christ est sans doute la plus paradoxale et peut-être celle qui tente de répondre avec le plus de justesse aux aspirations de l'homme et à ce que, dans sa vie si brève et fragile, il peut considérer comme la plus raisonnable des raisons de croire au sens de l'existence et de la création, au sens de sa propre vie donc. Cet homme voit bien l'absurdité du monde. Il discerne la vanité de tout ce qui lui fut dit sur le sens du monde vers le Salut qu'une nouvelle religion, issue du judaïsme et du christianisme, appela le progrès. Le monde allait, cahin-caha, vers un mieux, vers un perfectionnement indéfini. Demain serait plus beau qu'hier et qu'aujourd'hui. L'effrayant XXe siècle aurait dû guérir l'homme d'une croyance aussi naïve, qui avait cru fonder sa légitimité sur la négation de Dieu... Signe du passage de l'enfance à l'âge adulte ! Le XXe siècle avait suffisamment illustré dans les camps nazis, les goulags soviétiques, les charniers maoïstes, la parole de Rabelais, selon qui « science sans conscience n'est que ruine de l'âme », pour que l'homme, eût-on pensé, fût guéri de ses illusions messianiques et prométhéennes, avec ou sans Dieu. Pourtant cela n'a pas suffi. L'homme s'est inventé un nouveau dieu, qu'à vrai dire il a toujours connu et adoré, mais qui n'avait jamais autant qu'aujourd'hui revendiqué et obtenu de ses esclaves un culte aussi exclusif. Ce dieu, c'est Mammon, l'argent, qui, seul, confère puissance, jouissance, et, seul conduit, sur les ruines du monde, au néant. L'homme s'est offert à un dieu dévorant qui ne lui offre d'autre horizon que le désespoir. Si ce dieu était sadique - et sans doute ne l'est-il même pas -, il ferait sentir à ses adorateurs sa haine aussi insatiable qu'implacable. Mais il n'est même pas méchant. Il a l'épouvantable visage d'une « non-méduse ", l'absence de visage du rien. L'homme, ne pouvant se satisfaire du rien, ne pouvant vivre sans perspective d'un salut, s'est inventé, contre Mammon, de nouveaux dieux, parfois très anciens, tel Celui dont la transcendance dispense de penser, le Dieu du « Tout Autre » et du « soumets-toi », ou encore ce dieu qui n'en est pas un et se donne comme voie de sagesse, de discipline du corps, de conscience progressive que tout est éternel recommencement, que les cycles divins naissent, s'épanouissent, périclitent, meurent, et renaissent, indéfiniment. Rayonne une grande beauté de cette invitation à se soumettre à la transcendance et une grande compassion dans l'invitation des voies de la sagesse à reconnaître la vie comme source unique de la souffrance et à préparer, par-delà le cycle indéfini des naissances, des morts, des renaissances, l'éternité ultime, celle de la béatitude du néant, d'un néant qui n'est pas celui, infernal, auquel mène Mammon, mais au contraire d'un néant de bienveillance, et d'Éveil.
Parmi tous ces sentiers de la forêt obscure de ce temps, demeure tracé le sentier du Christ. Lui aussi, lui surtout peut-être, prolongement du sentier d'Israël, a traversé les illusions du sens et, en leur nom, a souvent forcé, parfois jusqu'à la mort, les marcheurs récalcitrants, soit à filer doux, soit à tomber dans les précipices qu'il côtoyait. Ce sentier, à vrai dire, n'est pas le sentier du Christ, mais celui de trop de ceux qui, au long des siècles, se sont prétendus les guides sûrs de ce chemin, et d'ailleurs l'ont été, mais avec brutalité et en confondant leurs faibles lumières avec Sa Lumière. Aujourd'hui, peut-être voit-on briller avec un incomparable éclat, un éclat plus mystérieux que jamais, l'étoile qui, sur ce sentier, nous guide. Car le sentier du Christ, à la lueur de cette étoile, ne se donne pas comme un sentier d'où l'on contemplerait le sens du monde. Il se donne comme un sentier traversant l'absurdité et l'horreur du monde, l'assumant, au point de se perdre et de perdre le marcheur dans les ronces, parmi les fauves et les serpents, en pleine nuit, parmi les affolements, les détresses, les révoltes, la tentation de mourir avant le terme. Il se donne comme le sentier de l'impasse. Car il mène sur une colline ayant forme de crâne, du crâne du premier des morts. Le sentier du Christ ne permet pas d'expliquer le monde, encore moins de le dominer. Il invite à monter sur la croix, à mourir dans la souffrance. Mais à mourir non pour renaître, pour naître, pour naître à jamais, de telle sorte que le hurlement d'horreur du monde, que poussa le Crucifié Lui-même, ayant forcé ses poumons asphyxiés à le proférer, devienne, sur le monde entier, sur la totalité des temps, un chant de résurrection, le chant de la Résurrection.
Ma gratitude va à celui qui, le premier, marcha sur ce sentier et nous y accompagne. Elle va à tous ceux qui, sans l'emprunter, s'efforcent de donner du sens à ces choses qui n'en ont pas. Elle va, plus qu'à tous, à ceux qui, sans plus chercher de sens car ils n'y croient plus, ou plus guère, vivent comme s'il y avait un sens, parce que, plus qu'ils ne dénient le sens, par leur vie ils témoignent de l'Amour. Puissent-ils accepter que je mette une majuscule à ce mot.
Voilà un très grand mystère. « La science disparaîtra », dit saint Paul ; et « les prophéties », mais non « la charité », non « l'Amour ». « L'amour ne passera jamais.» L'apôtre parle des « vertus théologales » comme de la source intarissable de l'énergie du vrai croyant. Il en parle au présent. Il en parle pour ce temps. Pour le temps bref où se déroule ici-bas le fil de chaque vie humaine. Mais aussi pour le temps, à peine moins bref, qui s'étend du premier au dernier instant de l'aventure du genre humain. Il pense et affirme que l'aventure personnelle d'un homme singulier, autant que celle, universelle, de toute l'humanité, depuis son origine jusqu'à son terme, puise l'énergie de sa fidélité à sa vocation dans l'accueil intime, vivifiant, de ces trois vertus : la foi, l'espérance et la charité.
Mais, de la charité seule il dit qu'elle est éternelle, et qu'outre mort seule elle demeurera, la foi s'étant noyée dans le rayonnement du face-à-face entre l'homme et Dieu, l'espérance ayant été comblée par la vue éternelle de la face divine qu'ici-bas, sans la voir, elle espérait. «Voir ce que l'on espère, dit-il, ce n'est plus l'espérer. » Tandis que la charité, elle, sera sans fin, car elle ne se rassasiera jamais de la joie débordante dont elle sera pourtant pleinement rassasiée. La joie infinie d'aimer sans entraves Celui dont l'Amour infini ne se lasse pas d'aimer, puisqu'Il est l'Amour même.
Cet Amour est un inépuisable, un ineffable mystère. Il est déjà présent au cœur de ce temps éphémère où se déploient la foi et l'espérance. C'est à Lui qu'elles mènent, mais c'est Lui qui les attire à Lui. Un jour viendra, dit l'apôtre - le Jour sans déclin, éternel-, où l'Amour les aura pour toujours absorbées et seul, en tous, en tout, rayonnera.
Ce qui peut-être est le plus admirable, le plus étonnant, le plus subversif même, pour un croyant, ou - ce qui souvent revient au même - pour un homme qui se considère comme un croyant, même s'il traverse parfois, souvent, l'obscure vallée du doute, c'est l'avènement de l'Amour, du pur Amour, de l'Amour de charité, dès ce temps éphémère, dès à présent, sans le soutien de la foi et de l'espérance. Certains diront qu'en ce temps, sans la foi et l'espérance, l'Amour de charité ne peut se vivre. Il me semble avoir rencontré des êtres dépourvus de foi et d'espérance théologales - ou, ce qui revient au même, se considérant ainsi -, qui cependant savaient aimer d'un amour de charité, d'un amour sans retour sur soi, d'un amour qui donne tout, qui se donne lui-même, sans attendre un retour de la part du bien-aimé, ni une récompense venant d'un au-delà. L'amour de charité est un amour léger, discret, fidèle. Un amour joyeux, qui puise sa joie dans celle du bien-aimé. Ou, si le bien-aimé ne peut trouver la joie, dans l'adoucissement de sa peine. C'est un Amour qui inspire au bien-aimé la confiance, même si la confiance n'habite pas celui qui la transmet. C'est avant tout un Amour qui s'efface ou plutôt dans lequel, pour lequel s'efface celui qui le transmet. L'image de Jean le Précurseur me vient en mémoire. L'image de « l'ami de l'Époux ». Un ami qui dans son effacement devant l'Époux trouve sa joie et la déclare parfaite ; et qui, voyant l'Époux se préparant pour l'Épouse, proclame : « Il faut que celui-là grandisse et que, moi, je diminue. » Mais Jean avait espéré la venue de l'Époux, il croyait la voir s'accomplir sous ses yeux. L'espérance et la foi soutenaient son amour. Même si - et ce n'est pas le moins puissant de son témoignage - il viendra, étant dans l'obscurité de sa prison, à la veille de sa décapitation, à douter de Jésus. « Es-tu bien celui qui doit venir ou devons-nous en attendre un autre ? » lui fait-il demander par ses disciples.
Jean, celui dont le nom signifie « le Seigneur a fait grâce », n'en a pas moins aimé l'Epoux, dont la venue signifie son effacement, d'un pur amour de charité, soutenu par la foi et par l'espérance, jusqu'au temps où l'une et l'autre, pour un temps - car Jésus lui fit parvenir le signe prophétique de sa mission -, elles s'éclipsèrent pour lui dans la nuit de la solitude inconsolée et peut-être dans celle d'une tentation plus radicale.
Mais ceux vers qui va ma pensée n'ont peut-être jamais lu l'Evangile. Ou peut-être l'ont-ils rejeté, non comme livre d'amour - un tel rejet me semble impossible - mais comme livre d'espérance et de foi. Ma pensée va vers les incroyants, que ne consolent ni la foi ni l'espérance et qui pourtant, dès à présent, dès ce monde-ci, sont capables d'aimer d'un amour de charité. Sans doute n'aiment-ils pas toujours ainsi. Sans doute eux aussi, ni plus ni moins que les autres, cèdent-ils parfois à la lassitude, à l'égoïsme, au repli sur soi, à la cruauté peut-être - le cœur de l'homme, de tout homme, est « compliqué et malade ». Mais il m'est arrivé de constater et d'admirer - et à qui cela n'est-il arrivé ? - chez certains de ces êtres, au chevet d'amis malades par exemple, ou d'amis sombrant dans une désespérance aux effets dévastateurs, une compassion, une tendresse, une persévérance dans l'amour auxquelles je ne puis penser sans me dire que, par eux, qui ne croient pas en Dieu et n'espèrent pas en Lui, passe la lumière de Dieu et que leur amour est Son Amour même. Seulement je sais que je ne puis pas le leur dire et que je n'en ai pas le droit. Devant de tels êtres, on peut seulement essayer, discrètement, dans le silence du cœur, d'adresser à Dieu une prière de gratitude. Parce qu'ils nous paraissent remplis de sa grâce. Mais aussi parce que ce qu'ils font, ce qu'ils sont, ils le sont, ils le font en toute humilité, sans le définir, simplement parce que l'Amour, l'Amour seul les inspire.
Je me souviens d'une religieuse carmélite - elle aurait aujourd'hui plus de cent ans - me disant d'un ami communiste : « Monsieur... se fait de notre foi une idée si haute qu'il n'ose même pas s'interroger sur l'éventualité qu'il soit digne de la partager. » Cet ami, en effet, ne savait que l'aimer. Sans doute cette carmélite, et toutes les sœurs de la communauté, qui, pour la plupart, depuis, ont traversé le fleuve, avait-elle expérimenté, chez lui, que, dès aujourd'hui, la foi et l'espérance peuvent s'effacer dans le rayonnement de la charité. Pour tout croyant peut-être y a-t-il ici un mystère à méditer.