Fatmir et sa famille vont enfin connaître la paix en France
Un beau témoignage. Aimable efficacité des membres de RESF
Grâce à la mobilisation de tout un village de Lozère, la famille Jashari vient d'être régularisée « à titre humanitaire » alors qu'elle devait retourner au Kosovo, où elle était menacée de mort
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La Croix du 20 octobre 2008
CHAMBON-LE-CHâTEAU (Lozère), De notre correspondante régionale
Il est un traître à la Nation. En vertu du « kanun », le code coutumier albanais, Fatmir doit mourir. Parce qu'il a épousé en premières noces une Serbe. Parce qu'il
a démissionné de l'armée en 1991, aux préludes d'une sanglante implosion de la Yougoslavie, ne voulant pas « participer à des guerres civiles qui tuent des innocents ». Menaces, insultes, saccage
de son appartement, les persécutions vont crescendo. Jusqu'à la mort de son fils aîné, Ryanit, et l'accident de sa petite Artiola, renversée par une voiture.
Il n'y a alors plus que la fuite comme solution. En juillet 2007, Fatmir, Dulcimée et leurs cinq enfants trouvent refuge en France, aux confins de la Lozère, à Chambon-le-Château, un village rural de la Margeride, jusque-là plutôt indifférent au sort des étrangers de son centre d'accueil pour demandeurs d'asile (Cada). « Quand on est arrivés, je me suis cru sur une autre galaxie, raconte l'ancien officier. Je voulais partir. »
À présent, il veut rester, aux côtés de ses « amis », des anonymes qui ont sauvé sa famille d'une mort quasi certaine. Vendredi dernier, alors que Fatmir devait signer son obligation de quitter le territoire, la préfète de Lozère lui a accordé un titre de séjour d'un an pour raisons humanitaires. « C'est un grand jour, une seconde vie ! se réjouit le père de famille. Et c'est grâce à la mobilisation de nos amis qui nous ont toujours donné du courage. »
Tout s'est, en fait, passé très vite. Il y a un mois, les Jashari se voient refuser, en appel, leur demande de droit d'asile. Leur ultime espoir : convaincre la représentante de l'État d'user de son pouvoir discrétionnaire de régularisation. Des parents d'élèves, des professeurs, des proches et des élus demandent une audience spéciale en préfecture pour témoigner de leur attachement à cette famille. « J'ai été touchée par leur courtoisie et leur gentillesse, raconte Bénédicte, la marraine républicaine d'Artiola, 7 ans. J'ai noué des liens extrêmement forts avec cette petite. Je l'ai vue progresser, au point qu'aujourd'hui elle se chamaille avec son frère en français ! » Balade, pique-nique, partie de foot, ses cinq enfants ont partagé en dix mois « tant de choses » avec la famille Jashari que cette maman ne « concevait pas » leur départ.
Avec ceux qu'elle appelle « la bande », ils écrivent des dizaines de lettres de soutien pour dire la « volonté farouche et exemplaire » de ces Kosovars de s'intégrer dans notre société, en participant à la vie de l'école, en animant le club d'échecs, en apprenant le français et en obtenant d'excellents résultats scolaires pour les enfants, l'aînée Ronita en tête. Un de ses enseignants fait même de cette fillette de 13 ans la déléguée de sa classe, « un cas d'exception » qui pourrait « porter très haut les couleurs » de notre culture et de notre langue. Le maire de la commune voisine de Rocles, Raymond Martin, visiblement très ému, insiste : « Que fallait-il de plus ? Rester sur le sol français, cela se mérite. Et eux en ont fait la preuve ! »
Pourquoi cette famille-là plus qu'une autre ? Sans doute parce que c'était elle. « Fatmir avait envie d'échanger avec les gens, juste par envie, pas pour demander quelque chose en échange, raconte Joël, le mari de Bénédicte. Et je me suis rendu compte qu'on partageait les mêmes valeurs d'éducation, de laïcité, de droiture et d'honnêteté. » La mobilisation a donc été plus « affective » que militante. Les représentants de Réseau éducation sans frontières (RESF), qui étaient présents, n'ont d'ailleurs pas eu à intervenir, et le rejet par la Cour nationale du droit d'asile n'a pas été remis en cause.
« Avec leur régularisation, je suis profondément rassurée sur les valeurs de la France, avoue tout de même Bénédicte. Quand le droit d'asile leur a été refusé, je leur avais dit que je les aimais et qu'on allait se battre pour eux «shume» (beaucoup en albanais). »
Depuis jeudi, le temps est à la fête, aux pleurs de joie et aux remerciements. On évoque aussi, enfin, l'avenir. La mairie de Langogne, le chef-lieu de canton, semble avoir trouvé un logement à la famille et une minoterie a promis d'embaucher le père comme chauffeur-livreur. « Une fois installé, je demanderai la nationalité française pour moi et surtout mes enfants, insiste Fatmir. Jamais je ne retournerai au Kosovo. Sauf le jour où je serai mort. » Dans un élan de maturité, sa petite Ronita confirme : « Le Kosovo, c'est fini. La France, c'est tout pour moi. Maintenant, je suis en paix. » À 13 ans, elle rêve déjà de devenir avocate « pour défendre la liberté et la vérité ».