Écologie et solidarité

Publié le par Michel Durand

Je vous ai déjà parlé du colloque que "Chrétiens et Pic du pétrole" organise. Cette semaine, nous lançons l'information. L'homélie (voir ci-dessous) prononcée en juillet à Strasbourg par l'évêque du lieu en présence des différents pays membres du Conseil de l'Europe peut être choisie pour ouvrir le débat.
  • notre humanité a un urgent besoin de gens responsables et solidaires, d'économistes et d'ingénieurs, de juristes et de politiques, d'éducateurs et de paysans, d'artistes, de poètes et de mystiques, réconciliés avec leur condition d'enfants de la terre...
  • les plans d'action collective sont désormais nécessaires, comme le sont les actions de chaque citoyen -et donc de chaque chrétien- dans tous les domaines de la vie quotidienne ; et ceci pour consommer moins, partager plus et mieux prévoir en solidarité avec tous les humains, d'aujourd'hui et de demain.
Ethiopie, terre déboisée.

 


"Voici que le semeur est sorti pour semer... (Mt 13).


Cette célèbre Parabole trouve son explication dans la bouche même de Jésus : la Parole de Dieu, selon la qualité de notre écoute et de notre accueil, est stérile ou, au contraire, d'une grande fécondité. Pour une fois, Frères et Sœurs, nous ne méditerons pas l'habituelle leçon de cette Parabole, mais nous regarderons plus simplement encore, et plus gravement, le semeur, sa semence et son champ.

Par le passé, Victor Hugo nous y avait invité :

  • "C'est le moment crépusculaire,
    J'admire, assis sous un portail,
    Ce reste de jour dont s'éclaire
    La dernière heure du travail"...
    Et le poète contemple, ému,
    "le vieillard qui jette à poignées
    la moisson future aux sillons"...
    Il marche dans la plaine immense,
    Va, vient, lance la graine au loin,
    Rouvre sa main, et recommence,
    Et je médite, obscur témoin,
    Pendant que, déployant ses voiles,
    L'ombre, où se mêle une rumeur,
    Semble élargir jusqu'aux étoiles
    Le geste auguste du semeur"
    (Victor Hugo - Les chansons des rues et des bois)


De l'idéal au réel

De cette vision idéalisée des semailles, de ce rapport étroit, humble et vital, entre l'homme et la terre, qu'en est-il aujourd'hui ? N'y a-t-il pas déséquilibre, maltraitance, dérèglement ? Hélas, le divorce n'est pas d'aujourd'hui. Lamarck, scientifique presque contemporain du Poète, avertissait déjà : "L'homme, par son égoïsme... et par son insouciance pour l'avenir et pour ses semblables, détruit partout le grands végétaux qui protégeaient le sol, amène rapidement à la stérilité ce sol qu'il habite, donne lieu au tarissement des sources, en écarte les animaux qui y trouvaient leur subsistance et fait que de grandes parties du globe, autrefois très fertiles et très peuplées à tous égards, sont maintenant nues, stériles, inhabitables et désertes" (Extrait du "Système analytique des connaissances positives de l'homme").

Écrit en 1820, ce texte est, hélas, de trop brûlante actualité et c'est pourquoi, chers amis, partant d'un champ ensemencé, c'est toute la terre que je vous invite à regarder. Terre fragile pour une humanité désorientée, terre si belle et pourtant si maltraitée, humanité si aimée et pourtant si menacée !

Les raisons de s'inquiéter sont de plus en plus nombreuses, et enfin reconnues par la majorité de nos concitoyens : surexploitation des sols et des sous-sols, inégalité criante d'usage des ressources terrestres, inquiétude quant à l'approvisionnement et à la qualité des eaux, réchauffement climatique, augmentation des gaz à effet de serre, émission excessive de CO2, fonte rapide des glaciers, pollution de tous ordres et mauvaise gestion des déchets... De partout désormais, montent les cris d'alarme et les initiatives pour de nouveaux et meilleurs modes de vies, preuve d'une prise de conscience tardive mais solidaire.


Pas d'écologie sans solidarité

Sur ce chantier de l'Écologie, de la sauvegarde de la Création, Hommes et Femmes de tous pays, de toutes cultures et de toutes religions se sont rapprochés. Croyants et incroyants unissent leurs voix et leurs efforts : notre Terre est malade. Il nous faut la sauver !

Respecter la terre, c'est respecter l'Homme. Aimer l'humanité, c'est aussi aimer la terre. Tous les êtres sont nés sur une même terre, terre mère, terre nourricière. Une même destinée, une même solidarité les unit. Cette solidarité est au coeur de la question écologique.

En 1987, Jean-Paul II rappelait déjà : "Nous formons une seule famille humaine. Nous sommes frères et soeurs... Nous sommes appelés à reconnaître la solidarité fraternelle de la famille humaine comme la condition essentielle de notre vie commune sur terre". (Jean-Paul II, 1987, Journée Mondiale de la Paix).

À cet avertissement du Pape, répondaient, la même année, les Évêques de France : "À travers le signe de la création et le déroulement de l'histoire, tout homme peut découvrir et reconnaître à la fois la dignité de chaque personne et l'unité de la famille humaine. L'interdépendance entre les peuples et les régions du monde est de mieux en mieux perçue. La solidarité est une question morale, elle appelle la réponse de chacun et de tous ensemble".


Désormais, Dirigeants, citoyens et croyants se mobilisent

Au niveau des états, dès 1972, à Stockholm, se tint la première Conférence Mondiale sur l'Environnement et le Développement. En 1992, lors de la Conférence de Rio, le discours sur la dégradation de l'environnement avait relayé officiellement les appels des écologistes. Suivirent bien d'autres alertes et accords, tels le Protocole International de Kyoto sur les gaz à effet de serre, à l'UNESCO en 2005. Du Grenelle de l'environnement au récent G8, les Déclarations n'ont pas manqué. Les Institutions Européennes si présentes à Strasbourg, Conseil et Parlement, ne sont pas restées inactives. Depuis longtemps, elles ont produit études, appels et plans d'action. En Alsace, les esprits étaient prêts, voire même précurseurs ! Les conseils territoriaux ont créé des antennes pour la protection de l'environnement. Les municipalités et les écoles se disent concernées. Quant à nos Églises d'Alsace, leur rôle fut déterminant : que ce soit au sein des Églises protestantes, engagées depuis longtemps dans la promotion de l'Écologie, jusque dans la vie pratique des paroisses (comme y invita le Synode de l'ERAL de 2005 : "Rendre ce monde habité, habitable") ; que ce soit dans notre Église catholique où par le biais des Mouvements, Services et Associations, "Chrétiens en Monde Rural", "Pax Christi", "Justice, Paix et Sauvegarde de la Création", les consciences s'éduquent et les initiatives se prennent. Que ce soit chez nos frères orthodoxes, soutenus par les appels des Patriarches Bartholomeos 1er ou Alexis II venus tous deux en cette cathédrale ; que ce soit encore de façon oecuménique, comme au Colloque du Liebfrauenberg de 2005 :  "Vers une meilleure sauvegarde de la Création, développement durable et gestes civiques" ; ou lors des Symposiums de Klingenthal où se réunissaient scientifiques de tous pays et croyants de toutes religions, juive, chrétienne, musulmane, bouddhiste, etc., symposiums sur l'eau, les sols, les arbres ou les animaux...

En France, les dernières Semaines Sociales de 2007 avaient pour thème : "Vivre autrement, pour un développement durable et solidaire".

Mentionnons enfin, à la suite de célèbre Rassemblement œcuménique Européen de Bâle en 1989 (puis de Graz), celui de Sibiu (Roumanie) en 2007, placé sous le signe de la Protection de l'Environnement. Plusieurs d'entre nous y participaient : "Nous recommandons, déclare l'assemblée, d'étudier la responsabilité européenne en matière de justice écologique, face à la menace du changement climatique ; la responsabilité européenne pour une juste régulation de la mondialisation... Les blessures de l'Afrique ont touché le coeur de notre Assemblée... Nous recommandons d'appuyer les initiatives en faveur de l'annulation de la dette et pour la promotion du commerce équitable... Inquiets pour la Création, nous prions en faveur d'une plus grande sensibilité et un meilleur respect de sa merveilleuse diversité. Nous œuvrons contre l'exploitation sans vergogne de la Création "qui crie sa souffrance" (Rm 8,22) et nous nous engageons à travailler pour la réconciliation entre l'humanité et la nature..." (Extraits des Recommandations 8, 9 et 10).


La famille humaine a besoin d'une maison : cette maison c'est la terre

Depuis le Pontificat de Benoît XVI, comme au temps de Jean-Paul II, pas un trimestre ne se passe sans qu'un appel ne soit adressé en faveur de la sauvegarde de la Création. Son message du 1er janvier 2008 est particulièrement éloquent : "La famille a besoin d'une maison, d'un milieu à sa mesure où puissent se tisser des relations entre ses membres. S'agissant de la famille humaine, cette maison c'est la terre, le milieu que Dieu Créateur nous a donné pour que nous y habitions de manière créative et responsable. Nous devons avoir soin de l'environnement : il a été confié à l'homme pour qu'il le garde et le protège dans une liberté responsable, en ayant toujours en vue, comme critère d'appréciation, le bien de tous... Il ne faut pas que les pauvres soient oubliés, eux qui, en bien des cas, sont exclus de la destination universelle des biens de la Création... Si la protection de l'environnement a des coûts, il faut qu'ils soient répartis de manière juste, en tenant compte des différences de développement des divers pays et de la solidarité avec les générations futures... L'alliance entre l'être humain et l'environnement doit être le miroir de l'amour créateur de Dieu, de qui nous venons et vers qui nous allons" (Extraits du Message de Benoît XVI pour la Journée Mondiale de la Paix- 10 janvier 2008).


Pour changer le monde, changeons nos cœurs !

Vous l'aurez donc compris, Soeurs et Frères, notre humanité a un urgent besoin de gens responsables et solidaires, d'économistes et d'ingénieurs, de juristes et de politiques, d'éducateurs et de paysans, d'artistes, de poètes et de mystiques, réconciliés avec leur condition d'enfants de la terre. Elle a besoin de vrais jardiniers. La Création de Dieu a besoin de toutes ses créatures et d'une harmonie fraternelle régnant entre toutes. Pour changer notre monde, changeons nos cœurs ! Il y a donc une conversion à faire, un sursaut moral majeur, un changement radical de nos façons de penser, de communiquer et de nous déplacer, de travailler et de consommer. Il est temps d'associer à nouveau, goût de vivre et sobriété, usage et respect, bonheur et simplicité ! Maintenant que les alertes ont été lancées, les études et déclarations faites, les plans d'action collective sont désormais nécessaires, comme le sont les actions de chaque citoyen -et donc de chaque chrétien- dans tous les domaines de la vie quotidienne ; et ceci pour consommer moins, partager plus et mieux prévoir en solidarité avec tous les humains, d'aujourd'hui et de demain. De nouveaux liens sont donc à faire avec la nature, avec nos frères et sœurs et avec Dieu. N'est-ce pas ce qu'avait compris Saint-François d'Assise, Patron des Écologistes, lui qui, au prix d'une courageuse désappropriation, fit de toute sa vie une vaste oeuvre d'amour, de réconciliation et de fraternité et qui, dès lors, pouvait chanter :

  • "Très Haut, Tout Puissant et Bon Seigneur, à Toi Louange, Gloire, Honneur et toute Bénédiction...
    Loué sois-tu, Seigneur, dans toutes tes créatures, spécialement Messire Frère Soleil...
    Loué sois-tu pour Soeur Lune et les Étoiles... pour Frère Vent, pour Sœur Eau et pour Frère Feu...
    Oui, loué sois-tu, Mon Seigneur, pour Soeur notre Mère la Terre, qui nous porte et nous nourrit, qui produit la diversité des fruits, les fleurs diaprées et les herbes..." (Saint-François d'Assise, cantique de Frère Soleil).
+ Jean-Pierre GRALLET
Archevêque de Strasbourg, 13 juillet 2008, messe pour la France, Strasbourg.


Publié dans Politique

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