Devoir d'audace

Publié le par Michel Durand

Dans la ligne de ce que j'écrivais hier et en repensant à la parabole des talents, je souhaite revenir sur le devoir d'audace des chrétiens, ceux qui se mettent à la suite du Christ.


Je vous communique la méditation de Daniel Duiguou sur Matthieu 25, 14-30. On y retrouve ce que les enfants du catéchisme m'ont invité à dire. On y est bien situé par rapport à la crise financière qui secoue la Bourse.

Portrait de Luca Pacioli, attribué à Jacopo de Barbari.

Vivre, c'est se risquer.


Dans une première lecture de la parabole des talents, en cette période de crise financière qui secoue les Bourses mondiales, il est étonnant de trouver un Jésus qui fait l'éloge de la prise de risque et accorde, par le biais du Maître, une prime aux plus audacieux, une prime au « résultat » ! Ils sont nombreux aujourd'hui à regretter d'avoir joué avec le feu. Mais ici, Jésus n'encourage pas la spéculation. D'un exemple pris dans la vie économique au niveau « basique », il développe une spiritualité à travers une philosophie de l'action.


Ce que reproche le Maître au troisième serviteur de la parabole, ce n'est pas de n'avoir rien gagné, mais de n'en avoir pas pris le risque. « Timoré », lui jette-t-il à la figure. On est loin d'une philosophie « molle » : la vie n'est pas affaire de bons sentiments, mais d'un agir qui est tôt ou tard sanctionné. Elle n'est pas gratuite ; elle doit se gagner. Elle a un prix ; elle doit se mériter. Jésus n'était visiblement pas en faveur des assistés, des fainéants et des poltrons ! La vision de l'homme qu'il défend ici est d'ailleurs pertinente d'un point de vue psychologique. Au fond, il distingue les actifs des passifs. Or, vivre, c'est prendre des risques. Ne pas prendre de risques, c'est être un mort-vivant. L'homme ne peut se développer psychiquement qu'en quittant la position du tout-sécuritaire cher à l'homo-économicus d'aujourd'hui, bardé d'assurances « tout-risque », pour s'aventurer sur le chemin de la singularité et en prendre la responsabilité.


Dans la parabole, au-delà du risque, la colère du maître tient au fait que le troisième serviteur n'a pas cru au don qui lui était fait. Avec Matthieu, nous sommes d'abord dans le temps de la création. Dieu appelle l'homme à cocréer : il le met en position de sujet. À lui de choisir : sa décision sera le « jugement ». L'homme qui participe à la création vit ; celui qui n'entre pas dans cette dynamique meurt. Le troisième serviteur se condamne lui-même parce qu'il a peur de vivre ! La foi, ce n'est pas attendre tout de l'autre, mais inventer la vie au risque de se tromper, en étant soi-même dans la singularité de son désir, en bousculant ce qui l'en empêche, en entrant dans la subversion d'un ordre qu'impose le mouvement de la création. L'agir, cet agir-là, est le langage qui permet à l'homme de se réaliser, de naître à lui-même ; c'est le langage de Dieu.


Mais Matthieu s'adresse autant à ses contemporains, individuellement, qu'aux premières communautés, qui vivaient dans l'attente du retour de Jésus. Le risque était grand que les chrétiens attendent passivement, plus spectateurs qu'acteurs du monde, plus juges que participants à l'aventure de la création. Aussi, dans cette parabole, le maître qui part en confiant ses biens à ses serviteurs, c'est aussi Jésus qui responsabilise ses disciples et, au-delà, l'Église d'aujourd'hui : elle doit rendre des comptes devant l'histoire et devant Dieu de ce qu'elle a reçu. Nous sommes dans l'ère de la mondialisation : avec les satellites et surtout Internet, chaque village vit au rythme de la planète, et chaque homme devient un citoyen du monde. Plus que jamais, c'est dans l'actualité de son temps que l'Église doit répondre de ses actes et apprendre à se remettre en question. Une nouvelle culture, pour cette institution qui parfois donne l'impression de faire du sur-place. Un appel à une nouvelle conversion. À naître elle aussi à elle-même. À l'Église - et à chaque baptisé - de prouver dans ses actes, à la face du monde, qu'elle croit en ce qu'elle dit.

Daniel DUIGOU, La Croix 15-16/11/08



Publié dans Politique

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