Le pape peut-il être progressiste ?
J'ai ces derniers jours reçus plusieurs commentaires cherchant à me faire dire que je risquais de manquer de discernement en suivant ce que globalement les médias disent. Je me laisse avoir par eux parce qu'ils disent ce qui est faux.
Que des journalistes jouent avec la désinformation, cela semble certifier. Mais pourquoi affirmer que les medias ont tous l'intention de nuire. « C'est là que l'on voit les ravages des mensonges et de la manipulation médiatique », dit un commentaire. Pourquoi diaboliser ce métier de l'information et mettre tous les journalistes dans le même sac. En effet, je rencontre souvent des journalistes et je trouve qu'ils font bien leur travail. Je n'ai jamais eu à me plaindre des informations télévisées ou des articles rédigés à mon propos. Peut-être que si cela se produisait plus souvent ou si j'étais « politiquement » en vue... ?
Je voudrais aujourd'hui compléter une réponse faite à un commentaire, en publiant l'éditorial d'une revue : « Lyon Capitale » , avril 2009.
Les propos tenus par Benoît XVI au cours d'un voyage en Afrique ont provoqué un tollé en France, en même temps que la consternation des acteurs de la lutte contre le sida.
Comme beaucoup, j'ai été sonné par la formule rapportée en boucle par l'ensemble des médias : « le préservatif aggrave le sida ». Même si, précisons-le tout de suite, je n'ai jamais attendu d'un pape qu'il psalmodie dans toutes les langues, le dimanche de Pâques, le leitmotiv de Eyes Wide Shut. Du style : « Il ne nous reste qu'une chose à faire : baiser ! A vos capotes ! Urbi et Orbi ! ».
La polémique prenant de l'ampleur, je me suis surpris à aller plus loin et à rechercher ce que Benoît XVI avait dit précisément. Voici la citation : « Je dirais que l'on ne peut vaincre le sida
uniquement avec des slogans publicitaires. S'il n'y a pas l'âme, si les Africains ne s'aident pas, on ne peut résoudre ce fléau en distribuant des préservatifs : au contraire, cela risque
d'augmenter le problème. On ne peut trouver la solution que dans un double engagement : le premier, une humanisation de la sexualité ( ... ) et le second, une amitié vraie, surtout envers ceux
qui souffrent ».
Replacer des bribes de phrases dans leur contexte et tenter de garder intact son esprit critique est définitivement un bon exercice ! Tout ça pour ça ? ! Où est la révolution ? Rien de nouveau
sur le fond, si ce n'est cet appel à la responsabilisation en matière de rapports sexuels, quand l'Eglise se bornait jusqu'ici à prôner l'abstinence (une sorte de mensonge par omission), sans
jamais prononcer le mot tabou : « préservatif ». En dépit de cette incise sur le temporel, il ne faut pas perdre de vue que le pape est le garant suprême du dogme catholique*, dans lequel la foi
se confond totalement avec les croyances : une vérité fondamentale, incontestable et intangible, qui par essence ne peut se renier. A la différence de la pensée protestante -l'Eglise doit se
réformer sans cesse- le pape, lui, ne peut se tromper : il est « infaillible ».
Si critiquables que soient ses propos, si décalés qu'ils peuvent paraître à l'aune du seul rationalisme et si anachroniques en 2009, le souverain pontife ne peut donc les " »retirer » comme l'ont
demandé d'éminentes personnalités dans une lettre ouverte. Benoît XVI ne vit pas non plus « dans un autisme total », comme l'a affirmé un peu vite Alain Juppé : il est au contraire pleinement
dans son rôle et dans sa fonction quand il prône « un renouveau spirituel et humain impliquant une nouvelle façon de se comporter l'un envers l'autre ». Le pape défend un idéal soustrait à
l'emprise du temps, dans un monde qui peine déjà à vivre ici et maintenant.
Sur le terrain, en Afrique, en Asie comme en Amérique latine, la position de l'Eglise est généralement plus nuancée. De nombreux croyants -et même de prêtres- de tous continents sont choqués par
le côté froidement « doctrinaire » du successeur de Jean-Paul II, lequel n'était guère plus libéral mais savait choisir les mots et les symboles pour toucher le cœur des hommes, pratiquants ou
simples « catholiques par défaut ». La lettre contre l'esprit ? Ou une certaine illusion entretenue par une communication bien huilée au saint chrême ?
Une confusion des genres et de la pensée
En France, ces débats sont normalement tranchés depuis plus d'un siècle ! Car malgré quelques tentatives présidentielles de remise en cause, notre pays est encore celui de la laïcité, concept original qui garantit l'absolue liberté de conscience : il ne s'agit plus de combattre les religions ni d'en faire l'exégèse mais d'empêcher notamment qu'elles n'interfèrent avec le politique.
Or, la laïcité fonctionne dans les deux sens : en participant à l'emballement médiatique, notre ancien Premier ministre a offert un écho inattendu à des opinions qui n'auraient jamais dû investir
le champ républicain. Sans compter que cet engouement soudain pour l'Afrique, servi par une violence verbale inédite, est plutôt suspect dans la bouche de notre homme d'Etat, qui nous avait
habitués à plus de recul. L'occasion bénie de surfer sur l'opinion pour tenter un come-back politique plus moderne que moderne ? C'est hélas ce qui vient immédiatement à l'esprit.
Lisons un instant Blaise Compaoré, président du Burkina Faso et du Comité national de lutte contre le sida : « En France, f'intelligentsia ne comprend pas cette proximité avec les reet de
dispensaires ( ... ). Le débat sur le préservatif, tel que vous le présentez, ne nous êconcerne pas ».
De tels propos pourraient conduire certains de nos politiques à davantage d'humilité et de retenue : l'Occident en général et la France en particulier ne sont pas le centre du monde, qui
d'ailleurs n'en a pas ! Il faut cesser de prendre les Africains pour des canards sauvages !
Plutôt que de jouer les Peppone du XXIe siècle et de gloser sur ce que n'aurait pas dû faire ou dire Benoît XVI, le maire de Bordeaux, dont la voix porte encore, pourrait à l'avenir user de son
influence pour l'accès aux soins en Afrique (là est le véritable scandale) ou pour réclamer à sa majorité une hausse des crédits de la recherche contre le sida. Et en bon républicain, ne rien
attendre du pape. Chacun son rôle, chacun sa « mission » et Dieu, s'il existe, reconnaîtra les siens. Rien ne l' empêche non plus, après sa tentation de Venise, de prendre son bâton de pèlerin et
de céder à la tentation de Yaoundé : les ONG n'attendent pas seulement « la bonne parole » mais la bonne action au bon endroit.
On connaissait la lessive qui enlève la tache cachée dans le nœud du torchon. Juppé vient de découvrir la capote qui enlève le péché du monde .
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Didier Maïsto, Directeur de la publication
*Dans la tradition catholique, l'Église est « le corps vivant du Christ ». L'unité du dogme est par conséquent fondamentale. Toute atteinte à cette unité est une blessure infligée au corps du
Christ, donc un « sacrilège ».