Le pape peut-il être progressiste ?

Publié le par Michel Durand

J'ai ces derniers jours reçus plusieurs commentaires cherchant à me faire dire que je risquais de manquer de discernement en suivant ce que globalement les médias disent. Je me laisse avoir par eux parce qu'ils disent ce qui est faux.

Que des journalistes jouent avec la désinformation, cela semble certifier. Mais pourquoi affirmer que les medias ont tous l'intention de nuire. « C'est là que l'on voit les ravages des mensonges et de la manipulation médiatique », dit un commentaire. Pourquoi diaboliser ce métier de l'information et mettre tous les journalistes dans le même sac. En effet, je rencontre souvent des journalistes et je trouve qu'ils font bien leur travail. Je n'ai jamais eu à me plaindre des informations télévisées ou des articles rédigés à mon propos. Peut-être que si cela se produisait plus souvent ou si j'étais « politiquement » en vue... ?

 


Je voudrais aujourd'hui compléter une réponse faite à un commentaire, en publiant l'éditorial d'une revue : « Lyon Capitale » , avril 2009.



Les propos tenus par Benoît XVI au cours d'un voyage en Afrique ont provoqué un tollé en France, en même temps que la consternation des acteurs de la lutte contre le sida.

Comme beaucoup, j'ai été sonné par la formule rapportée en boucle par l'ensemble des médias : « le préservatif aggrave le sida ». Même si, précisons-le tout de suite, je n'ai jamais attendu d'un pape qu'il psalmodie dans toutes les langues, le dimanche de Pâques, le leitmotiv de Eyes Wide Shut. Du style : « Il ne nous reste qu'une chose à faire : baiser ! A vos capotes ! Urbi et Orbi ! ».


La polémique prenant de l'ampleur, je me suis surpris à aller plus loin et à rechercher ce que Benoît XVI avait dit précisément. Voici la citation : « Je dirais que l'on ne peut vaincre le sida uniquement avec des slogans publicitaires. S'il n'y a pas l'âme, si les Africains ne s'aident pas, on ne peut résoudre ce fléau en distribuant des préservatifs : au contraire, cela risque d'augmenter le problème. On ne peut trouver la solution que dans un double engagement : le premier, une humanisation de la sexualité ( ... ) et le second, une amitié vraie, surtout envers ceux qui souffrent ».


Replacer des bribes de phrases dans leur contexte et tenter de garder intact son esprit critique est définitivement un bon exercice ! Tout ça pour ça ? ! Où est la révolution ? Rien de nouveau sur le fond, si ce n'est cet appel à la responsabilisation en matière de rapports sexuels, quand l'Eglise se bornait jusqu'ici à prôner l'abstinence (une sorte de mensonge par omission), sans jamais prononcer le mot tabou : « préservatif ». En dépit de cette incise sur le temporel, il ne faut pas perdre de vue que le pape est le garant suprême du dogme catholique*, dans lequel la foi se confond totalement avec les croyances : une vérité fondamentale, incontestable et intangible, qui par essence ne peut se renier. A la différence de la pensée protestante -l'Eglise doit se réformer sans cesse- le pape, lui, ne peut se tromper : il est « infaillible ».


Si critiquables que soient ses propos, si décalés qu'ils peuvent paraître à l'aune du seul rationalisme et si anachroniques en 2009, le souverain pontife ne peut donc les " »retirer » comme l'ont demandé d'éminentes personnalités dans une lettre ouverte. Benoît XVI ne vit pas non plus « dans un autisme total », comme l'a affirmé un peu vite Alain Juppé : il est au contraire pleinement dans son rôle et dans sa fonction quand il prône « un renouveau spirituel et humain impliquant une nouvelle façon de se comporter l'un envers l'autre ». Le pape défend un idéal soustrait à l'emprise du temps, dans un monde qui peine déjà à vivre ici et maintenant.


Sur le terrain, en Afrique, en Asie comme en Amérique latine, la position de l'Eglise est généralement plus nuancée. De nombreux croyants -et même de prêtres- de tous continents sont choqués par le côté froidement « doctrinaire » du successeur de Jean-Paul II, lequel n'était guère plus libéral mais savait choisir les mots et les symboles pour toucher le cœur des hommes, pratiquants ou simples « catholiques par défaut ». La lettre contre l'esprit ? Ou une certaine illusion entretenue par une communication bien huilée au saint chrême ?


Une confusion des genres et de la pensée

En France, ces débats sont normalement tranchés depuis plus d'un siècle ! Car malgré quelques tentatives présidentielles de remise en cause, notre pays est encore celui de la laïcité, concept original qui garantit l'absolue liberté de conscience : il ne s'agit plus de combattre les religions ni d'en faire l'exégèse mais d'empêcher notamment qu'elles n'interfèrent avec le politique.


Or, la laïcité fonctionne dans les deux sens : en participant à l'emballement médiatique, notre ancien Premier ministre a offert un écho inattendu à des opinions qui n'auraient jamais dû investir le champ républicain. Sans compter que cet engouement soudain pour l'Afrique, servi par une violence verbale inédite, est plutôt suspect dans la bouche de notre homme d'Etat, qui nous avait habitués à plus de recul. L'occasion bénie de surfer sur l'opinion pour tenter un come-back politique plus moderne que moderne ? C'est hélas ce qui vient immédiatement à l'esprit.


Lisons un instant Blaise Compaoré, président du Burkina Faso et du Comité national de lutte contre le sida : « En France, f'intelligentsia ne comprend pas cette proximité avec les reet de dispensaires ( ... ). Le débat sur le préservatif, tel que vous le présentez, ne nous êconcerne pas ».


De tels propos pourraient conduire certains de nos politiques à davantage d'humilité et de retenue : l'Occident en général et la France en particulier ne sont pas le centre du monde, qui d'ailleurs n'en a pas ! Il faut cesser de prendre les Africains pour des canards sauvages !


Plutôt que de jouer les Peppone du XXIe siècle et de gloser sur ce que n'aurait pas dû faire ou dire Benoît XVI, le maire de Bordeaux, dont la voix porte encore, pourrait à l'avenir user de son influence pour l'accès aux soins en Afrique (là est le véritable scandale) ou pour réclamer à sa majorité une hausse des crédits de la recherche contre le sida. Et en bon républicain, ne rien attendre du pape. Chacun son rôle, chacun sa « mission » et Dieu, s'il existe, reconnaîtra les siens. Rien ne l' empêche non plus, après sa tentation de Venise, de prendre son bâton de pèlerin et de céder à la tentation de Yaoundé : les ONG n'attendent pas seulement « la bonne parole » mais la bonne action au bon endroit.

On connaissait la lessive qui enlève la tache cachée dans le nœud du torchon. Juppé vient de découvrir la capote qui enlève le péché du monde .


  • Didier Maïsto, Directeur de la publication


*Dans la tradition catholique, l'Église est « le corps vivant du Christ ». L'unité du dogme est par conséquent fondamentale. Toute atteinte à cette unité est une blessure infligée au corps du Christ, donc un « sacrilège ».


Publié dans Eglise

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V
Bonjour,Si je puis me permettre, mon Père, vous faites erreur sur un point. Le Pape n'a pas besoin du collège des Evêques pour engager son infaillibilité et pour exercer son magistère, alors que l'inverse est vrai (les évêques sans le Pape ne peuvent jamais être infaillibles). C'est la théologie catholique la plus sure (la tête peut sans le corps, mais le corps ne peut rien sans la tête), confirmée lors de Vatican II (Lumen Gentium).Par ailleurs, le magistère (et donc le pape) n'a pas besoin d'engager son infaillibilité pour que les catholiques soient tenus à un "assentiment religieux de leur esprit" (CEC 892).  Enfin, le magistère infaillible du Pape ne se limite pas au magistère extraordinaire. Le magistère ordinaire universel étant lui aussi infaillible.Bien à vous,vhp
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M
<br /> Aujourd'hui, lundi, j'ai enfin trouvé le temps d'écrire les pensées que m'ont laissées votre commentaire. Mon texte est assez long. Aussi je préfère le placer dans une page du blogue et non dans la<br /> partie réservée au commentaire.<br /> Nous sommes le lundi 25 mai. Donc voir à ce jour.<br /> Avec mes amicales salutations.<br /> <br /> <br />
M
à la différence de la pensée protestante -l'Eglise doit se réformer sans cesse- le pape, lui, ne peut se tromper : il est « infaillible »Attention ... même en étant ultra-montaniste, on peut dire que la pape peut se tromper.En effet l'infaillibilité pontificale - si tant est qu'on l'accepte -  ne vaut qu'ex cathédra et dans le domaine du dogme.En ce qui concerne les propos sur le préservatifs, il me semble qu'il ne s'agit pas là d'une question de dogme, mais tout au plus d'éthique. De plus un interview dans un avion n'est pas une proclamation ex cathédra. (N'oublions pas d'ailleur que le 3ème concile de Constantinople a condamner  le pape Honorius, sans compter que des déclarations comme Nostra Aetate me semble être en contradiction avec des textes comme le syllabus de Pie IX)"il est au contraire pleinement dans son rôle et dans sa fonction quand il prône « un renouveau spirituel et humain impliquant une nouvelle façon de se comporter l'un envers l'autre »" certes, il est là dans son rôle. Mais lorsqu'il affirme que le préservatif risque de contribuer à l'augmentation du SIDA, il tranche dans une discussion qui existe dans la communauté scientifique, certain scientifique considérant que les campagnes en faveur du préservatifs diminue la contagion, d'autre qu'elles l'augmentent (à cause de l'augmentation de l'infidélité). Dès lors, il me semble qu'il sort de son rôle.
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M
à la différence de la pensée protestante -l'Eglise doit se réformer sans cesse- le pape, lui, ne peut se tromper : il est « infaillible »Attention ... même en étant ultra-montaniste, on peut dire que la pape peut se tromper.En effet l'infaillibilité pontificale - si tant est qu'on l'accepte -  ne vaut qu'ex cathédra et dans le domaine du dogme.En ce qui concerne les propos sur le préservatifs, il me semble qu'il ne s'agit pas là d'une question de dogme, mais tout au plus d'éthique. De plus un interview dans un avion n'est pas une proclamation ex cathédra. (N'oublions pas d'ailleur que le 3ème concile de Constantinople a condamner  le pape Honorius, sans compter que des déclarations comme Nostra Aetate me semble être en contradiction avec des textes comme le syllabus de Pie IX)"il est au contraire pleinement dans son rôle et dans sa fonction quand il prône « un renouveau spirituel et humain impliquant une nouvelle façon de se comporter l'un envers l'autre »" certes, il est là dans son rôle. Mais lorsqu'il affirme que le préservatif risque de contribuer à l'augmentation du SIDA, il tranche dans une discussion qui existe dans la communauté scientifique, certain scientifique considérant que les campagnes en faveur du préservatifs diminue la contagion, d'autre qu'elles l'augmentent (à cause de l'augmentation de l'infidélité). Dès lors, il me semble qu'il sort de son rôle.
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M
<br /> Et l'histoire montre de nombreuses erreurs de pape. Vous savez, les conditions de l'infaillibilité sont tellement strictes que les théologiens parlent assez peu de l'infaillibilté papale. Est avant<br /> tout requis l'assentiment de l'ensemble du collège des évêques.<br /> <br /> <br />