Témoigner d'un Dieu trop grand

Patrick Royannais, curé de St Augustin - Ste Elisabeth Lyon, dans son dernier article pour la feuille paroissiale a rédigé un article bien ancré dans notre actualité ecclésiale. L'institution, explique-t-il a peur de l'amour parce que l'amour n'est pas raisonnable. Sur quel chemin inconnu peut-il entraîné ? Ne risque-t-il pas de bouleverser les habitudes sociales et religieuses ? Je pense aux Jésuites en Indes et en Chine... L'affaire des rites ! « Nous préférons les normes et les dogmes ; l'amour et dangereux ». L'Evangile aurait-il pu revêtir des vêtements extrêmes orientaux ?
Dans ses lignes j'ai repensé au peu que je connais de Jean de la Croix, aux théologiens qui furent interdits d'enseigner avant leur reconnaissance. Page mystique ? Assurément, pas facile à comprendre ; je dois avouer que je n'ai pas tout compris. Mais je perçois, me semble-t-il l'essentiel. Nous sommes bien petits, trop petits au milieu des frères, ni pères, ni docteurs ou monseigneurs, Bien petit devant l'unique Maître, le seul qui sche parler à l'unique Père, celui que l'on dit être aux cieux.
Voilà son texte : Amis de l'époux
L'ami de l'époux se réjouit de la joie de l'époux, tout à son épouse. Il en oublie qu'il est aussi l'épouse. Et cet oubli, son effacement, sa vie, creuse en lui une douleur terrible. Ainsi en va-t-il de tout disciple. Celui qui suit est précurseur avec le Baptiste, index.
L'humanité est épousée par son créateur et sauveur, et nous autres, qui avons l'heur de l'entendre, nous nous réjouissons, amis de l'époux. Comment avons-nous entendu ? Nulle part ailleurs que dans la réponse que nous avons essayé d'articuler après et avec bien d'autres. Pas de parole dans ce récit, pas de voix qui s'entendent, mais sur toute la terre en paraît le message et la nouvelle paraît aux milites du monde (Ps 18/19).
Ainsi nous sommes ce que nous avons reçu. Il n'y a pas d'abord l'appel puis la réponse comme une cause suivie de son effet. Nous ne sommes pas d'abord pour ensuite recevoir. Il y a d'abord le don et nous sommes. Le premier, il nous a aimés (1 Jn 4). Et nous portons cette bénédiction comme un fardeau, parce que c'est inaudible, parce que c'est trop. Un Dieu qui ainsi se livre, qui pourrait l'entendre ? Elle est dure cette parole ; qui petit l'écouter ? (Jn 6)
Nous préférons les normes et les dogmes ; l'amour est dangereux. Platon le disait pauvre et rusé. Il brûle comme un feu qui dévore tout. Les théoriciens de la débauche ou de l'hédonisme comme les moralistes rigoristes et forcément hypocrites disent la même peur de cette fougue. Alors on domestique l'amour et avec lui le cœur de l'homme, et aussi Dieu ; on l'aménage. L'institution se pense chargée de régir ces arrangements ; il faut organiser le bonheur quitte à le restreindre, quitte à réduire la liberté. L'institution sait ce qui est bien. Elle tient au vrai sur l'amour plus qu'à l'amour. Or seulement lorsqu'amour et vérité se rencontrent et que justice et paix s'embrassent, l'homme est le vivant, la gloire de Dieu.
L'amour nous a précédés et la vie en nous n'est jamais source. C'est à y consentir, aussi difficile que ce soit, que l'on peut obéir au commandement : Donnez leur vous-mêmes à manger (Mt 14). Mission impossible, folle, sauf à la recevoir comme une vocation. La réponse que nous sommes est responsabilité des frères.
Il n'y a que des frères. Il n'y a pas de Père sinon celui qui est au ciel, de maître, sinon le Seigneur serviteur. Aucune prérogative, aucun monopole en la matière, aucun souverain, même pontife. Toutes les éminences et les superlatifs sont mensonge parce qu'il n'en est qu'un qui soit vraiment le serviteur et le maître, l'agneau et le pasteur; nous revient d'être les amis de l'époux et de nous réjouir d'être ce qu'il nous offre. Nous partageons une seule et même joie, celle de nous tenir là, pour entendre la voix de l'époux.
La Pâque, c'est-à-dire le passage par la mort dont il nous rappelle pour la vie, continue à faire mal. Le jardin d'agonie, du combat, le sang et la sueur coulent encore de la tête dont nous sommes les membres. « L'homme c'est la Joie du Oui dans la tristesse du fini » (Ricœur), ou l'impossibilité du Oui dans la fragmentation mirifique du fini. La Pâque continue à faire mal parce que ce que nous vivons est trop grand et c'est pourtant notre vocation, le Dieu plus grand. Ce que nous vivons est trop grand. Comment y parviendrons-nous ? Notre attachement au Christ et à son corps est bien petit par rapport au don qu'il nous fait d'être attachés à lui. C'est cette disproportion qui est notre souffrance.
Nous sommes trop petits. Comment ne pas s'en affoler ? Comment ne pas s'y arrêter ? Comment transformer cela en témoignage, et d'abord pour nous ? C'est la démesure divine. C'est, finalement,
qu'il nous aime, notre tourment, parce que c'est trop. Il faudrait seulement consentir à ce don, et la joie sera parfaite. Mais tant que nos frères meurent encore, nous languissons. « Le Christ
est le grand-prêtre du bonheur qui vient ».(He 9,11)
Patrick ROYANNAIS