Un délit peut-il être producteur de graines saines ?

Publié le par Michel Durand

Par Robert Beauvery

la Bible, déjà, présente Dieu lui-même comme un contradicteur, voire destructeur, d’un ordre établi par la volonté luciférienne, puissance des hommes, dont le récit mystique de la ville de Babel offre un des plus express par exemple.

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Il ne s’agit, surtout pas, de faire l’apologie systématique du délit : comment pourrions-nous appeler blanc ce qui est noir ? ou ignorer le tort fait aux victimes ? c’est impossible.

Cependant, des faits, historiques et irréfutables, témoignent de l’existence des délits, jugés et condamnés par l’autorité en place, gardienne officielle du bien commun, qui étaient réellement porteurs de bonnes graines. L’exemple le plus connu est celui que commit Galilée lorsqu’il prétendit, à juste titre, que la terre n’était pas le centre du monde, mais un simple satellite, parmi beaucoup d’autres, qui tournait autour de plus grand qu’elle, le soleil. Un vrai délit, commis contre le patrimoine empirique, enraciné dans les siècles et parfaitement intégré dans la pensée sociétale contemporaine, souveraine…

La condamnation drastique de Galilée témoigne pour le moins de la difficulté, éprouvée par les hommes de son temps, à accepter un accès nouveau à l’intelligence de la marche du monde, historique et cosmique ; prisonniers qu’ils étaient d’un stade provisoire de l’évolution…un provisoire qu’ils ont refusé d’abandonner lui donnant le statut de définitif. La question redoutable est posée :

Comment distinguer un délit fructueux de tous ceux qui ne le sont pas ?

 

  1. 1.    A l’aide du vocabulaire :

Pour le simple jeu de l’évolution sémantique, le substantif « délit » désigne aujourd’hui, dans la langage courant et réducteur, une faute ou un ensemble : « le corps du délit », répréhensible par les services publics de Police, de Gendarmerie, de Tribunal correctionnel, à l’endroit du « délinquant ».

Le sens étymologique, lui  d’origine latine « delinquere » qui signifie en français, abandonner, offre au « délit » une gamme d’extension bien au-delà des limites judiciaires, tout en conservant la base, à savoir : l’idée de faute…par rapport à quoi ? à qui ?

La Bible, dont la lecture ne nécessite pas des yeux de croyants,  décèle des trésors de sciences es-humanité que des yeux normaux peuvent découvrir et, avec sagesse, s’approprier.

 

  1. 2.    Jésus de Nazareth serait-il un délinquant ? …

Naguère, un exégète allemand a tenté d’établir le décompte des « délits » par rapport aux prescriptions juridiques de la Loi de Moïse et aux traditions des Anciens, commis par Jésus de Nazareth ; comme, par exemple : s’approcher et toucher un lépreux, cf. Mc. 1.40 : entrer et partager le pain et sel, dans une maison interdite, excommuniée, cf. Mt. 11,19 ; boire de l’eau dans une cruche samaritaine, cf. Jn. 4, 7-9 ; etc… Autant de « délits » qui rendent légalement impur Jésus de Nazareth au point de lui interdire l’entrée dans le Temple de Jérusalem pour durée de « jours » au prorata de la gravité du délit commis. Plus de 200 jours, selon les calculs de l’exégète allemand.

Les autorités juives : religieuses, administratives et intellectuelles ont, de fait, présenté Jésus au Tribunal suprême de Pilate, le gouverneur romain non seulement comme un « délinquant », Cf. Mt.27,13 ; Jn.18,30, mais encore comme un agitateur politique dangereux, cf. Jn 19, 1-12, qui méritait la peine capitale et, qui plus est, la crucifixion réservée à des criminels particulièrement indignes… Ces autorités n’ont pas su interpréter la signification des « délits » commis par Jésus. Ils n’impliquaient aucune faute morale de la part du délinquant. Bien plus, ils produisaient des graines saines, susceptibles de conduire la Loi à sa perfection, si elles étaient reçues par les hommes, dans la bonne terre de leur conscience et de leur énergie, cf. Mt.5,20 s ; 13, 18-23.

Des graines de libération en faveur de ceux qui ployaient sous le poids des lois pharisiennes, un lourd fardeau que les législateurs s’abstenaient de porter. La loi évangélique, elle, proposée à la liberté de l’homme par celui qui est doux et humble de cœur,  initie à un chemin de re-positionnement salutaire et fécond. Cf. Mt. 11, 28-30.

 

Bien avant le parcours historique de Jésus avec les « délits » répétés, la Bible, déjà, présente Dieu lui-même comme un contradicteur, voire destructeur, d’un ordre établi par la volonté luciférienne, puissance des hommes, dont le récit mystique de la ville de Babel offre un des plus express par exemple.

  1. 3.    Grandeur de Babel… détruite par Dieu.  Gn. 11, 1-9.

La brillance de Babel repose sur une réussite parfaite de la société qui l’a produite, aux multiples facettes : 1) unicité de vocabulaire, de langage, de culture étendue à « tout le monde » sans aucune exception ;  2) maîtrise de la transformation des matériaux, offerts par la nature, en l’occurrence la glaise, par la cuisson au feu et au four ;  3) Capacité intellectuelle à concevoir des plans d’architecte, pour élever du sol des constructions dont la hauteur est censée ne pas avoir de limites, sauf au toucher de la voûte céleste ;  4) Gouvernance politique de la « ville » dont les limites s’étendent aux extrémités de la terre, unique et toute puissante ; etc … Bref, l’ensemble de ces « réussites » génère dans l’esprit des auteurs, l’idée qu’il ne s’agit que d’un début et que « désormais aucun dessein ne sera pour eux irréalisable » Gn. 11,6.

Aujourd’hui, encore, comme hier, les promoteurs de croissance à tout venant ne sont-ils pas animés par la même idée  et les mêmes prospections ?  N’exposent-ils pas « leur » croissance aux actes de décroissance ?  Toujours, selon une expression littéraire de genre mythique, genre qui véhicule des  vérités permanentes, transcendantes aux lieux et aux temps, le récit biblique présente plusieurs évaluations relatives à la brillance de Babel. Elles sont toutes négatives : la mondialisation promue, tant sur le plan culturel que politique, étouffe la multiplicité des vocabulaires et des langues, fruits expressifs de la liberté et de l’enracinement des hommes dans un  « pays » unique… elle étouffe aussi les germes qui véhiculent des vérités permanentes, transcendantes aux lieux et aux temps, formes de gouvernances mises en place par ceux qui se sont adaptés à la géographie physique, économique, historique de « leur » pays ; ils l’ont rendu habitable et futile dans la diversité. Les progrès de Babel, eux, étaient mortifères, sans effusion de sang certes, et partout constituaient des crimes contre l’humanité, réduite à l’asservissement impérialiste. Le mythe de Babel tout au long de l’histoire et jusques et y compris au XXè s. s’incarne dans des empires tout autant mortifères, comme si les leçons du passé n’avaient rien appris aux insensés. Et, chaque fois, comme après la ruine de Babel, les hommes ont à repartir à zéro, après la  croissance à tout vent, dans la décroissance, comme sur une immense tabula rasa ; base providentielle d’un nouveau départ pour construire une cité plus libre, plus respectueuse des droits de chacun, plus fraternelle.

Conclusion

Oui ! il existe dans l’histoire, des exemples de « délits » producteurs de graines saines proposées à la liberté de chacun.

Pour les distinguer des autres délits purement négatifs, il existe quelques critères à manier avec sagesse :  1) le délit producteur n’inclut pas de faute morale de l’auteur : s’il assume une illégalité par rapport aux normes en cours, il est légitime. Naguère lors d’une grève très grave de mineurs canadiens, le Cardinal ROY avait déclaré : « la grève est illégale mais elle est légitime ;  2) Le délit producteur implique une rupture, un laisser-de côté, Cf. « relinquere » par rapport aux normes obsolètes reçues, un « sortir de » dont la réception par les contemporains n’est pas immédiatement assurée, il est soumis à l’épreuve de la longue durée, cf. l’affaire Galilée.  3) l’auteur du délit constructeur tire sa force de la compétence acquise, d’un jugement objectif et désintéressé, d’une posture de serviteur… pour essayer d’engranger, avec les autres, sans exclusion partisane, une étape nouvelle des « vivre ensemble »


Publié dans Anthropologie

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