Continuons à réfléchir sur le travail
Le travail
Il est cité à plusieurs fois dans les épreuves de philosophie :
- Que vaut l'opposition du travail manuel et du travail intellectuel ? (Série S - scientifique)
- Que gagnons-nous à travailler ? (Série ES - économique et social)
Le contrepoint du travail, le loisir, est également à l’honneur avec des sujets qui situent par rapport au réel :
- L'art nous éloigne-t-il de la réalité ? (Série Technologique, série TMD - technique et musique de la danse)
- Les oeuvres d'art sont-elles des réalités comme les autres ? (Série L -littéraire)
- Le désir peut-il se satisfaire de la réalité ? (Série S -scientifique)
Que vont répondre les étudiants ?
Des enseignants interviewés par France-inter ont répondu que de tels sujets sur le travail comportaient le risque de trop collés à l’actualité. « Il faut savoir prendre de la distance par rapport à l’actualité pour bien saisir la portée de ces sujets ».
Des lycéens ont spontanément répondu « qu’à travailler, on gagne de l’argent ».
À quoi pensent les bacheliers pendant quatre heures ? J’aimerais bien lire quelques copies. Elles nous montreraient assurément, tout le besoin que nous avons de sortir la réalité du travail de sa contrepartie financière.
Débats conviviaux
Cet approfondissement intellectuel demande un vaste débat, d’authentiques consultations.
Quand la société civile parle de démocratie citoyenne participative, l’Église devrait considérer avec plus de concret et de réalisations, l’avantage des rencontres communautaires, synodales, ecclésiales, fraternelles qui prennent source dans l’Évangile. Un esprit conciliaire, collégial devrait accompagner la recherche de sa présence dans le monde alors que se multiplient les signes où l’esprit associatif émanant des baptisés est centralisé vers un unique décideur.

Un article de la Croix (9 et 10 juin) signé du Père Jean-Yves Calvez rappelle quelques notions importantes en interrogeant l’Église institutionnelle sur son approche appelée « doctrine sociale de l’Église :
« il faudrait réfléchir au capitalisme plus qu’au libéralisme ».
En effet, n’est-ce pas l’emprise du capital qui oriente tout désir ?
L’orientation spiritualiste de l’actuelle Église, éloigne trop de tout ce qui touche à la vie quotidienne. « Je crois, dit J.-Y. Calvez, que l'évolution spiritualiste dans l'Église d'après Vatican Il a conduit à une méfiance globale à l'égard du social et du politique. Et ce n'est pas fini ».
Notons aussi que l’Église souffre de ne pas se prononcer avec suffisamment de clarté contre le capitalisme. Certes, Jean-Paul II a rappelé qu’il ne fallait pas oublier les conditions qui ont conduit à la naissance du marxisme. Mais, toujours dans l’Église, la crainte du communisme a empêché une parole nette contre le capitalisme. Par ailleurs, l’Église manifeste une totale panique devant les multiples formes de libertés qui se manifestent depuis une trentaine d’années dans tous les domaines.
Voilà les propos de J. Y. Calvez recueillis par Elodie Maurot :
« Par ailleurs, nous avons vécu, après la chute du mur de Berlin, une vague de libéralisme intempérant. Bien des gens ont été pris d'enthousiasme dans ce nouvel esprit et ont eu l'impression que l'Église ne les accompagnait pas. Ils en ont conclu que celle-ci était archaïque et qu'elle ne comprenait rien à l'économique. L’Église s'est trouvée désemparée devant ce rejet massif et elle s'est tue. Nous avons aussi souffert de l'encyclique de Jean-Paul II Centesimus annus (1991), qui peut être tirée assez facilement dans un sens favorable ou défavorable au libéralisme, et qui a effectivement subi ce sort. Jean-Paul II lui-même s'en est plaint. Si l'enseignement de l'Église avait été plus ferme, moins double, depuis la chute du mur de Berlin, je crois que nous aurions pu rendre service ».
Pour que l’Église soit plus en phase avec son époque, il faudrait qu’elle reprenne ses réflexions sur le travail, et son pendant le loisir, sur l’économie, l’argent, le capital. Il importe que l’on ne recommence pas l’erreur d’oublier de dire une parole ferme par rapport au capitalisme sous prétexte que l’on ne veut pas porter atteinte à la liberté de l’homme, ou ne sachant pas comment gérer cette soif de liberté. Il serait dramatique que le libéralisme empêche, comme jadis le marxisme (le communisme), une claire condamnation du capitalisme actuellement dit néo-libéral.
Que faudrait-il retravailler dans la doctrine sociale de l’Église ?
Réponse de J. Y. Calvez :
« La question du travail et de son avenir, celle de l'économie financière et de son décalage avec l'économie réelle. Il faudrait aussi réfléchir au capitalisme, plus qu'au libéralisme qui est largement discuté aujourd'hui. Le capitalisme permet une accumulation extraordinaire chez quelques-uns qui ont ainsi barre sur le destin de la plupart des autres hommes. L'Église pourrait dire la nécessité de faire participer beaucoup plus de personnes à la gestion du capital et par là même aux orientations communes. Par ailleurs, il faudrait reprendre la question de la nature de la doctrine sociale de l'Église, après tout ce que Jean-Paul II en a dit, en des sens divers, voire opposés. Il a plusieurs fois déclaré que l'Église n'avait pas de projet de société, ni d'économie, mais sous son pontificat, l'Église est restée présente à bien des aspects de la vie politique... tout en disant qu'il ne fallait pas s'en mêler ! Il faudrait clarifier un peu tout ça. »
Ci-dessous, par honnêteté intellectuelle, l’ensemble de l’article
Le P. Jean-Yves Calvez, qui constate une crise de la doctrine sociale de l'Église, souhaiterait que certaines questions soient retravaillées
VOUS avez suivi plus de cinquante ans de réflexion de l'Église sur les questions
de société. Que diriez-vous de la réception de la doctrine sociale de l’Église ?
P. JEAN-YVES CALVEZ, j'ai connu la génération de l'après-guerre, celle de l'Action catholique, des syndicats chrétiens. J'ai connu des générations de chrétiens qui avaient été formées à une lecture et une application intensive de la doctrine sociale de l'Église. Les chrétiens connaissaient par cœur ces textes qui n'étaient alors pas très nombreux. En France, un homme comme Eugène Descamps, ancien secrétaire général de la CFDT, est représentatif de cette période. C'est un genre d'homme dont on ne trouverait plus d'exemple aujourd'hui.
De nos jours, on doit constater la grande absence de la doctrine sociale, sauf dans quelques milieux limités, autour du Secours catholique, du CCFD ou du Mouvement chrétien des cadres et dirigeants. Dans le reste de l'Église, la connaissance de la doctrine sociale est extrêmement faible. Cet enseignement est le plus souvent absent de la vie des paroisses, à quelques brillantes exceptions près.
Comment expliquer ce désintérêt ?
La crise de la doctrine sociale de l'Église est venue en partie avec la Seconde Guerre mondiale. On lui a reproché la vision de l'organisation professionnelle, énoncée par Pie Xl dans Quadragesimo anno (1931). Certains y voyaient, non sans raison, une collusion avec les corporations des fascismes italien, portugais et français et se sont éloignés à cause de cela. Le concile Vatican Il lui-même a été à la fois favorable et défavorable à la doctrine sociale de l'Église. Favorable, par la manifestation de la dimension sociale du christianisme, sa compréhension d'un «christianisme dans le monde de ce temps ». La doctrine sociale a en quelque sorte été l'inspiration de la déclaration Gaudium et spes. Mais le concile lui a été défavorable par le fait qu'il marquait une sorte de rupture, une discontinuité avec le passé, un renouvellement de l'Église, y compris dans les questions d'engagement politique et social. Le concile voulait une très forte pénétration des chrétiens dans le monde, mais il la souhaitait plus libre, plus inventive, renouvelée. Il la souhaitait plus laïque, moins ecclésiastique, par rapport au « classique» que représentait la doctrine sociale. Cela a eu un effet par la naissance de la théologie de la libération qui dans sa première phase, de grande vitalité, était plutôt en opposition vis-à-vis de la doctrine sociale. Enfin, je crois que l'évolution spiritualiste dans l'Église d'après Vatican Il a conduit à une méfiance globale à l'égard du social et du politique. Et ce n'est pas fini.
Qu'est-ce qui explique la marginalisation des questions plus directement économiques?
Après le Concile, il y a eu un assez grand déplacement des questions économiques vers les questions politiques, sous le pontificat de Jean-Paul Il : les droits de l'homme, la démocratie, la vie politique, les questions internationales, l'écologie... Par ailleurs, nous avons vécu, après la chute du mur de Berlin, une vague de libéralisme intempérant. Bien des gens ont été pris d'enthousiasme dans ce nouvel esprit et ont eu l'impression que l'Église ne les accompagnait pas. Ils en ont conclu que celle-ci était archaïque et qu'elle ne comprenait rien à l'économique. L’Église s'est trouvée désemparée devant ce rejet massif et elle s'est tue. Nous avons aussi souffert de l'encyclique de Jean-Paul II Centesimus annus (1991), qui peut être tirée assez facilement dans un sens favorable ou défavorable au libéralisme, et qui a effectivement subi ce sort. Jean-Paul II lui-même s'en est plaint. Si l'enseignement de l'Église avait été plus ferme, moins double, depuis la chute du mur de Berlin, je crois que nous aurions pu rendre service.
Que faudrait-il aujourd'hui travailler ou retravailler dans la doctrine sociale?
La question du travail et de son avenir, celle de l'économie financière et de son décalage avec l'économie réelle. Il faudrait aussi réfléchir au capitalisme, plus qu'au libéralisme qui est largement discuté aujourd'hui. Le capitalisme permet une accumulation extraordinaire chez quelques-uns qui ont ainsi barre sur le destin de la plupart des autres hommes. L'Église pourrait dire la nécessité de faire participer beaucoup plus de personnes à la gestion du capital et par là même aux orientations communes. Par ailleurs, il faudrait reprendre la question de la nature de la doctrine sociale de l'Église, après tout ce que Jean-Paul II en a dit, en des sens divers, voire opposés. Il a plusieurs fois déclaré que l'Église n'avait pas de projet de société, ni d'économie, mais sous son· pontificat, l'Église est restée présente à bien des aspects de la vie politique... tout en disant qu'il ne fallait pas s'en mêler ! Il faudrait clarifier un peu tout ça.
L'idée d'une «doctrine» sociale est~elle adaptée à une époque qui privilégie de plus en plus le pragmatisme ?
Ce terme a beaucoup été discuté dans les années 1960 et 1970, car il évoque quelque chose de raide, de solennel. C'est peut-être pour cela que le Concile a évité de l'employer. On a parfois cherché à le remplacer par le mot « enseignement », mais en latin, c'est le même terme ! Tout cela n'est pas qu'une question de mot. Il y a derrière un état d'esprit qui a provoqué le tournant que marque le Concile. Ceci dit, ceux qui s'interrogent aujourd'hui sur ce que l'Église pense des questions économiques et sociales ne savent plus rien de ces débats, C'est pour ·cela que j'hésite moi-même moins à l'utiliser.
Recueilli par Elodie Maurot
Il est cité à plusieurs fois dans les épreuves de philosophie :
- Que vaut l'opposition du travail manuel et du travail intellectuel ? (Série S - scientifique)
- Que gagnons-nous à travailler ? (Série ES - économique et social)
Le contrepoint du travail, le loisir, est également à l’honneur avec des sujets qui situent par rapport au réel :
- L'art nous éloigne-t-il de la réalité ? (Série Technologique, série TMD - technique et musique de la danse)
- Les oeuvres d'art sont-elles des réalités comme les autres ? (Série L -littéraire)
- Le désir peut-il se satisfaire de la réalité ? (Série S -scientifique)
Que vont répondre les étudiants ?
Des enseignants interviewés par France-inter ont répondu que de tels sujets sur le travail comportaient le risque de trop collés à l’actualité. « Il faut savoir prendre de la distance par rapport à l’actualité pour bien saisir la portée de ces sujets ».
Des lycéens ont spontanément répondu « qu’à travailler, on gagne de l’argent ».
À quoi pensent les bacheliers pendant quatre heures ? J’aimerais bien lire quelques copies. Elles nous montreraient assurément, tout le besoin que nous avons de sortir la réalité du travail de sa contrepartie financière.
Débats conviviaux
Cet approfondissement intellectuel demande un vaste débat, d’authentiques consultations.
Quand la société civile parle de démocratie citoyenne participative, l’Église devrait considérer avec plus de concret et de réalisations, l’avantage des rencontres communautaires, synodales, ecclésiales, fraternelles qui prennent source dans l’Évangile. Un esprit conciliaire, collégial devrait accompagner la recherche de sa présence dans le monde alors que se multiplient les signes où l’esprit associatif émanant des baptisés est centralisé vers un unique décideur.

Un article de la Croix (9 et 10 juin) signé du Père Jean-Yves Calvez rappelle quelques notions importantes en interrogeant l’Église institutionnelle sur son approche appelée « doctrine sociale de l’Église :
« il faudrait réfléchir au capitalisme plus qu’au libéralisme ».
En effet, n’est-ce pas l’emprise du capital qui oriente tout désir ?
L’orientation spiritualiste de l’actuelle Église, éloigne trop de tout ce qui touche à la vie quotidienne. « Je crois, dit J.-Y. Calvez, que l'évolution spiritualiste dans l'Église d'après Vatican Il a conduit à une méfiance globale à l'égard du social et du politique. Et ce n'est pas fini ».
Notons aussi que l’Église souffre de ne pas se prononcer avec suffisamment de clarté contre le capitalisme. Certes, Jean-Paul II a rappelé qu’il ne fallait pas oublier les conditions qui ont conduit à la naissance du marxisme. Mais, toujours dans l’Église, la crainte du communisme a empêché une parole nette contre le capitalisme. Par ailleurs, l’Église manifeste une totale panique devant les multiples formes de libertés qui se manifestent depuis une trentaine d’années dans tous les domaines.
Voilà les propos de J. Y. Calvez recueillis par Elodie Maurot :
« Par ailleurs, nous avons vécu, après la chute du mur de Berlin, une vague de libéralisme intempérant. Bien des gens ont été pris d'enthousiasme dans ce nouvel esprit et ont eu l'impression que l'Église ne les accompagnait pas. Ils en ont conclu que celle-ci était archaïque et qu'elle ne comprenait rien à l'économique. L’Église s'est trouvée désemparée devant ce rejet massif et elle s'est tue. Nous avons aussi souffert de l'encyclique de Jean-Paul II Centesimus annus (1991), qui peut être tirée assez facilement dans un sens favorable ou défavorable au libéralisme, et qui a effectivement subi ce sort. Jean-Paul II lui-même s'en est plaint. Si l'enseignement de l'Église avait été plus ferme, moins double, depuis la chute du mur de Berlin, je crois que nous aurions pu rendre service ».
Pour que l’Église soit plus en phase avec son époque, il faudrait qu’elle reprenne ses réflexions sur le travail, et son pendant le loisir, sur l’économie, l’argent, le capital. Il importe que l’on ne recommence pas l’erreur d’oublier de dire une parole ferme par rapport au capitalisme sous prétexte que l’on ne veut pas porter atteinte à la liberté de l’homme, ou ne sachant pas comment gérer cette soif de liberté. Il serait dramatique que le libéralisme empêche, comme jadis le marxisme (le communisme), une claire condamnation du capitalisme actuellement dit néo-libéral.
Que faudrait-il retravailler dans la doctrine sociale de l’Église ?
Réponse de J. Y. Calvez :
« La question du travail et de son avenir, celle de l'économie financière et de son décalage avec l'économie réelle. Il faudrait aussi réfléchir au capitalisme, plus qu'au libéralisme qui est largement discuté aujourd'hui. Le capitalisme permet une accumulation extraordinaire chez quelques-uns qui ont ainsi barre sur le destin de la plupart des autres hommes. L'Église pourrait dire la nécessité de faire participer beaucoup plus de personnes à la gestion du capital et par là même aux orientations communes. Par ailleurs, il faudrait reprendre la question de la nature de la doctrine sociale de l'Église, après tout ce que Jean-Paul II en a dit, en des sens divers, voire opposés. Il a plusieurs fois déclaré que l'Église n'avait pas de projet de société, ni d'économie, mais sous son pontificat, l'Église est restée présente à bien des aspects de la vie politique... tout en disant qu'il ne fallait pas s'en mêler ! Il faudrait clarifier un peu tout ça. »
Ci-dessous, par honnêteté intellectuelle, l’ensemble de l’article
Le P. Jean-Yves Calvez, qui constate une crise de la doctrine sociale de l'Église, souhaiterait que certaines questions soient retravaillées
VOUS avez suivi plus de cinquante ans de réflexion de l'Église sur les questions
de société. Que diriez-vous de la réception de la doctrine sociale de l’Église ?
P. JEAN-YVES CALVEZ, j'ai connu la génération de l'après-guerre, celle de l'Action catholique, des syndicats chrétiens. J'ai connu des générations de chrétiens qui avaient été formées à une lecture et une application intensive de la doctrine sociale de l'Église. Les chrétiens connaissaient par cœur ces textes qui n'étaient alors pas très nombreux. En France, un homme comme Eugène Descamps, ancien secrétaire général de la CFDT, est représentatif de cette période. C'est un genre d'homme dont on ne trouverait plus d'exemple aujourd'hui.
De nos jours, on doit constater la grande absence de la doctrine sociale, sauf dans quelques milieux limités, autour du Secours catholique, du CCFD ou du Mouvement chrétien des cadres et dirigeants. Dans le reste de l'Église, la connaissance de la doctrine sociale est extrêmement faible. Cet enseignement est le plus souvent absent de la vie des paroisses, à quelques brillantes exceptions près.
Comment expliquer ce désintérêt ?
La crise de la doctrine sociale de l'Église est venue en partie avec la Seconde Guerre mondiale. On lui a reproché la vision de l'organisation professionnelle, énoncée par Pie Xl dans Quadragesimo anno (1931). Certains y voyaient, non sans raison, une collusion avec les corporations des fascismes italien, portugais et français et se sont éloignés à cause de cela. Le concile Vatican Il lui-même a été à la fois favorable et défavorable à la doctrine sociale de l'Église. Favorable, par la manifestation de la dimension sociale du christianisme, sa compréhension d'un «christianisme dans le monde de ce temps ». La doctrine sociale a en quelque sorte été l'inspiration de la déclaration Gaudium et spes. Mais le concile lui a été défavorable par le fait qu'il marquait une sorte de rupture, une discontinuité avec le passé, un renouvellement de l'Église, y compris dans les questions d'engagement politique et social. Le concile voulait une très forte pénétration des chrétiens dans le monde, mais il la souhaitait plus libre, plus inventive, renouvelée. Il la souhaitait plus laïque, moins ecclésiastique, par rapport au « classique» que représentait la doctrine sociale. Cela a eu un effet par la naissance de la théologie de la libération qui dans sa première phase, de grande vitalité, était plutôt en opposition vis-à-vis de la doctrine sociale. Enfin, je crois que l'évolution spiritualiste dans l'Église d'après Vatican Il a conduit à une méfiance globale à l'égard du social et du politique. Et ce n'est pas fini.
Qu'est-ce qui explique la marginalisation des questions plus directement économiques?
Après le Concile, il y a eu un assez grand déplacement des questions économiques vers les questions politiques, sous le pontificat de Jean-Paul Il : les droits de l'homme, la démocratie, la vie politique, les questions internationales, l'écologie... Par ailleurs, nous avons vécu, après la chute du mur de Berlin, une vague de libéralisme intempérant. Bien des gens ont été pris d'enthousiasme dans ce nouvel esprit et ont eu l'impression que l'Église ne les accompagnait pas. Ils en ont conclu que celle-ci était archaïque et qu'elle ne comprenait rien à l'économique. L’Église s'est trouvée désemparée devant ce rejet massif et elle s'est tue. Nous avons aussi souffert de l'encyclique de Jean-Paul II Centesimus annus (1991), qui peut être tirée assez facilement dans un sens favorable ou défavorable au libéralisme, et qui a effectivement subi ce sort. Jean-Paul II lui-même s'en est plaint. Si l'enseignement de l'Église avait été plus ferme, moins double, depuis la chute du mur de Berlin, je crois que nous aurions pu rendre service.
Que faudrait-il aujourd'hui travailler ou retravailler dans la doctrine sociale?
La question du travail et de son avenir, celle de l'économie financière et de son décalage avec l'économie réelle. Il faudrait aussi réfléchir au capitalisme, plus qu'au libéralisme qui est largement discuté aujourd'hui. Le capitalisme permet une accumulation extraordinaire chez quelques-uns qui ont ainsi barre sur le destin de la plupart des autres hommes. L'Église pourrait dire la nécessité de faire participer beaucoup plus de personnes à la gestion du capital et par là même aux orientations communes. Par ailleurs, il faudrait reprendre la question de la nature de la doctrine sociale de l'Église, après tout ce que Jean-Paul II en a dit, en des sens divers, voire opposés. Il a plusieurs fois déclaré que l'Église n'avait pas de projet de société, ni d'économie, mais sous son· pontificat, l'Église est restée présente à bien des aspects de la vie politique... tout en disant qu'il ne fallait pas s'en mêler ! Il faudrait clarifier un peu tout ça.
L'idée d'une «doctrine» sociale est~elle adaptée à une époque qui privilégie de plus en plus le pragmatisme ?
Ce terme a beaucoup été discuté dans les années 1960 et 1970, car il évoque quelque chose de raide, de solennel. C'est peut-être pour cela que le Concile a évité de l'employer. On a parfois cherché à le remplacer par le mot « enseignement », mais en latin, c'est le même terme ! Tout cela n'est pas qu'une question de mot. Il y a derrière un état d'esprit qui a provoqué le tournant que marque le Concile. Ceci dit, ceux qui s'interrogent aujourd'hui sur ce que l'Église pense des questions économiques et sociales ne savent plus rien de ces débats, C'est pour ·cela que j'hésite moi-même moins à l'utiliser.
Recueilli par Elodie Maurot