Quelques approfondissements sur la casuistique
Définition
Dans son dictionnaire portatif du bachelier, septembre 2002, Bruno Hongre écrit : la casuistique est l'étude des cas de conscience, c'est-à-dire des problèmes que peuvent rencontrer les individus dans la pratique de la morale (chrétienne), notamment lorsque deux règles morales contradictoires s'imposent dans une même situation. Par exemple : 1° Je n'ai pas le droit de tuer. 2° J'ai le devoir de défendre ma patrie. Dois-je faire la guerre et tuer l'ennemi ?
La casuistique a pris un sens péjoratif lors de la querelle des Provinciales, quand Pascal, pour défendre ses amis jansénistes, tourna en dérision les accommodements douteux auxquels les casuistes jésuites étaient parvenus pour faciliter la pratique de la religion par les Grands de la société.
Depuis, le mot « casuistique » désigne le plus souvent des argumentations subtiles, destinées à masquer la vérité ou à contourner les exigences morales.
Vous aurez compris que je me situe dans le cadre positif de l'étude de cas.
Revenons aux problèmes posés par les douloureuses situations de viols.
voir l'article publié dans la catégorie "politique" : la rencontre des personnes...
Pour le soutien des "petits"
J'en ai parlé à une religieuse pour voir sa position dans le cas d'une religieuse violée. Sa réponse fut immédiate. Il faut protéger la vocation de cette personne et tout faire pour qu'il n'y ait pas de naissance. Cette religieuse, avancée en âge, plongea ses souvenirs dans les années 50. « Avant que les techniques pharmaceutiques existent, on employait des moyens physiques. Sortent de lavement (curetage), pour empêcher, arrêter la fécondation. Y a-t-il avortement ? Le moindre mal consiste à défendre la personne agressée. Mes supérieures disaient cela alors qu'à cette époque, on parlait encore, en cas de naissance difficile, de sacrifier la mère au bénéfice de l'enfant à naître ».
Bruno Hongre parle de la casuistique comme moyen de soutenir les Grands de ce monde dans la pratique de la religion catholique. Dans ma réflexion, vous avez compris, qu'à la suite de Amnesty, il s'agit plutôt des pauvres, hommes et femmes sans pouvoirs.
En fait, il faut bien comprendre que l'étude de cas humains, sociaux, bien réels, ne se limitent pas à la religion catholique. Le judaïsme a sa casuistique. Les philosophes de l'Antiquité également. Quand, par elle, on rejoint le droit, c'est pour la défense des faibles. Le danger permanent de cette pratique pourrait s'appeler aujourd'hui l'esprit procédurier qui tente de trouver les failles d'un juridiction afin d'échapper aux contraintes de la loi. J'ai rencontré plusieurs avocats d'entreprise (des affaires) qui relèveraient de cette orientation.
Serge Boarini, philosophe, sur le site des hospices civiles de Lyon donne une bonne page à ce propos. Son histoire brève de la casuistique mérite d'être lue.
Conscience et loi.
Pour aller encore plus loin dans la réflexion, j'ai relu la réflexion, en théologie morale, de Jean-Marie Aubert (Université de théologie de Strasbourg II, 1983). Il souligne le lien entre la conscience, loi interne, et la Loi, révélée par une religion, par exemple, la religion chrétienne catholique, dans le prolongement de la Bible. « Pour mieux saisir à quel niveau intérieur fonctionne la loi morale, il est utile de comprendre son lien congénital avec l'exercice de la liberté et donc de la réalisation de la personne. »
Voici son texte :
La conscience dans les Temps modernes
La conscience a été au cœur du processus historique ayant abouti au divorce entre l'Eglise et le monde moderne. La conscience y a été intéressée à ses deux registres.
1) Le cas de la persécution des hérétiques (Cathares, Inquisition, etc.).
Il s'est agi ici d'une absolutisation d'un certain ordre chrétien, le plus souvent au profit de l'Etat, absolutisation empêchant le fonctionnement du principe admis par tous depuis Abélard, celui du droit de la conscience erronée de bonne foi. D'ailleurs, on appliquait ce principe avec plus ou moins de rigueur aux incroyants et athées, qui n'avaient jamais reçu le don de la foi (les convertir contre leur gré était en principe interdit). En revanche, on refusait ce droit aux apostats et hérétiques, du fait que leur bonne foi était exclue : ayant connu la vérité de foi et adhéré à elle, et comme celle-ci ne pouvait pas perdre sa crédibilité, ceux qui s'en détachaient ou apostasiaient ne pouvaient le faire que mus par des motifs sordides de mauvaise foi. Le simplisme de ce raisonnement ignorait la complexité psychologique du problème et permettait de considérer ces déviants comme des coupables qu'il fallait sortir de leur mauvaise foi en les amenant au repentir, et s'il le fallait par la torture, ou sinon les supprimer comme des dangers publics, au nom du bien commun. On a là assurément un exemple dramatique de l'emploi d'un principe éthique absolutisé qui, au nom d'une conscience de vérité, aboutit au despotisme et au pire mépris de l'homme. Si cette procédure a débuté au moyen âge, elle s'est surtout développée dans les Temps modernes au service de l'absolutisme politique, que ce soit celui d'Ancien régime ou celui des convictions révolutionnaires. Il est inutile de souligner combien ce danger demeure d'actualité, au sein de tout sectarisme idéologique paré des meilleures intentions.
2) L'avènement de la casuistique
Un peu à l'inverse du mouvement précédent, et aussi en vue de favoriser la liberté individuelle, s'est développé à partir du XVIIe siècle tout un mouvement de théologie morale dont les représentants (surtout jésuites) furent taxés de laxisme par Pascal et les jansénistes. Avec cette nouvelle orientation le primat est donné à l'aspect fonctionnel de la conscience, celui du jugement ponctuel à propos de cas particuliers.
En plus de causes culturelles d'ordre général qu'on ne peut détailler ici (primat de l'individuel et du concret, d'origine nominaliste), cette orientation répondait à des motifs surtout pastoraux. Après le traumatisme causé par la Réforme, le Concile de Trente introduisit des mesures de redressement doctrinal et moral, en particulier par un renouveau de la formation cléricale, centré sur le sacrement de la pénitence et la confession. D'où la primauté donnée à l'étude des cas de conscience et à la casuistique, qui en vint à envahir et coloniser toute la théologie morale et aboutit à une réduction du concept de conscience; axée sur l'étude du péché et des commandements (et non plus des vertus), et donc de la délimitation entre le permis et le défendu avec le souci de situer le plus bas possible le seuil du défendu (d'où l'accusation de laxisme), cette morale casuiste tombait facilement dans le juridisme ; le problème moral y est traité dans le climat de prescriptions et d'infractions, et comme à titre posthume (après coup), en vue de la confession, trop perçue comme un jugement de tribunal.
Ainsi réduite à cette dimension, l'étude de la conscience, atomisée en chacun de ses actes, ne pouvait contrebalancer les excès inverses de l'absolutisation politique de la conscience (dans son exercice fondamental) annexée par l'idéologie au pouvoir. On s'explique alors que l'essentiel de l'enseignement traditionnel sur la conscience ait été occulté (ou situé en des domaines de la théologie plus spéculatifs) ; et ce fut le cas de la conscience dans la perspective biblique, sous son aspect fondamental, comme lieu de l'image de Dieu et donc douée de droits imprescriptibles, en particulier celui de sa liberté.
En une sorte de paradoxe, le vieil enseignement chrétien sur la liberté de la conscience, et sur sa valeur de norme intérieure de la moralité, fut en fait repris et sécularisé par la pensée profane, celle des penseurs du siècle des Lumières, et souvent dans un contexte anticlérical ; cette situation paradoxale a duré pratiquement jusque vers le milieu du xxe siècle, où l'enseignement officiel de la théologie a commencé à admettre que la tolérance et la liberté de conscience n'étaient pas contraires à l'idéal chrétien et où cet enseignement a reçu une consécration officielle, surtout dans le Décret sur la liberté religieuse du Concile Vatican II ; mais entre-temps, trop obnubilés par la résolution des cas de conscience et des subtilités d'école, la plupart des moralistes avaient laissé à la pensée profane le soin de répondre aux revendications de la consciences humaine universelle.
Dans son dictionnaire portatif du bachelier, septembre 2002, Bruno Hongre écrit : la casuistique est l'étude des cas de conscience, c'est-à-dire des problèmes que peuvent rencontrer les individus dans la pratique de la morale (chrétienne), notamment lorsque deux règles morales contradictoires s'imposent dans une même situation. Par exemple : 1° Je n'ai pas le droit de tuer. 2° J'ai le devoir de défendre ma patrie. Dois-je faire la guerre et tuer l'ennemi ?
La casuistique a pris un sens péjoratif lors de la querelle des Provinciales, quand Pascal, pour défendre ses amis jansénistes, tourna en dérision les accommodements douteux auxquels les casuistes jésuites étaient parvenus pour faciliter la pratique de la religion par les Grands de la société.
Depuis, le mot « casuistique » désigne le plus souvent des argumentations subtiles, destinées à masquer la vérité ou à contourner les exigences morales.
Vous aurez compris que je me situe dans le cadre positif de l'étude de cas.
Revenons aux problèmes posés par les douloureuses situations de viols.
voir l'article publié dans la catégorie "politique" : la rencontre des personnes...
Pour le soutien des "petits"
J'en ai parlé à une religieuse pour voir sa position dans le cas d'une religieuse violée. Sa réponse fut immédiate. Il faut protéger la vocation de cette personne et tout faire pour qu'il n'y ait pas de naissance. Cette religieuse, avancée en âge, plongea ses souvenirs dans les années 50. « Avant que les techniques pharmaceutiques existent, on employait des moyens physiques. Sortent de lavement (curetage), pour empêcher, arrêter la fécondation. Y a-t-il avortement ? Le moindre mal consiste à défendre la personne agressée. Mes supérieures disaient cela alors qu'à cette époque, on parlait encore, en cas de naissance difficile, de sacrifier la mère au bénéfice de l'enfant à naître ».
Bruno Hongre parle de la casuistique comme moyen de soutenir les Grands de ce monde dans la pratique de la religion catholique. Dans ma réflexion, vous avez compris, qu'à la suite de Amnesty, il s'agit plutôt des pauvres, hommes et femmes sans pouvoirs.
En fait, il faut bien comprendre que l'étude de cas humains, sociaux, bien réels, ne se limitent pas à la religion catholique. Le judaïsme a sa casuistique. Les philosophes de l'Antiquité également. Quand, par elle, on rejoint le droit, c'est pour la défense des faibles. Le danger permanent de cette pratique pourrait s'appeler aujourd'hui l'esprit procédurier qui tente de trouver les failles d'un juridiction afin d'échapper aux contraintes de la loi. J'ai rencontré plusieurs avocats d'entreprise (des affaires) qui relèveraient de cette orientation.
Serge Boarini, philosophe, sur le site des hospices civiles de Lyon donne une bonne page à ce propos. Son histoire brève de la casuistique mérite d'être lue.
Conscience et loi.
Pour aller encore plus loin dans la réflexion, j'ai relu la réflexion, en théologie morale, de Jean-Marie Aubert (Université de théologie de Strasbourg II, 1983). Il souligne le lien entre la conscience, loi interne, et la Loi, révélée par une religion, par exemple, la religion chrétienne catholique, dans le prolongement de la Bible. « Pour mieux saisir à quel niveau intérieur fonctionne la loi morale, il est utile de comprendre son lien congénital avec l'exercice de la liberté et donc de la réalisation de la personne. »
Voici son texte :
La conscience dans les Temps modernes
La conscience a été au cœur du processus historique ayant abouti au divorce entre l'Eglise et le monde moderne. La conscience y a été intéressée à ses deux registres.
1) Le cas de la persécution des hérétiques (Cathares, Inquisition, etc.).
Il s'est agi ici d'une absolutisation d'un certain ordre chrétien, le plus souvent au profit de l'Etat, absolutisation empêchant le fonctionnement du principe admis par tous depuis Abélard, celui du droit de la conscience erronée de bonne foi. D'ailleurs, on appliquait ce principe avec plus ou moins de rigueur aux incroyants et athées, qui n'avaient jamais reçu le don de la foi (les convertir contre leur gré était en principe interdit). En revanche, on refusait ce droit aux apostats et hérétiques, du fait que leur bonne foi était exclue : ayant connu la vérité de foi et adhéré à elle, et comme celle-ci ne pouvait pas perdre sa crédibilité, ceux qui s'en détachaient ou apostasiaient ne pouvaient le faire que mus par des motifs sordides de mauvaise foi. Le simplisme de ce raisonnement ignorait la complexité psychologique du problème et permettait de considérer ces déviants comme des coupables qu'il fallait sortir de leur mauvaise foi en les amenant au repentir, et s'il le fallait par la torture, ou sinon les supprimer comme des dangers publics, au nom du bien commun. On a là assurément un exemple dramatique de l'emploi d'un principe éthique absolutisé qui, au nom d'une conscience de vérité, aboutit au despotisme et au pire mépris de l'homme. Si cette procédure a débuté au moyen âge, elle s'est surtout développée dans les Temps modernes au service de l'absolutisme politique, que ce soit celui d'Ancien régime ou celui des convictions révolutionnaires. Il est inutile de souligner combien ce danger demeure d'actualité, au sein de tout sectarisme idéologique paré des meilleures intentions.
2) L'avènement de la casuistique
Un peu à l'inverse du mouvement précédent, et aussi en vue de favoriser la liberté individuelle, s'est développé à partir du XVIIe siècle tout un mouvement de théologie morale dont les représentants (surtout jésuites) furent taxés de laxisme par Pascal et les jansénistes. Avec cette nouvelle orientation le primat est donné à l'aspect fonctionnel de la conscience, celui du jugement ponctuel à propos de cas particuliers.
En plus de causes culturelles d'ordre général qu'on ne peut détailler ici (primat de l'individuel et du concret, d'origine nominaliste), cette orientation répondait à des motifs surtout pastoraux. Après le traumatisme causé par la Réforme, le Concile de Trente introduisit des mesures de redressement doctrinal et moral, en particulier par un renouveau de la formation cléricale, centré sur le sacrement de la pénitence et la confession. D'où la primauté donnée à l'étude des cas de conscience et à la casuistique, qui en vint à envahir et coloniser toute la théologie morale et aboutit à une réduction du concept de conscience; axée sur l'étude du péché et des commandements (et non plus des vertus), et donc de la délimitation entre le permis et le défendu avec le souci de situer le plus bas possible le seuil du défendu (d'où l'accusation de laxisme), cette morale casuiste tombait facilement dans le juridisme ; le problème moral y est traité dans le climat de prescriptions et d'infractions, et comme à titre posthume (après coup), en vue de la confession, trop perçue comme un jugement de tribunal.
Ainsi réduite à cette dimension, l'étude de la conscience, atomisée en chacun de ses actes, ne pouvait contrebalancer les excès inverses de l'absolutisation politique de la conscience (dans son exercice fondamental) annexée par l'idéologie au pouvoir. On s'explique alors que l'essentiel de l'enseignement traditionnel sur la conscience ait été occulté (ou situé en des domaines de la théologie plus spéculatifs) ; et ce fut le cas de la conscience dans la perspective biblique, sous son aspect fondamental, comme lieu de l'image de Dieu et donc douée de droits imprescriptibles, en particulier celui de sa liberté.
En une sorte de paradoxe, le vieil enseignement chrétien sur la liberté de la conscience, et sur sa valeur de norme intérieure de la moralité, fut en fait repris et sécularisé par la pensée profane, celle des penseurs du siècle des Lumières, et souvent dans un contexte anticlérical ; cette situation paradoxale a duré pratiquement jusque vers le milieu du xxe siècle, où l'enseignement officiel de la théologie a commencé à admettre que la tolérance et la liberté de conscience n'étaient pas contraires à l'idéal chrétien et où cet enseignement a reçu une consécration officielle, surtout dans le Décret sur la liberté religieuse du Concile Vatican II ; mais entre-temps, trop obnubilés par la résolution des cas de conscience et des subtilités d'école, la plupart des moralistes avaient laissé à la pensée profane le soin de répondre aux revendications de la consciences humaine universelle.