Culte et culture. L'exclusivement cultuel de 1905...
Le culte ne se réduit pas au culte eucharistique ; nous le savons tous. Et pourtant, dans le catholicisme, on constate l’absence de culte dès le moment où il n’y a plus la possibilité d’un prêtre pour célébrer l’eucharistie, le rassemblement du dimanche que, à tort, on appelle « la messe ». « Messe » signifie que c‘est terminé, que l’on va quitter le bâtiment-église pour annoncer à toutes personnes les bienfaits reçus.
Office du vendredi saint à Saint Polycarpe,
photographie de Andrzej Haladuda, New-York, BASA 2009
Le dictionnaire donne cette définition : Cérémonie catholique pendant laquelle le célébrant (un prêtre ou une personne l’assistant) lit et commente des passages de la Bible, récite ou chante des prières ou des louanges avec les fidèles et sacrifie symboliquement le corps et le sang de Jésus-Christ en consommant du pain et du vin.
Les mots pain et vin sont très réducteurs de la réalité vécue. Mais, enfin, ce n’est pas sur ce sujet que je souhaite m’expliquer aujourd’hui. Au contraire, je voudrais dire qu’il y a une profonde communion avec Dieu, par le Christ, dans l’Esprit même en dehors de l’Eucharistie et qu’une église, de la petite maison-église jusqu’à la grande et splendide basilique offre un écrin pour la prière des chrétiens.
Comment ceux-ci entretiennent-ils leur église de quartier, de village ?
Je ne parlerais que des deux dernières expériences que j’ai vécu en tant que curé : la Sainte-Famille à Villeurbane et Saint-Polycarpe à Lyon.
À Villeurbanne, sur le terrain où se trouve le presbytère il y a deux églises. Une chapelle –qui pourrait recevoir de titre paléochrétien de « maison église » de 180 places environ- et une grande église de 1926, style art déco, de 700 places. Quand je suis arrivé comme curé sur cette paroisse la grande église était fermée, envahie par les pigeons et divers meubles mis aux rebus. Les prêtres sur plusieurs mandats, les paroissiens estimaient avec raison n’avoir pas besoin d’un lieu aussi grand pour l’office dominical rassemblant moins d’une cinquantaine de personnes à l’époque.
Je me pose alors la question : pourquoi confisquer, réduire l’église à l’unique messe dominicale. D’autres actions peuvent exister. Le chant, la musique instrumentale, les arts plastiques peuvent dégager des occasions de louange, de prière, de culte. Même pour la seule dimension patrimoniale, ce beau bâtiment doit vivre, revivre.
J’ai commencé cette renaissance avec les arts plastiques et, avec la logistique de l’association Confluences, nous avons organisé la première biennale d’art sacré actuel (ou contemporain). Il a fallu, avec les moyens du bord, nettoyer, réparer, rendre le lieu viable. Ce ne fut pas facile avec le risque angoissant, risque permanent de fuites d’eau provenant du toit où quelques tuiles étaient cassées. Comment protéger les œuvres exposées ?
Tout s’est, malgré tout, bien passé. L’exposition a eu du succès et une deuxième biennale fut décidée. Cette initiative, liant culte et culture, intéressa le Mairie de Villeurbanne qui devint partenaire. La deuxième exposition a pu se développer dans une église bellement repeinte et à la toiture sécurisée. Les grands rassemblements eucharistiques annuels recevant beaucoup de monde, dimanche des Rameaux, première communion purent se vivre dans la grande église, l’absence de chauffage y étant, au printemps, acceptable. Et nous avons eu des concerts unissant tous les arts : musique, peinture, sculpture, parole.
BASA 2002, Sainte-Famille, Villeurbanne
A Saint-Polycarpe à Lyon, en tant que curé, j’ai trouvé ce même problème des églises vides, abandonnées, inutilisables. Saint Bernard, au moins 1000 places, menaçait de s’écrouler vers sa façade. La municipalité décréta sa fermeture par sécurité. Ne pouvant y accéder, dans la ligne des curés précédents, j’ai sollicité sa désaffectation. La société civile avait le projet de démolir l’édifice ; alors, une association patrimoniale se constitua pour défendre le souvenir de ladite « église des canuts ». Les travaux de sécurisation des murs, lourds travaux, sont terminés. Mais l’église demeure inutilisée.
L’église Saint-Polycarpe demeure le lieu où se rassemblent des chrétiens ayant choisi cette communauté. Un petit groupe. Beaucoup de salles, de chapelles –sur deux nivaux- étaient utilisées comme débarras, ateliers : menuiserie, imprimerie. Arrivé sur ce lieu paroissial, je me suis tout de suite dit qu’il convenait d’entreprendre un travail patrimonial pour rendre le bâtiment à lui-même. Plusieurs bennes et de nombreux bras furent nécessaires. Après trois années de dur travail, le résultat est splendide. La propreté et la brillance du sol, le blanc des murs des salles du haut en témoigne. Il me faut, ici, absolument remercier Omar et Robert sans qui nous n’aurions pu aboutir. La huitième basa se tiendra ici pour la troisième fois.
Le problème que nous rencontrons actuellement est l’entretien de ces immenses surfaces. Nous ne sommes pas assez nombreux pour que tout soit toujours totalement parfait. Et comme beaucoup de lieux dans l’église sont agréables à voir, on regrette de plus en plus que les murs ne soient pas très propres. On image ce que pourrait être ce lieu du XVIIe avec de belles peintures blanches, gris clair, et stucs : angelots, feuillages dorés. Dans ce travail patrimonial et culturel, nous ne sommes pas arrivés à obtenir le soutien de la Mairie qui à la 7ème biennale n’a pas répondu positivement à notre demande de partenariat.
Pour continuer la photographie du quartier, il me faudrait parler de l’église du Bon Pasteur. Je m’abstiens, la situation est plus que grave et d’autres en ont parlé. Avec ce lieu, on rejoint les problèmes évoqués à Saint-Bernard : comment les citoyens que nous sommes pouvons-nous supporter la présence de bâtiments vides, beaux en eux-mêmes, pleins de potentialité. Comment croiser, en hiver, un sans-abri sous la pluie et regarder ces lieux vides ? Comment entendre les recherches d’artistes qui travaillent à l’éveil et à l’enrichissement humain des femmes et des hommes de ce temps et admirer ces lieux vides ?
Il me semble que là, la responsabilité des habitants voisins est engagée. Ces édifices, désormais propriétés de l’État depuis la loi de 1905, appartiennent au peuple. Même s’ils ont été voulus par un monarque politique pour le maintien des ouvriers dans les bonnes mœurs (fin XIXe.), ils appartiennent à tous et à toutes. Alors, ces gens doivent être consultés.
De plus, je vois la responsabilité et l’engagement des chrétiens à ce niveau. En effet, les baptisés attachés par des liens d’amour au Christ ne peuvent abandonner à la poussière ce que le patrimoine a légué. Certes, pour prier et vivre le commandement de l’amour nous n’avons pas besoin de murs ; mais, quand ils existent, reconnaissons qu’ils sont bien pratiques. Ils dégagent une part du message évangélique que nous avons à porter. Autrement dit, un lieu, même quand il n’est pas animé par une présence eucharistique qui requiert l’existence d’un prêtre, est animé par le souffle de l’Esprit donné au baptême et lisible dans le sens de la construction. Toute personne agissant au nom de l’Évangile dans une église opère un acte cultuel. Cela sera fait avec une culture déterminée qui montre l’inévitable alliance du culte et de la culture. Reprendre l’article de la loi de 1905 de la séparation de l’église et de l’état en disant que l’église ne peut qu’être affectée à un usage exclusivement cultuel relève d’une étroitesse d’esprit qui semble ignorer toute la jurisprudence à ce propos. Chapitre à étudier. Ne l’ai-je pas déjà dit : les laïcistes et les piétistes opèrent dans le même sens : confiner les chrétiens dans les sacristies.
Pour qu’il en soit autrement, il importe que les paroissiens non seulement entretiennent leurs locaux, mais aussi les habitent par la prière, la musique, la parole, les arts plastiques qui commencent par un souci régulier d’entretien. Je regrette de ne pas avoir ce témoignage dans de nombreux lieux où manque le clergé. Le christ n’est pas présent au milieu de nous parce qu’il y a un prêtre, mais parce que deux ou trois se réunissent en son nom. Il est grave de voir des églises fermées, réservées pour le futur, en attende de communautés sacerdotales où la plénitude des sacrements pourraient être vécues.