COLLERETTE
Grenoble est décidément une ville tout à fait étonnante… on y voit des animaux curieusement affublés – tenez, ce matin, sur les coups de huit heures trente, voilà ce que j’ai vu : un pigeon avec une collerette, un pigeon portant une collerette, un peu comme celles dont les chiens sont affublés lorsqu’ils ne doivent pas se lécher ou
se mordiller la chair… mais un pigeon, franchement ! Je m’approche… je cadre, et il est dans la boîte. Je pense maintenant que vous avez compris – l’appétit des pigeons étant véritablement insatiable, celui-ci a du vouloir picorer un peu de quelques choses dans un gobelet mal nettoyé, de ceux que l’on trouve dans les fast-foods, et qui ont un couvercle en plastique dont l’ouverture peut aisément laisser entrer la tête… d’un pigeon par exemple, sans plus la laisser sortir, ensuite… un retour, une marche en arrière interdite, tout du moins difficile. J’ai alors tout de suite pensé à nous – aux hommes – aux hommes de cette Terre si souvent gourmands et même plus que gourmands (tout du moins pour les pays dits, développés), grands consommateurs en toutes choses, si difficiles à contenter, à rassasier ; insatiables d’une manière générale, et nous savons pourtant que la Terre et la Planète s’épuisent, grandement ; et nous savons aussi, dans un autre domaine qui n’est pas tellement autre, que certaines banques américaines ont récemment un peu fait n’importe quoi en vue de capitaliser à outrance et de s’enrichir au-delà du possible – ; seulement, il arrive que le fauteur de troubles, ou que le coupable, n’est pas toujours celui ou celle qui paye et se laissant prendre la main dans le sac, le cou dans une entrave… juste pour exemple : les pays du Sud qui subissent de plus en plus souvent certains cataclysmes générés par le dérèglement climatique, engendré, lui, pour une bonne part, par les pays du Nord ; le fauteur, là, en l’occurrence, n’est pas le payeur… pour les banques et leurs (petits) clients, j’ai bien peur que ce soit encore un peu la même chose : les petits ont payé pour les gros, mais c’est une vieille histoire… Enfin, revenons à nos moutons, à nos pigeons… j’étais bien le seul, là, au beau milieu de la Place Victor Hugo, à remarquer un pareil événement, cette singularité animalière, oui, cette anomalie-animalière..., il faut dire qu’à cette heure-là, tout le monde est déjà au travail, je veux dire, les passantes et passants qui se trouvaient dans le secteur à marcher à grands pas avaient déjà l’esprit tout occupé à plus ou moins se réjouir du travail qui les attendait. Bon. Retour à la maison pour moi… tram de la ligne « A », je monte dans la rame – « Oh !... Salut Claude ! Comment va ?... », un copain se trouve assis, là, il me dit que c’est OK pour lui, et je lui parle aussitôt de ce que je viens de voir et de photographier… je sors l’appareil et lui montre le cliché, il éclate aussitôt d’un joyeux rire sonore – Claude est comme ça : quand il rit, il ne rit pas à moitié, il rit à fond, et il le fait savoir… Et puis il me raconte une autre histoire, une autre histoire de pigeons : ce sont deux pigeons qu’il a vus en centre-ville il y a quelques jours… l’un nettoyait l’autre avec le bout de son bec, autour des yeux et du bec de son congénère ; et vice et versa – Claude avait été étonné de voir une pareille chose… il ne pensait pas que de simples pigeons puissent se toiletter mutuellement et ainsi prendre soin l’un de l’autre… une belle leçon animalière… une belle leçon d’humanité finalement ; alors, vous comprenez bien que dans toute cette histoire, dans ces deux histoires en l’occurrence, il y a bel et bien deux chemins, deux options, parfois difficilement conciliables… l’une vaguement égoïste ou l’on finit tôt ou tard, in fine, par se trouver coincé, entravé, piégé, plus ou moins prisonnier ; et l’autre qui est de relation, d’aide et de rencontre. De gratuité aussi. À nous de choisir si nous voulons voler, le ciel est si beau…
Jean-Marie Delthil. 2 avril 2010