La colonne Pascale à Saint-Bonaventure
Nous le savons tous, l’art dit contemporain, qui s’est arrêté dans les années 80 selon les avis des historiens d’art, plus qu’une œuvre artistiquement belle est un discours philosophique ou sociétal. La littérature qui accompagne chaque objet est indispensable pour que le spectateur pénètre l’œuvre du créateur.
Une personne de l’accueil de Saint-Bonaventure, répondant aimablement à ma question à ce propos, me dit ne pas se sentir concernée par cette installation ;
mais, elle communique le message du Père Luc Forestier. Elle pense que cela peut très bien exprimer le problème de la faim dans le monde, donc en Afrique, et c’est déjà beaucoup, mais ça dit pas
plus. « Il faut avoir beaucoup d’imagination pour voir tout ce le texte dit ». Cette personne me précise aussi que
cela fait poser beaucoup de questions et semble ne pas partager le point de vue de ceux qui disent que « mettre ça ici, c’est un blasphème ».
Luc Forestier, prêtre de l'Oratoire, recteur de Saint-Bonaventure a expliqué, le 2 février 2011, les raisons de son acceptation de cette installation dans l’église. Je donnerai ensuite mon avis. Voilà ce qu’il dit :
Accueillir une œuvre d'art contemporain dans une église n'est pas simplement la prolongation, légitime en soi, du geste de nos prédécesseurs qui ont toujours voulu associer la célébration de la liturgie chrétienne à la convocation du beau voire du spectaculaire, car ils étaient convaincus que l'acte humain de création qui, toujours second, s'empare des éléments créés par Dieu pour les agencer d'une manière inédite, relève de la pleine liberté humaine, voulue par le Créateur, et participe même d'une forme de collaboration à son activité permanente et gracieuse.
Comme beaucoup d'autres églises à Lyon, Saint-Bonaventure est le résultat de ce processus séculaire, où personne n'a eu peur de transformer ce qui existait, d'ajouter à ce qui était déjà là, de retirer ce qui paraissait superflu. De cela, il reste cet étonnant patchwork dont l’harmonie naît de la diversité, depuis le bâtiment du treizième siècle, d'une austère simplicité à l'image de la vie franciscaine, jusqu'aux vitraux éclatants de couleur posés après que la destruction du pont Lafayette à la fin de la Deuxième Guerre mondiale avait emporté leurs prédécesseurs. Toutes les générations ont décoré, sculpté, peint, tissé, aménagé, bref ont vécu dans cette église.
Ce qui est désigné par cette formule « art contemporain» veut pourtant aller un peu plus loin, estimant que l'aspect simplement décoratif des arts traditionnels ne suffit pas à rendre compte des interrogations qui traversent le champ artistique, comme tous les autres domaines de notre monde tourmenté. Une installation d'art contemporain ne cherche jamais seulement à être jolie, quoique ce ne soit pas interdit, mais aussi à interroger celui qui la remarque, au risque de ne pas être vue ou de paraître insignifiante. Quelle question est posée à notre monde ? Quelle est cette recherche de l'artiste, dont l'œuvre témoigne, et qui peut toucher celui qui la contemple ? Quelle place dans l’histoire des représentations et dans l'interaction des cultures ?
Pourtant, une église n'est jamais seulement un espace que l'on visite bien longtemps après qu'il ait perdu toute utilité, comme on le ferait d'un château ou, hélas, d'un musée, mais elle est toujours un bâtiment habité, non seulement par la liturgie de l'Église dans son déploiement fastueux ou modeste, mais aussi par les présences très discrètes de ces priants de toutes origines, des touristes qui se hasardent dans le cœur commerçant de Lyon, des pauvres qui sont aux portes, des visiteurs hésitants qui profitent de la pénombre et du calme pour se réchauffer, pleurer ou réfléchir, des habitués qui se retrouvent pour bavarder chaleureusement. C'est pour tous qu'est dressée cette « colonne Pascale » au centre de l'église, c'est à tous qu'elle s'adresse, suscitant nécessairement des réactions variées, en particulier parce qu'elle n'est pas d'abord « utile » ce qui constitue une transgression majeure dans notre monde où règne l'économie.
Même si son titre joue volontairement sur une ambivalence, il y a un rapprochement évident entre le prénom de l'artiste et le sommet de la vie chrétienne qu'est la fête de Pâques, célébrée cette année par l'ensemble des confessions chrétiennes le dimanche 24 avril. Mais il y a, au moins, deux autres éléments de rapprochement entre ce qui nous rassemble autour de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ et l'installation que nous avons le privilège d'accueillir. Non seulement, le rappel d'une forte verticalité est particulièrement pertinent dans un bâtiment qui, au fur et à mesure des ajouts, est très large. La colonne pascale montre bien la juste posture chrétienne, qui est d'être debout -et non pas écrasé par son péché ou les forces de l'histoire- face à Dieu et face aux autres. Dans sa forme même, l'œuvre n'est pas sans rappeler cet élément essentiel de notre squelette, qui tient tout le reste et qui combine solidité et souplesse. Même si mort et violence semblent triompher partout, et d'abord en nos corps, nous sommes appelés à être relevés, autre mot qui désigne la résurrection, non seulement dans la vie future, mais en anticipant aujourd'hui notre relèvement dans l'amour et le service.
Mais le deuxième élément, plus intime encore, entre la « colonne Pascale » et ce que l'Église célèbre à Pâques tient au matériau choisi pour constituer la colonne. Il n'y a pas qu'un renvoi qui pourrait sembler exotique à la culture africaine, dont il est quand même temps de prendre conscience de son importance pour notre pays, mais il y a surtout l'usage d'éléments du quotidien que l'accumulation conduit à transcender. Ces casseroles -il faut bien choisir le mot le plus banal pour honorer la démarche- ces casseroles empilées renvoient aux incertitudes actuelles sur la capacité des humains, et non de la Terre, il suffire à leur subsistance, tout en désignant le lieu même où s'actualise pour nous le relèvement de l'humanité. Car la source et le sommet de notre rassemblement se trouvent dans un repas ritualisé, qui renvoie au dernier repas de Celui qui a librement engagé son existence dans le don de lui-même. Et la taille même des ustensiles choisis conduit à penser à un repas qui dépasse toujours le petit groupe, mais qui annonce le festin ultime de l'humanité tout en exigeant de nous un partage qui est toujours le signe de la maturité humaine.
C'est bien au mystère constitutif de notre vocation que renvoie la « colonne Pascale », en nous interrogeant intimement et, peut-être, en nous aidant à lever les yeux vers ce qui éclaire l’humanité tout en poussant au partage avec ceux qui, pour diverses raisons, se sentent en bas.
Pour terminer, qu'il me soit permis de remercier vivement l'artiste, le Musée d'art contemporain de Lyon et toutes les personnes qui ont permis cette installation dans le parcours lyonnais. Saint-Bonaventure veut ainsi manifester sa disponibilité pour accueillir ce qui peut être signifiant pour tous au cœur de nos hésitations partagées.
Luc Forestier
Mon commentaire
Parlons d’installation plus que d’art. Parlons d’objets de notre quotidien qui, pris en eux-mêmes, suscitent des réactions. Une gamelle (faite en Chine, peut-être ?) ne laisse pas indifférent, car elle donne à penser au déséquilibre alimentaire qui subsiste entre le Nord et le Sud. Que Luc Forestier livre par un long texte son ressenti est totalement adéquat. L’objet déposé devant lui est livré au regardant qui a l’entière liberté de penser ce qu’il veut. Là où j’ai du mal à le suivre, c’est dans la lecture du concept de Pascale. En effet, la conception de l’art contemporain officiel nie toute possibilité de transcendance. L’objet banal, valorisé par sa position muséale, se suffit à lui-même et n’invite à rien, surtout pas à ce que l’Église célèbre à Pâques.
N’empêche que je remercie Luc Forestier avec son initiative d’avoir accepté l’installation dans l’espace de la nef de l’église. Espace sacré ou non sacré, appelé à recevoir tous les cris qui s’expriment de par le monde. Il pourrait même y avoir des expressions encore beaucoup plus , mais sans qu’elles soient obligées de recevoir le qualificatif d‘artistique. Il est bon que l’Église soit en dialogue avec les façons de voir du monde des MAC. FRAC et autres institutions académiques…
La biennale que nous organisons avec l’association Confluences-Polycarpe ne se signale plus depuis longtemps avec l’expression de contemporain ? Nous lui avons préféré le mot actuel. Ainsi, la 8ème biennale d’art sacré actuel, qui ouvrira ses portes le 22 septembre 2011, continue à mettre en avant la dimension spirituelle des œuvres exposées alors que ledit contemporain se veut dénuer de tout spirituel, de toute prétention à la transcendance. Nous nous rappelons que notre cahier des charges, imprégné de sacré et de spirituel est jugé comme non recevable par l’art officiel. Sacré et contemporain sont antinomiques, a expliqué une année un fonctionnaire de la DRAC. Même dans les « résonnances » de la biennale d’art contemporain, celle de 2009, l’art que nous proposions, marqué de spirituel fut qualifié de hors sujet.
Concluons
Il est heureux que le débat continue sur ce qu’est véritablement l’art. Objet qui se suffit à lui-même, n’existant que dans sa matérialité ou objet qui invite à autre chose, transcendance horizontale pis verticale.