Irak. La situation dramatique des minorités exige une prise de position claire et courageuse de la part des responsables religieux musulmans
Noté par Robert Divoux, qui dépose sur internet des textes de grands intérêts, au n° 251 de "La joie de l'évangile" le pape François avait écrit : « Une ouverture diplomatique qui dit oui à tout pour éviter les problèmes ne sert à rien… » Jean-Louis Tauran tient compte de cette attitude en publiant un message aux responsables musulmans qui dit précisément ce qui dit être affirmé sans les dentelles de la diplomatie. Voilà un climat bien nouveau dans le milieu de la diplomatie vaticane.
Pour aider à comprendre ce qui se passe en Syrie et en Irak, j’ai trouvé cette vidéo et je montre deux photos. Il y en a sur internet de plus horrible. Avoir suivi les liens (L'Express ; Caras&Caretas) de ces informations m’ont permis de comprendre la vigueur des propos émanant du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux. Lire également le papier d’Henrik Lindell (La Vie), ci-dessous. Il convient de place ce poste à la suite d'un précédent.
Comprendre la montée en puissance de l'Etat islamique en cinq minutes - Le Monde, 3/07/14
Irak : Déclaration du Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux
Le 12 août 2014, le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, présidé par le cardinal Jean-Louis Tauran, a appelé à une réaction claire et courageuse des responsables musulmans devant les crimes commis en Irak contre les minorités religieuses. Voici la déclaration du Conseil en intégralité.
Aux responsables musulmans :
Le monde entier a assisté, stupéfait, à ce qu’on appelle désormais « la restauration du califat » qui avait été aboli le 29 octobre 1923 par Kamal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne.
La contestation de cette « restauration » par la majorité des institutions religieuses et politiques musulmanes n’a pas empêché les jihadistes de l’« État Islamique » de commettre et de continuer à commettre des actions criminelles indicibles.
Ce Conseil pontifical, tous ceux qui sont engagés dans le dialogue interreligieux, les adeptes de toutes les religions ainsi que les hommes et les femmes de bonne volonté, ne peuvent que dénoncer et condamner sans ambiguïté ces pratiques indignes de l’homme:
- le massacre de personnes pour le seul motif de leur appartenance religieuse ;
- la pratique exécrable de la décapitation, de la crucifixion et de la pendaison des cadavres dans les places publiques ;
- le choix imposé aux chrétiens et aux yézidis entre la conversion à l’islam, le paiement d’un tribut (jizya) ou l’exode ;
- l’expulsion forcée de dizaines de milliers de personnes, parmi lesquelles des enfants, des vieillards, des femmes enceintes et des malades ;
- l’enlèvement de jeunes filles et de femmes appartenant aux communautés yézidie et chrétienne comme butin de guerre (sabaya) ;
- l’imposition de la pratique barbare de l’infibulation ;
- la destruction des lieux de culte et des mausolées chrétiens et musulmans ;
- l’occupation forcée ou la désacralisation d’églises et de monastères ;
- la retrait des crucifix et d’autres symboles religieux chrétiens ainsi que ceux d’autres communautés religieuses ;
- la destruction du patrimoine religieux-culturel chrétien d’une valeur inestimable ;
- la violence abjecte dans le but de terroriser les personnes pour les obliger à se rendre ou à fuir.
Aucune cause ne saurait justifier une telle barbarie et certainement pas une religion. Il s’agit d’une offense d’une extrême gravité envers l’humanité et envers Dieu qui en est le Créateur, comme l’a souvent rappelé le Pape François.
On ne peut oublier pourtant que chrétiens et musulmans ont pu vivre ensemble - il est vrai avec des hauts et des bas - au long des siècles, construisant une culture de la convivialité et une civilisation dont ils sont fiers. C’est d’ailleurs sur cette base que, ces dernières années, le dialogue entre chrétiens et musulmans a continué et s’est approfondi.
La situation dramatique des chrétiens, des yézidis et d’autres communautés religieuses et ethniques numériquement minoritaires en Irak exige une prise de position claire et courageuse de la part des responsables religieux, surtout musulmans, des personnes engagées dans le dialogue interreligieux et de toutes les personnes de bonne volonté. Tous doivent être unanimes dans la condamnation sans aucune ambiguïté de ces crimes et dénoncer l’invocation de la religion pour les justifier. Autrement quelle crédibilité auront les religions, leurs adeptes et leurs chefs ? Quelle crédibilité pourrait avoir encore le dialogue interreligieux patiemment poursuivi ces dernières années ?
Les responsables religieux sont aussi appelés à exercer leur influence auprès des gouvernants pour la cessation de ces crimes, la punition de ceux qui les commettent et le rétablissement d’un état de droit sur tout le territoire, tout en assurant le retour des expulsés chez eux. En rappelant la nécessité d’une éthique dans la gestion des sociétés humaines, ces mêmes chefs religieux ne manqueront pas de souligner que le soutien, le financement et l’armement du terrorisme est moralement condamnable.
Ceci dit, le Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux est reconnaissant envers tous ceux et celles qui ont déjà élevé leurs voix pour dénoncer le terrorisme, surtout celui qui utilise la religion pour le justifier.
Unissons donc nos voix à celle du Pape François : « Que le Dieu de la paix suscite en tous un désir authentique de dialogue et de réconciliation. La violence ne se vainc pas par la violence. La violence se vainc par la paix ! ».
La Vie – 12 août 2014 - Irak
Le Vatican demande aux responsables musulmans de condamner l'Etat islamique
Henrik Lindell
Dans une déclaration au ton particulièrement franc, le cardinal Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue, demande quelle serait la crédibilité du dialogue interreligieux si tous les chefs religieux ne condamnent pas la barbarie.
Le ton est inhabituellement fort. Intervenant le 12 août au nom du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux qu'il préside, le cardinal Jean-Louis Tauran demande dans une déclaration à tous les représentants engagés dans le dialogue interreligieux de condamner et de dénoncer « les actions criminelles indicibles » des djihadistes de l'État islamique.
Il évoque notamment « le massacre de personnes pour le seul motif de leur appartenance religieuse », « la pratique exécrable de la décapitation, de la crucifixion et de la pendaison des cadavres dans les places publiques » et « le choix imposé aux chrétiens et aux yézidis entre la conversion à l’islam, le paiement d’un tribut (jizya) ou l’exode. »
Selon le représentant du Vatican, « tous doivent être unanimes dans la condamnation sans aucune ambiguïté de ces crimes et dénoncer l’invocation de la religion pour les justifier. Autrement quelle crédibilité auront les religions, leurs adeptes et leurs chefs ? » écrit le cardinal.
Et de poser cette question de fond : « Quelle crédibilité pourrait avoir encore le dialogue interreligieux patiemment poursuivi ces dernières années ? »
L'objet de cette déclaration semble être le relatif silence des autorités musulmanes à l'égard de l'État islamique et des acteurs qui soutiennent économiquement ou militairement l'organisation terroriste. C'est en tout cas l'interprétation que fait Christophe Roucou, directeur du Service national pour les relations avec l’islam (SRI) de la Conférence des évêques de France.
Selon le prêtre, qui est très proche du cardinal Tauran, aucune des grandes autorités musulmanes qui font référence au niveau mondial, comme par exemple l'université al-Azhar, n'ont condamné la barbarie de l'État islamique. À la grande déception du Vatican.
« Mgr Tauran tient à exprimer son désarroi vis-à-vis de certains des partenaires musulmans dans le dialogue. En effet, quel sens le dialogue interreligieux a-t-il si on laisse passer l'innommable ? » explique Christophe Roucou.
Le langage franc du cardinal Tauran est inhabituel, mais le contexte l'exige. Il correspond aussi aux principes diplomatiques du pape François explicité dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium. Dans l'article 251, rappelle Christophe Roucou, le pape avait écrit : « Une ouverture diplomatique qui dit oui à tout pour éviter les problèmes ne sert à rien, parce qu’elle serait une manière de tromper l’autre et de nier le bien qu’on a reçu comme un don à partager généreusement. L’Évangélisation et le dialogue interreligieux, loin de s’opposer, se soutiennent et s’alimentent réciproquement. »
Le cardinal Tauran s'est dit par ailleurs reconnaissant pour les nombreuses condamnations de l'État islamique faites par des responsables musulmans en Europe, notamment en France.