Un système économique centré sur le dieu de l'argent saccage la nature pour soutenir le rythme effréné de consommation qui lui est inhérent
L’homme et les hommes
La solidarité est un mot qui ne plait pas toujours ; je dirais que parfois nous l’avons transformé en un « gros mot » à ne pas utiliser. Cependant, c’est un mot qui signifie beaucoup plus que quelques actes de générosité sporadiques. C’est penser et agir en termes de communauté, de priorité de la vie de tous contre l’appropriation des biens par quelques-uns. C’est également lutter contre les causes structurelles de la pauvreté, l'inégalité, le manque de travail, de terre et de logement, le déni des droits sociaux et du travail. C’est affronter les effets destructeurs de l'empire de l'argent : les déplacements forcés, les émigrations douloureuses, le trafic des personnes, la drogue, la guerre, la violence et toutes ces réalités que beaucoup d'entre vous subissent et que nous sommes tous appelés à transformer. Solidarité, entendue dans son sens le plus profond, est une manière de faire l'histoire, et c’est cela que font les mouvements populaires. (…)
Regard sur la création
Terre. Au début de la création, Dieu a créé l'homme, gardien de son œuvre, le chargeant de la cultiver et de la protéger. Je vois qu'il y a ici des dizaines de paysans et de paysannes et je me félicite avec eux parce qu’ils protègent la terre, la cultivent et le font en communauté. Je suis préoccupé par le déracinement de tant de frères paysans qui souffrent pour cela, et non pas à cause de guerres ou de catastrophes naturelles. L'accaparement des terres, la déforestation, l'appropriation de l'eau, les pesticides inadéquats sont quelques-uns des maux qui arrachent l'homme à sa terre natale. Cette séparation douloureuse n’est pas seulement physique, mais aussi existentielle et spirituelle, car il existe une relation avec la terre qui met la communauté rurale et son mode de vie particulier en déclin notoire et même en danger d'extinction.
L'autre dimension du processus global actuel est la faim. Lorsque la spéculation financière conditionne le prix des aliments, en les traitant comme n’importe quelle marchandise, des millions de personnes souffrent et meurent de faim. Par ailleurs, des tonnes de nourriture sont jetées. Ceci est un véritable scandale. La faim est un crime, l’alimentation est un droit inaliénable. Je sais que certains d'entre vous appellent à une réforme agraire pour résoudre certains de ces problèmes, et laissez-moi vous dire que dans certains pays, et ici je cite le Compendium de la Doctrine sociale de l'Église, « la réforme agraire devient donc, outre une nécessité politique, une obligation morale »(CSDC, 300).
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Deuxièmement, un toit. Je l'ai dit et je le répète : un toit pour chaque famille. Nous ne devons jamais oublier que Jésus est né dans une étable, parce qu'il n'y avait pas de place où le loger ; que sa famille a dû quitter sa propre maison et fuir en Égypte, persécutée par Hérode. Aujourd'hui, il y a beaucoup de familles sans toit, soit parce qu'elles n’en ont jamais eu soit parce qu'elles l’ont perdu pour diverses raisons. Famille et logement vont de pair. (…)
Nous vivons dans des villes qui construisent des tours, des centres commerciaux, s’engagent dans des affaires immobilières, mais elles abandonnent une partie d'elles-mêmes en marge, dans les périphéries. Qu'il est pénible d'entendre que les quartiers pauvres sont marginalisés, ou, pire encore, qu’on veut les éradiquer ! Cruelles sont les images des déplacements forcés, des bulldozers démolissant les baraques, images semblables à des images de guerre. Et nous en sommes témoins aujourd'hui.
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Troisièmement, un travail. Il n'y a pas de pauvreté matérielle pire - je tiens à le souligner - il n'y a pas de pauvreté matérielle pire que celle qui ne permet pas de gagner son pain et prive quelqu’un de la dignité du travail. Le chômage des jeunes, le travail informel et le manque de droits des travailleurs ne sont pas inévitables, ils résultent d'une option sociale antérieure, d'un système économique qui place le profit au-dessus de l'homme ; si le profit est économique, le mettre au-dessus de l'humanité ou au-dessus de l'homme, c’est l’effet d'une culture du déchet qui considère l'être humain en lui-même comme un bien de consommation, qui peut être utilisé et ensuite jeté.
Aujourd'hui, ajoutée au phénomène de l'exploitation et de l'oppression, il y a une nouvelle dimension dure de l'injustice sociale ; ceux qui ne peuvent pas s’intégrer, les exclus sont mis au rebus, considérés comme « en surplus ». Ceci est la culture du déchet et je voudrais développer ce sujet, bien que je ne l'aie pas écrit, mais je viens de m’en souvenir maintenant. Cela se produit lorsque le centre d'un système économique est le dieu de l'argent, et non pas l'homme, la personne humaine. Oui, au centre de tout système social ou économique doit être placée la personne, image de Dieu, créée pour être le dénominateur de l'univers. Lorsque la personne est déplacée et qu’arrive à sa place le dieu de l'argent, il y a cette inversion des valeurs.
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Au cours de cette rencontre, vous avez également parlé de Paix et d'Écologie. C’est logique : il ne peut pas y avoir de terre, il ne peut y avoir de toit, il ne peut y avoir de travail si nous n’avons pas la paix et si nous détruisons la planète. Ce sont des sujets si importants que les peuples et leurs organisations de base ne peuvent manquer d’en débattre. Ils ne peuvent pas rester uniquement dans les mains des dirigeants politiques. Tous les peuples de la terre, tous les hommes et femmes de bonne volonté, nous devons tous élever notre voix pour la défense de ces deux dons précieux : la paix et la nature. La sœur Terre Mère, comme l'a appelée Saint François d'Assise.
J'ai dit il y a peu, et je le répète : nous sommes en train de vivre la troisième guerre mondiale, mais par morceaux. Il existe des systèmes économiques qui doivent faire la guerre pour survivre. Alors on fabrique et on vend des armes et avec cela, les bilans des économies qui sacrifient l'homme aux pieds de l'idole de l'argent, deviennent évidemment assainis. On ne pense pas aux enfants souffrant affamés dans les camps de réfugiés, on ne pense pas aux déplacements forcés on ne pense pas aux maisons détruites; on ne pense pas non plus à tant de vies détruites. Combien de souffrance, combien de destruction, combien de douleur ! Aujourd'hui, chères sœurs et chers frères, le cri de la paix s’élève dans chaque région de la terre, dans chaque peuple, dans chaque cœur et dans les mouvements populaires : Plus jamais la guerre !
Argent
Un système économique centré sur le dieu de l'argent a aussi besoin de saccager la nature, de saccager la nature pour soutenir le rythme effréné de consommation qui lui est inhérent. Le changement climatique, la perte de la biodiversité, la déforestation montrent déjà leurs effets dévastateurs dans les grands cataclysmes dont nous sommes témoins, et dont vous êtes ceux qui souffrent le plus, les humbles, vous qui vivez près des côtes dans des logements précaires ou qui êtes très vulnérables économiquement au risque de tout perdre face à une catastrophe naturelle.
Frères et sœurs : la création n’est pas une propriété, dont nous pouvons disposer selon notre plaisir ; et c’est encore moins la propriété de certains, de quelques-uns. La création est un don, elle est un cadeau, un don merveilleux que Dieu nous a fait pour que nous en prenions soin et l’utilisions pour le bénéfice de tous, toujours avec respect et gratitude. Peut-être savez-vous que je prépare une encyclique sur l'écologie : soyez certains que vos préoccupations y seront présentes. Je vous remercie, je profite de l'occasion pour vous remercier de la lettre que m’ont fait parvenir à ce sujet les membres de Via Campesina, la Fédération des Cartoneros et tant d'autres frères.
En français
Cité du Vatican, 28 octobre 2014 (VIS). François, évêque de Rome, s'est adressé le 28 octobre 2014 aux mouvements populaires, qui tiennent un congrès à Rome, sous l'égide du Conseil pontifical Iustitia et Pax et de l'Académie pontificale des sciences sociales.