Des communautés, des paroisses, des mouvements, des collectifs, des facultés de théologie veulent comprendre & faire reculer le cléricalisme
Quand Dominique Greiner exposa son travail au Prado à propos de « #Réparons l’Église », il annonça la sortie en février du livre Scandales, abus, révélations. Je place ce regard en pensant à l’action des prêtres, à leurs souvenirs concernant l’époque du concile Vatican II jusqu’à maintenant. Voir la page du 30 janvier.
« Au cours de l'été 2018, après la révélation de nombreux scandales d'abus sexuels sur mineurs commis par des clercs, le pape a adressé une « Lettre au peuple de Dieu ». « L'ampleur et la gravité des faits exigent que nous réagissions de manière globale et communautaire », peut-on y lire. En réponse à l'appel lancé aux lecteurs de la Croix et Pèlerin, de très nombreux lecteurs ont écrit pour partager leur expérience, exprimer leurs sentiments et faire acte de proposition pour réagir contre le cléricalisme qui, selon le pape François, est à l'origine des différentes formes d'abus dans l'Église. Dominique Greiner, rédacteur en chef de la Croix, propose une synthèse des propositions réactions. Celles- ci témoignent de la maturité du peuple de Dieu, qui assume sa part de responsabilité pour aider l'Église dans sa démarche de guérison ».
Voici l’éditorial de La Croix du mercredi 5 février :
Un processus à poursuivre : Dominique Greiner.
Au cours de l’été 2018, alors que se succédaient les révélations d’abus perpétrés par des clercs pendant plusieurs décennies, le pape François adressait une lettre au peuple de Dieu. « L’ampleur et la gravité des faits exigent que nous réagissions de manière globale et communautaire », écrivait-il. Dans la foulée, il convoquait à Rome les présidents des conférences épiscopales pour un sommet sur la protection des mineurs, qui s’est tenu du 21 au 24 février 2019. Quelques mois plus tard, il renforçait la législation de l’Église contre les abus et les mauvais traitements, introduisant notamment une obligation pour tous les clercs, les religieux et les religieuses de « signaler » à l’autorité ecclésiastique des faits dont ils auraient connaissance.
Les fidèles, profondément affectés, n’ont pas été en reste. Depuis dix-huit mois, des communautés, des paroisses, des mouvements, des collectifs, des facultés de théologie, des médias chrétiens – dont La Croix à travers la consultation « Réparons l’Église » – se sont saisis de l’appel du pape pour comprendre pourquoi des abuseurs ont pu agir si longtemps sans être inquiétés, et faire acte de proposition pour faire reculer le cléricalisme qui les a protégés. La multiplication des initiatives indique qu’il se passe quelque chose – même s’il est encore difficile de dire sur quoi tout cela débouchera à terme. Pour reprendre la terminologie du pape François, l’important est d’initier des processus qui inscrivent l’action dans la durée – comme celui qu’il a mis en œuvre en publiant sa Lettre au peuple de Dieu. Cette dynamique doit se poursuivre pour porter ses fruits : il serait en effet prématuré de croire que nous déjà avons tiré toutes les leçons du scandale des abus et que le cléricalisme n’est plus.
Il convient aussi de lire l’ouvrage d’Isabelle de Gauldmyn : Les cathos n’ont pas dit leur dernier mot.
« La rédactrice en chef du journal "La Croix" est partie à la rencontre de Français catholiques pour rendre compte de leur façon de vivre, d'agir, mais aussi et surtout pour mieux saisir ce qu'ils révèlent du catholicisme d'aujourd'hui. Son enquête l'a conduite de la jungle de Calais à une prison pour femmes en passant par une abbaye perdue sur le plateau ardéchois. ©Electre 2020

Baisser les bras, céder à l’accablement ou… prendre le train. Comme tant d’autres catholiques, Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef à La Croix, éprouve un immense découragement, ce 5 mars 2019, à la vue du terrible documentaire d’Arte, Religieuses abusées, l’autre scandale de l’Église. Passée la sidération, elle reprend ses réflexes de journaliste et décide de questionner ce que d’aucuns considèrent comme un effondrement de l’institution. La foi qui l’anime à titre personnel rend naturellement ses interrogations encore plus vives.
De quel effondrement parle-t-on au juste ? Davantage sans doute de celui d’une certaine vision de l’Église, d’un rapport faussé entre prêtres et laïcs, que de celui des croyants eux-mêmes dont l’immense majorité continue de vivre leur foi. Comment la manifestent-ils ? Quels doutes les traversent ? Sur quoi persistent-ils à fonder leurs engagements chrétiens dans la société ? C’est pour le savoir qu’Isabelle de Gaulmyn a entrepris un voyage qui a tout du pèlerinage. La voilà donc lancée, de TER en TGV, de l’Ardèche aux Hauts-de-France, du Var à la Mayenne, à la rencontre d’une dizaine de catholiques dont elle veut comprendre pourquoi ils croient encore, comment ils parviennent à mettre en œuvre l’Évangile dans leurs actes quotidiens.
De quel effondrement parle-t-on au juste ? Davantage sans doute de celui d’une certaine vision de l’Église, d’un rapport faussé entre prêtres et laïcs, que de celui des croyants eux-mêmes dont l’immense majorité continue de vivre leur foi. Comment la manifestent-ils ? Quels doutes les traversent ? Sur quoi persistent-ils à fonder leurs engagements chrétiens dans la société ? C’est pour le savoir qu’Isabelle de Gaulmyn a entrepris un voyage qui a tout du pèlerinage. La voilà donc lancée, de TER en TGV, de l’Ardèche aux Hauts-de-France, du Var à la Mayenne, à la rencontre d’une dizaine de catholiques dont elle veut comprendre pourquoi ils croient encore, comment ils parviennent à mettre en œuvre l’Évangile dans leurs actes quotidiens.
Le livre qu’elle en tire relève du carnet de bord, vivant, chaleureux, écrit sur le mode de la conversation, avec ce que cela peut comporter de remarques parfois rapides. Mais l’ouvrage, extrêmement plaisant à lire, ne prétend pas faire œuvre de théologie ou de sociologie. Il offre le regard, autant aiguisé que bienveillant, d’une grande connaisseuse du milieu ecclésial sur des catholiques dont elle se sent proche. Isabelle de Gaulmyn en fait elle-même le constat : il lui sera peut-être reproché d’avoir choisi essentiellement des interlocuteurs de sa génération – nés dans les années 1960 – et de sa sensibilité ecclésiale.
Mais là n’est pas l’essentiel : c’est d’abord de l’énergie et de l’espérance qu’elle est venue puiser auprès de frère Hugues, le père abbé de Notre-Dame des Neiges, d’Anne Lécu, religieuse dominicaine, qui exerce comme médecin en prison, de Sophie, dont l’imprimerie réalise pour des travaux pour tous les milieux d’Église… Tout au long de ses rencontres, Isabelle de Gaulmyn partage ses interrogations avec ses interlocuteurs sur les abus sexuels dans l’Église, sur les dysfonctionnements qui ont conduit à la crise, mais aussi sur le mal, la mort et l’au-delà… Ouvrant des pistes sur un fonctionnement renouvelé de l’institution, elle se met d’abord à l’écoute de catholiques qui la bousculent dans sa manière de concevoir sa foi, qu’elle qualifie de « janséniste et cérébrale ». Le témoignage de Philippe Royer, le « patron » des Entrepreneurs et dirigeants chrétiens, est à cet égard l’un des plus beaux du livre. Son éloge de la gratuité dans les rapports humains et de la confiance en Dieu ramène à l’essentiel du message chrétien, dont le livre d’Isabelle de Gaulmyn rappelle qu’il a encore quelque chose à dire à la société…
Bruno Bouvet, La Croix 5 février