Il y a parfois tant de solitude ; il y a parfois tant d'isolement au sein de nos sociétés... tant de conscience qui finissent par s'éteindre

Publié le par Michel Durand

Il y a parfois tant de solitude ; il y a parfois tant d'isolement au sein de nos sociétés... tant de conscience qui finissent par s'éteindre

source de la photo. Également une page à lire qui situe la lettre de Jean-Marie dans le contexte de la pandémie.

Jean-Marie a rédigé cette page en avril 2018. Que dirait-il aujourd’hui alors que le confinement limite de nombreuses occasions d’échanges spontanés ? Alors que covid-19 engendre la distance, les gestes barrières, la méfiance. Un individualisme déjà bien encré dans nos modes de vie ne va-t-il pas encore s’accroître ? Écoutons Jean-Marie.

 

Bonjour Cécilia, 

Je m'excuse de venir vous importuner de nouveau, mais voici :

Voilà bien plusieurs semaines, et finalement même plusieurs mois ou même plusieurs années, que je me dis et que je constate ceci : 

Il y a parfois tant de solitude... il y a parfois tant d'isolement au sein de nos sociétés... tant de conscience qui finissent parfois chez certains ou certaines d'entre nous par se faner ou bien même par s'éteindre...

Comment faire - comment résister face à ce qui finalement peut constituer, à l'extrême, la fin d'une certaine humanité, je veux dire par là, la fin d'une certaine humanité avec ce qu'elle a de plus beau et de plus remarquable : l'attention à l'autre et à soi-même, l'entraide, l'amitié réelle et la fraternité, le désir de laisser un monde plus vivable et beaucoup plus humain aux générations qui nous suivront.

Bref : il faut et il faudrait – sans tarder – de nouveau, que les personnes se parlent, soient à même de se parler en profondeur et sur ce qui fait leurs vies... sur ce qui fait le contenu de leurs existences certes parfois le plus trivial, mais encore et surtout sur ce qui fait l'essence profonde et même universelle de leurs vies.

Il faudrait des lieux de paroles et d’échange, très largement ouverts, à quiconque, à qui voudra... des sortes de cafés philo, en grand nombre, en très grand nombre - avec une déontologie bien entendu (ne pas dire du mal de l'autre, veiller à construire et à ne pas détruire, rester bienveillants, placer l'amitié et l'entraide en points fondamentaux, etc.)

Nous connaissons déjà un peu ce genre de choses, ces cafés philos, mais cela se limite à ma connaissance bien souvent aux villes ou aux grandes villes, ou bien aux lieux où réside déjà toute une population particulièrement éveillée, sensibilisée, et portée sur l'attention au bien commun et au bien vivre ensemble.

Pour en revenir à nos vies de villages, de villages ordinaires, de villages lambda - je parle en tout cas de ma région du Sud-Loiret que je connais bien, et de mon propre village de Bonny-sur-Loire : nous sommes parfois bien loin du compte en matière de partage d'idées, et d'actions collectives qui pourraient naître et améliorer notre ordinaire, et par voie de conséquence améliorer l’ordinaire de bien d'autres personnes encore...

Il se passe naturellement ici, tout comme ailleurs encore, des choses, de belles choses – mais la parole (et l'échange en profondeur) semble être prisonnière, parfois balbutiante certes, mais certainement pas libérée et véritablement partagée comme elle devrait l'être.

(…)

Bon.

Que fait-on ?

Que peut-on faire ?

Qu'est-on à même de faire, concrètement ?...

Il faut donc - et ce, d'urgence, je pense - libérer la parole, la partager largement, laisser et favoriser les (vraies) rencontres, susciter l'émergence de nouvelles idées qui rassemblement (et rassembleront) les personnes, et qui permettre (et permettront) que l'on retrouve le goût et cette nécessité première de côtoyer l'autre, de cheminer avec l'autre – en vérité – et ce, dans un bonheur véritablement partagé...

Voilà, en quelques lignes qui ne veulent pas être trop longues, ce que j'avais à vous dire.

Je pense que vous avez amplement saisi l'ampleur de la tâche, mais également saisi le fait que cela est possible et sera rendu possible (tenter de développer des points rencontre et parole en ville ainsi qu'à la campagne) qu'ensemble, en faisant circuler ce désir… cette idée… cette nécessité.

Et je repense, là, tout naturellement à notre chère Etty – à Etty Hillesum – comment aurait-elle donc fait pour se connaître elle-même, pour se 'survivre' à elle-même pourrait-on dire, et finalement pour vivre et pour faire vivre si largement tout autour d'elle, si d'aventure elle n'avait pas été en lien profond et d'amitié avec Julius Spier, avec Han Wegerif, avec Christine Van Nooten, et avec tant et tant d'autres ami(e)s encore, et personnes d'absolue confiance ?... 

Ces relations d'amitié profonde ont bien été essentielles – et la clé, je pense – pour qu'elle ait été à même d'effectuer son chemin, sa migration vers elle-même, vers les autre, et en définitive vers son Seigneur...

Voilà.

Je n'en rajoute pas, à présent.

Ma question est donc de savoir si vous avez, autour de vous, ressenti cet appel puissant et presque impérieux à créer des lieux de paroles et de rencontres - et s'il en existe déjà (et il en existe fort heureusement déjà...) : comment faire en sorte qu'ils puissent 'faire des petits', essaimer largement jusque dans nos campagnes et dans nos zones rurales – là où la nécessité semble être tout aussi première et urgente en la matière...

Je vous prie de bien vouloir prendre tout le temps qu'il faudra pour me répondre, disons quelques jours ou bien quelques semaines, si cela est possible pour vous, naturellement.

Je vous souhaite de passer une très belle journée, ma chère Cécilia, et je vous souhaite du courage, également – toujours et encore – en tout et pour tout ce que vous entreprenez et entreprendrez !

Avec mes meilleures amitiés,

Jean-Marie Delthil. Bonny, le 26 avril 2018.

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