Ta main, ton pied, ton œil t’entraînent au péché… coupe, arrache ; il faut agir tout de suite pour ne pas être précipité dans la géhenne
Pape François, Fratelli tutti 62 :
« Celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne saurait aimer le Dieu qu’il ne voit pas » (1 Jn 4, 20).
Même cette proposition d’amour pouvait être mal comprise. Ce n’est pas pour rien que, face à la tentation des premières communautés chrétiennes de créer des groupes fermés et isolés, saint Paul exhortait ses disciples à vivre l’amour entre eux « et envers tous » (1 Th 3, 12), et que, dans la communauté de Jean, il était demandé de bien accueillir les frères « bien que ce soient des étrangers » (3 Jn 5).
26 septembre 2021 : 107ème journée mondiale du migrant et du réfugié. Vers un nous toujours plus grand. Notons que cette journée fut souhaitée en 1914 par le pape Benoit XV. Sa mission est de veiller à ce que les chrétiens prennent conscience des besoins des migrants et réfugiés et vivent une réelle solidarité à leur égard.
PREMIÈRE LECTURE - Nombres 11, 25-29, « Serais-tu jaloux pour moi ? Ah ! Si le Seigneur pouvait faire de tout son peuple un peuple de prophètes ! »
PSAUME 18 (19), 8. 10. 12-14 : Les préceptes du Seigneur sont droits, ils réjouissent le cœur
DEUXIÈME LECTURE - Lettre de Jacques 5, 1 – 6 : « Vos richesses sont pourries »
ÉVANGILE - Marc 9, 38-43. 45. 47-48 : « Celui qui n’est pas contre nous est pour nous. Si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la »
Homélie
La parole évangélique ne peut se lire sans que l’on pense à l’existence que l’on mène au quotidien. Lire et comprendre l’Évangile, c’est se convertir pour mettre en pratique ce que Jésus enseigne. Bien comprendre et tout faire pour concrétiser dans son existence la volonté de Dieu sont les deux tâches indispensables de toute eucharistie. Aujourd’hui, tout en incluant l’enseignement de la journée mondiale du migrant et du réfugié et reprenant un texte de 2003 (je l’avoue), je m’attache à pénétrer le sens de ce que Marc a rédigé. Je m’aide pour cela de la lecture d’un ami dans le texte de Marc rédigé en grec.
Le texte que nous venons d’entendre ne peut que surprendre. Que faire de ses images radicales ?
« Et si ta main est pour toi une occasion de chute, coupe-la ».
Il importe de saisir ce qui est dit à travers les images. Il convient de traduire le récit dans notre vie actuelle bien que, à première vue, cela ne soit pas facile. En effet, personne, aujourd’hui, ne parle en employant des mots si brutaux : être jeté dans la géhenne là où le ver ne meurt pas et où le feu ne s’éteint pas ! Nos images, urbaines, sont plus policées.
Marc ne semble pas, ici, reproduire un discours de Jésus comme c’était le cas dans le passage précédent (9, 33-37) où, se trouvant à la maison de Capharnaüm, il donnait un enseignement sur l’accueil des petits pour casser la querelle des apôtres se demandant qui, parmi eux, était le plus grand : « celui qui accueille en mon nom en enfant comme celui-ci, c’est moi qu’il accueille ». Dans le passage de ce jour Marc semble rassembler plusieurs sentences éparses du Christ, prononcées en des temps divers, réunies entre elles par l’emploi de deux expressions qui servent de liens :
- la première expression est « en mon nom », verset 38 à 41
- la deuxième expression : « entraîne au péché ». Verset 42 à 48. Technique ordinaire des civilisations orales.
- Regardons le premier groupe : on a vu quelqu’un chasser des esprits mauvais en ton nom.
« nous l’en avons empêché, car il n’est pas de ceux qui nous suivent. »
Oui, ce n’est pas un disciple, celui qui accompagne le maître dans tous ses déplacements. Il n’est pas des nôtres. Il ne forme pas une communauté de vie avec nous.
La question de Jean relève de « l’esprit de clocher pour son Église » qui affirme qu’il ne peut y avoir de bon que ce qui naît dans ses rangs. Ce que font les autres est douteux. Je traduirais pour aujourd’hui cet état d’esprit en distinguant l’Église réunie en prière de l’Église informelle. Voit-on quelqu’un œuvrer au nom du Christ sans qu’il soit explicitement membre de la communauté, on va dire : de quoi se même-t-il ? Il n’est même pas de la paroisse. Réponse de Jésus : « Ne l’empêchez pas. »
Jésus n’approuve pas cet esprit de clocher. Il invite, au contraire, au souci d’ouverture envers le frère qui est proche. Celui qui agit dans le même sens que les disciples de Jésus ne peut pas, aussitôt après, mal parler de Lui. Certes, il n’est pas encore un ami, mais ce n’est pas pour autant un ennemi. Alors, pourquoi le marginaliser davantage et prendre le risque de s’en faire un ennemi ? La consigne est à l’accueil le plus large possible de ceux et celles qui ne sont pas notoirement des adversaires.
« Celui qui n’est pas contre nous est pour nous »
Ces mots sont prononcés par Marc dans un groupe de personnes qui ressent l’hostilité. L’Église, à l’époque de la rédaction des Évangiles, est persécutée. La persécution pousse au repli sur soi, à la fermeture, et l’évangéliste rappelle que Jésus a dit que celui qui, au nom de l’amour chrétien, donne à boire à qui a soif, fût-il son ennemi, appartient au Royaume. L’Église non réunie en prière qui vit au quotidien l’accueil d’autrui, de l’étranger, appartient autant à la famille de Dieu que l’Église fidèle au culte.
- Regardons maintenant le deuxième groupe : celui qui entraînera à la chute
« Celui qui est un scandale, une occasion de chute, »
L’expression la plus explicative est celle-ci : celui qui fait un croche-pied à quelqu’un pour le faire tomber volontairement… qu’il aille au diable ! Les petits, dont il est question dans ce passage, sont les chrétiens dont la foi naissante est encore fragile. Tous les scandales, tous les pièges tendus sous leurs pas sont susceptibles de les faire tomber. Aussi faut-il être attentif à ne pas les mettre dans des situations difficiles qui seraient, pour eux, des occasions de chute. Les mots ne sont jamais assez fort pour prévenir tous risques éventuels. Ta main, ton pied, ton œil - autant d’organes vitaux pour la communication - t’entraînent au péché… coupe, arrache ; il faut agir tout de suite ; mieux vaut entrer infirme dans le Royaume que d’être précipité tout entier dans la géhenne. Bien sûr, il ne s’agit de se mutiler physiquement, mais de bien comprendre l’enjeu de la situation : la vie de tout l’être importe plus que la seule vie du corps. C’est une invitation à bien comprendre que nous devons nous détacher de ce qui est mauvais en nous-mêmes pour nous assurer le salut. On ne peut vouloir la réussite humaine si celle-ci nous conduit au mal éternel.
L’image de la géhenne est très forte
C’est une vallée profonde située au sud de Jérusalem qui sert de décharge pour toute la ville : détritus, cadavre d’animaux, et parfois d’humains, sont la proie des vers et des corbeaux. On y brûle en permanence toutes sortes d’immondices : images fortes du sort réservé à tous ceux qui sont fermés aux appels de Dieu. Autrement dit : « la justice éternelle de Dieu punira ceux qui se seront totalement fermés à son Amour. Ils se trouveront privés de la communion divine, séparés du Christ et des saints. Tel est l’enfer, réalité mystérieuse, difficile à conjuguer avec le Dieu Amour. Mieux vaut tout faire pour éviter cette souffrance éternelle (là où leur vermine n’arrête jamais).
Tel est le message de ces paroles violentes que l’Église a toujours lues dans son sens symbolique. (Lire Jacques Hervieux, L’Évangile de Marc, Bayard éditions Centurion 1995, p.136).
Voir aussi :
La Croix : Que pèse vraiment la parole du Pape