Les Pueri cantores étaient rassemblés en aube et l'impression de nos voix acclamant Dieu me transporta dans un état d'allégresse extraordinaire

Publié le par Michel Durand

Les Pueri cantores étaient rassemblés en aube et l'impression de nos voix acclamant Dieu me transporta dans un état d'allégresse extraordinaire

 

En toute transparence.

Je pense ne pas me tromper en affirmant que le vécu des rassemblements « Pueri Cantores » des années 1960, peut s’analyser avec les mêmes critères que les rassemblements des JMJ à. la Jean-Paul II où les chants de louanges des jeunes actuels. Ce n’est qu’en relisant ce journal d’adolescence que la comparaison m’est venu.

Il me semble ainsi qu’un regard critique se doit de comparer les effets de la musique sur les jeunes des années soixante à ceux de la musique de louange. Je pense à l’article de La Croix : Louer est la meilleur façon de prier. Où est la vérité ?

 

Dimanche 8 janvier 1961

Voici un bref compte rendu de mes vacances. Celles-ci se sont déroulées en deux étapes ; la première : Noël en famille ; la deuxième : la Saint-Sylvestre à Rome.

Il est peut-être malheureux de le dire, mais il est tout de même certain, que j'ai nettement préféré la seconde partie à la première. Pourtant, la vie familiale, où l'on se sent aimé et soutenu ne doit-elle pas me réjouir ? Car, je me sens de plus en plus soutenu et aidé par ma famille, parents, sœur, grands-parents. Il en était peut-être toujours ainsi, mais je ne m'en rendais pas compte ; je ne voyais pas qu'on voulait me soulager d'une manière propre à chacun - malheureusement, très souvent différent, de ce que j'aurais aimé. Si donc je n'ai pas aimé mon début de vacances cela ne doit pas être à cause de la famille, mais plutôt à cause de nos activités. Il y eut, en peu de temps, beaucoup de monde, de repas et ceci pour Noël. En d'autres termes, la jouissance de la table était à l'ordre du jour. Or, je n'aime pas tellement ceci qui a pour effet de m'attrister car j'ai le sentiment dans cette inactivité de perdre mon temps. Manger, alors que d'autres ne mangent pas est une belle parole, mais il ne faut pas croire que cela est la mienne. Non je suis égoïste, et ce n'est pas par scrupule que je répugne manger mais plutôt par sentiment d'inactivité, de perte de temps, de gâcher ce temps précieux et qui pourrait mieux être occupé. Une autre ombre, plus forte encore, s'ajoute ce fait. Le soir même de la réunion de famille, on me demanda d'aller danser et pour ne blesser personnes je devais y aller, et y danser avec l'invitée de ma sœur. J'aime toujours danser, mais la conception que j'avais de la danse n'a plus de réalité pour moi. Je voyais dans la danse une harmonie, une suite de mouvements rythmés (la danse de couple j’entends) or, la musique est trop faible pour ces figures esthétiques et la proximité de nos corps, tout ce monde dans la salle, empêche toute liberté de mouvement. Si bien que, dans les conditions où la danse se produit, elle ne peut pas être une esthétique mais un acte sensuel, une excuse au désir d'étreindre une femme. Avoir une femme dans ses bras, sentir les palpitations de son cœur, être dans une fièvre commune, voici, le vrai but de la danse. Or, même si je désire ses sensations charnelles - cela m'arrive de plus en plus souvent - je ne peux les combler. Mon interdiction n'est pas formaliste ; je le fais de tout cœur, librement, sachant très bien que je n'en retirerai que de l'amertume. Mais, en revanche, la pratique d'une danse artistique, dont je suis à vrai dire passionné, est en ce lieu, impossible. Que reste-t-il ? Rien ; sinon d'être face-à-face, de parler de tout et de rien, d'ennuyer la fille et soi-même. Voyons donc qu'une soirée au bal dans ces conditions n'est pas agréable.

Pendant la seconde partie de mes vacances, j'aurais recommencé à peu près les mêmes activités, aussi il est facile de voir à tel point je souhaite le départ à Rome, ce qui m'échappe de toute cette ambiance de joie, fort sympathique certes, mais où je ne suis pas à l’aise.

Avant de parler un peu de l'Italie, de la deuxième partie du congé, disons quelques mots sur Marie-France Lescanne. À contrecœur presque, j'ai été la voir et, par bonheur, j'ai eu un entrevue, seul avec elle, et dans le silence : cela est tellement rare. Nous avons parlé de tout, et ce n'est que vers le soir, après deux heures de conversation, que nous abordons un sujet vraiment sérieux. Le tout pour conclure que parler, même penser, sans agir ne servait à rien. Je pense l'avoir beaucoup fait réfléchir sur les décisions qu'elle devait prendre vis-à-vis de B. Sabatier. C'est ici le problème qui l'inquiète le plus, et c'est le plus grave. Il faut, lui ai-je dis, qu’elle tranche la question. Le fera-t-elle ? Je me permets d'en douter. Mais sait-on jamais ? Enfin, et heureusement ,nous avons terminé sur une note chrétienne et elle m'a demandé de penser à elle quand je serai à Rome. Extérieurement Marie-France est une fille de force ; mais, en réalité, elle a bien une grande faiblesse. Il est dommage que je sois trop jeune pour l'aider comme elle devrait être aidé. Si elle pouvait rencontrer un prêtre ! En écrivant ceci une idée me vient : si je priais pour qu'un prêtre se présente à elle ?

Passons maintenant à la seconde partie des vacances. C'est le voyage à Rome. Voyage qui donne à ces vacances une note toute particulière.

Nous partons de Châlon le mardi 27 décembre à 20h 05 afin de prendre le train spécial Pueri Cantores. Car, il faut le dire, si pour but nous avons la visite de Rome, pour cause il y a le congrès des chanteurs. Congrès qui rassemble environ 4000 garçons de tous pays.

Après un passage à Modane, on se retrouve à Turin, puis à Gênes où nous apprenons que la compagnie italienne de chemin de fer est en grève et que c'est l'armée qui nous conduit. Cette grève explique notre heure de retard.

À 12h45 Manarola. Le temps commence à être long et on souhaite vivement l'arrivée. Heureusement que depuis un certain moment nous avons le spectacle de la côte et de la mer lesquelles sont d'un caché vraiment particulier. Mais le soleil est caché, aussi les pierres sont grises, la mer est grise, les arbres ne donnent pas tous leurs éclats ainsi que les toits et les murs des maisons. On peut cependant voir comment est cette région et on peut admirer l'alliance paradoxale, mais bien réussi, des cyprès et des palmiers. Une flèche se lance au ciel, une palme s'étant vers le sol. Le contraste s’accuse davantage quand on regarde les pins parasols ; ils sont merveilleux. Il faut que je puisse revoir cette Riviera italienne sous le soleil.

Enfin, 16h30 à peu près. Rome. Puis, en car, 42 via Andrea Doria. Contact rapide avec les sœurs : repas ; calme et direction du lit.

Ce mercredi soir, j'ai rencontré - plutôt que je ne le pensais- les séminaristes Michel Desvignes et Gérard Bouillot. Ils étaient l’an passé à la Colombière et je les connais à force d'en parler avec leurs camarades. Connaissance superficielle s’entend. Ils sont au séminaire français de Rome et, étant en Italie, ils portent, suivant la mode de ce lieu, déjà la soutane. Que leur tête était jeune, 19 ans, 20 ans, 18 peut-être ? Que leur habit me faisait mal ! Pourquoi ? Je l’ignore. Une soutane sur un corps de jeune ne doit rien avoir d’extraordinaire. Et pourtant, je fus fortement frappé par cette union, pourrait-on dire, du jeune homme et du curé, du 18 ans et de la soutane. À cause de mon émotion, je ne leur ai pas, ce soir, adressé la parole. Même, je me suis montré, comme je le pouvais, et la fatigue m'aidait, antipathique. Mon bonjour fut sec et je n'ai pas répondu avec gentillesse à une question de Gérard. Bernard remarque mon attitude et il eut le manque de finesse de dire à Haute voix « pauvre Durand, tu es obsédé par les soutanes ». Peut-être est ici la raison de l'émotion. Ou bien, ces soutanes concrétisent la gravité de l’engagement, le contraste entre la vie civile de plaisir et la vie cléricale de prière. Heureusement que le lendemain se passa mieux. Je me suis vite habitué à cette vue. Et ces deux futurs curé sont sympas.

Jeudi 29 décembre :

Visite de Saint-Pierre, du Panthéon, de Sainte Marie sur la Minerve, du séminaire français. Puis répétition. Il y aurait beaucoup à dire sur les émotions, plaisir et constatation de ses visites. Mais je ne pense pas qu'elles ai beaucoup d'intérêt. Ce sont de pures réflexions de voyage qui se trouvent généralement chez tous et que je conserve sans avoir besoin de l'écrire. Par exemple, je ne pense jamais pouvoir aimer le style rococo et, dans Saint-Pierre, la part faite entre ce qui me plaît et ce qui ne me plaît pas subsistera toujours. D'autres part, il y a plus de choses appréciées que reniés, la proportion des volumes, par exemple, dans Saint-Pierre.

Question indulgence ; les confessionnaux ? Je ne dis rien, mon silence doit suffire.

Vendredi 30 :

Capitole. Statut d’Antonin.

Saint-Paul hors les murs est visité de 10h30 à 11h ; heure à laquelle nous assistons à une messe. Tous les puéri cantores étaient rassemblés en aube et l'impression de nos voix acclamant Dieu me transporta dans un état d'allégresse extraordinaire. Il ne fallait plus me parler d'affaires terrestres ; non, j'étais trop dans le chemin du Seigneur pour pouvoir y penser. Vraiment, ma joie était au-dessus de toutes les joies que j'ai l'habitude de connaître. Dieu comble totalement mon cœur ; c’est Dieu que je dois servir ; c’est Dieu qui me donne le plus de bonheur.

À 14h nous commençons les visites du Forum Trajan avec la basilique Maxence pour voir ensuite le Colisée et de nuit La fontaine de Trévi.

À 20h30, au palais des sports, nous écoutons et participons en partie au récital de chants donné par plusieurs groupes individuels dont celui de Monseigneur Maillet. Des Allemands, des Suisses, des Belges, des Espagnols sont venus sur le podium en plus des Français qui furent, je crois, les plus nombreux.

Samedi 31 décembre :

8h30 Musé du Vatican : beaucoup à dire.

10 heures répétition à Saint-Pierre

14 heures forum Mussolini

21 h sur la place Saint-Pierre, nous écoutons les vœux du Pape au Romain pour l'année 1961. Ambiance très spéciale. Assez de monde. Une fanfare municipale et les klaxons des voitures. Très typique ; mais trop spécial et il m’est difficile de voir quelque chose de sérieux. En France, une telle ambiance aurait lieu pour Brigitte Bardot, ici c'est pour le pape, l’Église ; qu’en pensez ?

Dimanche 1er janvier :

Messe du Pape à Saint-Pierre. C'est ici que mon état atteint son paroxysme religieux. Les champs me transportaient et il me peinait d’être obligé de quitter cette ambiance où je trouvais la ferveur religieuse. Bien que la masse des chanteurs ne soit pas tellement recueilli. En contrepartie de ce désir du reste, il y avait la fatigue : plus d'une heure en station debout qui me donna le contentement de la fin.

L'après-midi, visite de Saint-Jean de Latran, de la Scala Santa, de Sainte Prassède, de Sainte-Marie-Majeure avec les mosaïques, de Sainte-Marie d'Aracoeli, du temple de Vesta, de l'arc des changeurs, du Circus Maximus.

Lundi 2 janvier 1961 :

Visite des Fosses Ardéatines, des catacombes Calixe, de La Via Appia, du Gesù, de la place Navonne, de St Louis des Français, avec de vieilles rues. Tout ceci avant de prendre le train !

Prendre le train. J’ai retrouvé ici un état d’âme connu en classe de seconde. Il fallait quitter une ville où j'ai eu beaucoup de joie, de transport. Je regrettais ce départ. J'avais le cafard : il fallait, le surlendemain reprendre le travail. La parole ne me disait rien ; je ne répondais pas aux camarades lesquelles ont remarqué ma drôle de nostalgie, mon romantisme, bien que j'essayais de le cacher. Il fallait quitter cette ville ; il fallait quitter Gérard et Michel, deux bons compagnons. Partir c'est mourir un peu. Je laissais de moi-même à Rome. Je laissais de mes impressions. Je voulais les reprendre, je voulais les y rester pour les compléter, mais c'était impossible. Le seul soulagement fut le rêve, le rêve banal. Je me retraçais Rome comme il pouvait être avec l'espoir de peut-être y retourner. Mon regret s’augmenta et ma peine s’augmenta quand le train s’ébranla et que tous les occupants criaient à la foule du quai ciao, ciao. La foule répondait, les employés de gare répondait : ciao Rome, ciao.Que les bruits de cette foule délirante, débordante se taisent ; ma tête veut le calme, le silence. Mon cœur ne veut plus être déchiré par ce départ brutal.

Et le rêve m’entoure ; puis une sorte de névrose me prend, c'est la conséquence fatal du rêve.

À 19h environ, mardi, nous arrivons en gare de Châlon, le train avait au moins deux heures de retard. Je mange un hâte à la pension pour pouvoir très rapidement me coucher. Il me faut du repos et surtout ne plus penser à Rome. Ne plus penser à Rome, aux joies reçues à Rome.

 

Mardi 10 janvier 1962

Ne plus penser à Rome, aux vacances, certains disent que cela est possible et je suis le premier à dire que le souvenir des jours agréables s'effacera vite. Mais en réalité, les jours agréables de Rome, disparaissent-t-ils ? Malheureusement non ! Il faut travailler ; qu'il est pénible de travailler ! L'étude ne me dit rien et j'ai le cafard. Pourquoi mon plaisir en Italie fut-il si grand et ma peine d'aujourd'hui si forte ? C'est une obsession : travail - Rome. Je prends un livre, commence un devoir ; conclusion, je rêve de Rome. Je n'arrive pas à concentrer mon attention sur autre chose que cette ville, la Ville. Et pourtant, il faut travailler. Ce n'est que par l'intermédiaire du roman Exodus que je peux me détacher de ce passé, mais le roman ce n'est pas le travail, et pourtant il n'y a que dans la lecture que je suis un peu mieux. Donc je lis. Je lis plus que je ne parle, car tout effort me déplaît à ce moment et la mélancolie me berce de son doux sourire. Elle est si calme et si paisible. Elle me transporte dans une telle richesse. Nostalgie du passé quand verrai-je ta fin ? Le rêve n'a rien de bon et cependant on y est si bien.

Bernard Desvignes et comme moi et cela aggrave mon état. Quand je le vois, je suis tellement près de son sentiment que le dégoût du travail s’accentue. Le fait qu'il affirme son cafard ne fait qu'augmenter ma tendance à la névrose. Jamais je n'ai connu un tel regret du passé, des vacances finies, car peut-être je n'ai jamais eu de si bonnes et si exaltantes vacances. Exaltation, ferveur religieuse, enthousiasme furent bien les caractères des offices dans Saint-Pierre et dans Saint-Paul hors les murs. Et comme ici, je n'ai rien de cela, comme je deviens triste et pauvres. Il me faudrait pour continuer ma joie, une ambiance continuelle comme il y en avait une dans les 4000 chanteurs. Ambiance créé par la masse et par la musique. Ambiance religieuse s’entend, mystique même, tout au moins pour moi.

Regrets de Rome, trouverais une occasion pour te perdre un peu ? Je veux posséder ton passé quand cesseras-tu de m'enchaîner ? Je veux être maître de toi, quand cesseras-tu de me traiter en serviteur ? Agréable passé, odieux passé, il faut te combattre.

 

Jeudi 12 janvier 1961

Enfin, le moral est meilleur. Je me lève maintenant autour de six heures comme d'habitude afin d'aller faire un peu d'études à la boîte. Je retrouve la forme et travaille désormais sans peine. Mais il m'a fallu du temps pour re-obtenir le goût au travail.

J'apprends par Monsieur l’abbé Rob que Monseigneur Décréau, ayant rencontré l’abbé Maurice Bernard, lui demanda si je m'accommodais à la nouvelle boîte et aux nouvelles études. Bien sûr, j'ai répondu que tout allait bien ; mais, à vrai dire, tout ne va pas très très bien et je m'en veux d'avoir menti. Le même Mgr Décréau pense que j'ai fait une bêtise en entrant en philo ; il aurait mieux fallu rester dans les classes mathématiques. Je comprends son inquiétude car je la ressens aussi. N'ai-je pas fait une blague en faisant philo ? Ceci est tellement différent de mes études habituelles. La seule possibilité est l’espérance ; espérer que je réussisse le bac afin de prouver que je n'ai pas fait de blague.

Je suis touché par l'inquiétude que Décréau montre à mon égard.

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