La valorisation de la sobriété court depuis des millénaires portée en particulier par l’hindouisme le bouddhisme, le stoïcisme gréco-romain
C’est dans le quotidien La Croix des 13 et14 juillet 2022. Deux articles qui me montrent, si j’étais en âge de prendre des initiatives missionnaires et pastorales, l’orientation à soutenir d’une Église locale. Partir d’en bas. Partir de la rue, des gens vivant là où ils vivent, et non, d’en haut, d’un bureau ou d’une sacristie. Tel est le chemin sur lequel me place le prêtre chilien, Nicolás Viel.
C’est le premier article que je donne lire : Rabaisser les gouvernants.
Laurence Cossé, deuxième article, me donne à lire comme un résumé de ce que j’annonce souvent : l’appel de tous les baptisés à la pauvreté. Voir l’homélie du 10 juillet.
La rencontre des objecteurs de croissance dans les années 2000 sur les Pentes de la Croix-Rousse, paroisse Saint Polycarpe a ravivé en moi, l’appel de tous à la pauvreté évangélique, à la vie sobre. « La crise écologique annoncée depuis plusieurs décennies, écrit Laurence Cossé, et la critique de la société de consommation ont engendré sa forme actuelle, le vaste courant de la “simplicité volontaire” ». « Soyons sobres aujourd’hui pour éviter que demain l’austérité nous soit imposée », comme le dit Pierre Hurmic,
Je donne également à lire cette page de La Croix. Qu’une gouvernance d’Église locale s’en inspire pour mener à bien mission. évangélisatrice. Objectif épicurisme ! Ce qui n’est nullement une apologue des jouissances faciles.
Rabaisser les gouvernants
Nommé aumônier catholique du palais présidentiel au Chili, le P. Nicolás Viel incarne une Église pour qui « la foi est politique. »
Marguerite de Lasa, le 13/07/2022
A peine installé dans la chapelle du palais présidentiel de La Moneda, au Chili, le Père Nicolás Viel a déplacé les bancs, les a disposés en cercle. Sur l’autel, il a étalé un Aguayo, une nappe aux motifs indigènes et rajouté une vierge équatorienne à l’entrée. Il fallait, selon le nouvel aumônier catholique, donner à cette froide chapelle de marbre un ton un peu plus fraternel.
Nommé aumônier le 24 mai par le gouvernement de Gabriel Boric, Nicolás Viel a débarqué à La Moneda, emporté par la nouvelle génération de gouvernants de gauche élus au Chili en décembre 2021, charriant avec eux l’espoir de tourner définitivement la page du néolibéralisme hérité de l’ère Pinochet. Ce prêtre de 40 ans a étudié avec certains d’entre eux le droit à l’Université du Chili : « La plupart ne sont pas croyants, explique-t-il, mais nous partageons une utopie commune. »
Étrange destinée qui a conduit ce curé de quartiers populaires, fasciné par la spiritualité de Madeleine Delbrêl et de Charles de Foucauld, au cœur du pouvoir chilien. Déambulant en chaussures de marche et épais gilet de laine dans ce palais chargé d’histoire, bombardé lors du coup d’État de 1973, il désigne les murs en riant : « C’est l’anti-Foucauld non ? » Mais le prêtre y trouve une cohérence : « Être au palais présidentiel, dans ce milieu non croyant, c’est comme vivre parmi les Touaregs du désert. » Sans désir de convertir personne, partageant « la vie et la foi » avec le personnel de La Moneda, et attentif à chacun, Nicolás Viel espère y faire vivre cette « foi de communauté », si propre à la spiritualité latino-américaine.
Il ne cherchera pas à ce que les gouvernants « s’élèvent » mais aspire plutôt à les faire descendre : « Mon travail, c’est de rapprocher les autorités de la base, des pauvres », explique-t-il, convaincu que « Dieu se trouve en bas » : « Mon rôle de prêtre ici, c’est que le pouvoir s’abaisse. »
Ouvrant grand les portes de La Moneda pour « la connecter avec la réalité sociale », le prêtre de la congrégation des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie aspire à attirer au palais les populations marginalisées. Aux messes, il invitera des migrants, des personnes handicapées et des groupes de la diversité sexuelle.
Formé par la théologie de la libération, le jeune avocat a choisi le sacerdoce à 25 ans pour mettre au centre de sa vie « la foi en un Dieu qui choisit les pauvres, la communauté et la proximité des plus petits ». C’est dans les quartiers populaires de la périphérie de Buenos Aires, en Argentine, où il passe cinq ans, qu’il découvre avec émerveillement une Église « très politique. » Dans le diocèse de Merlo-Moreno, les communautés chrétiennes sont en lien avec les nombreuses organisations des quartiers, développent des pastorales sociales et animent des cantines populaires. Lui qui avait étudié « la grande théologie » en Espagne, apprend qu’être curé consiste à « déplacer des tables, à balayer des salles », autrement dit, « à être disponible pour les petits services. »
L’engagement là-bas, imprègne aussi la liturgie. Lorsque Santiago Maldonado, un jeune militant sympathisant de la cause Mapuche, disparaît brutalement en août 2017, l’évêque dit une messe. Nicolás Viel, lui-même en charge de la pastorale des jeunes, voit des adolescents de son quartier se suicider, être tués, ou mourir par accident. Il organise un chemin de croix qui, pour chaque station, passe dans la maison d’un jeune défunt. C’est aussi lors de son séjour que sera béatifié, en avril 2019, Enrique Angelelli, évêque assassiné en 1976 par la dictature militaire argentine. « C’était comme être imprégné de toute l’histoire de l’Amérique latine, pleine de beauté et de martyr », se souvient-il. Spiritualité et engagement sont, pour lui, inséparables : « La politique a besoin d’une mystique », estime Nicolás Viel. « Si la foi est seulement politique et sociale, elle se meurt ; mais si elle est seulement spirituelle, elle reste désincarnée, boiteuse. »
D’où l’idée que les différentes sensibilités politiques entre chrétiens gagneraient à être explicitées : « On a parfois le sentiment que personne ne peut parler politique dans l’Église. Je pense le contraire : exprimons-nous et soyons frères de ceux qui pensent différemment ! Nous sommes unis par quelque chose de plus grand. »
À travers le collectif « Católicos por Boric », Nicolás Viel a ainsi soutenu publiquement le candidat à l’élection présidentielle : « Le cœur de notre foi est le projet du royaume, qui a trait à un monde fraternel et à une société juste, justifie-t-il. Et cela ne peut advenir sans toucher aux structures sociales et politiques. »
Objectif épicurisme
Laurence Cossé
On n’écrit pas une dernière chronique tout à fait comme les précédentes. La Croix, vous l’avez peut-être lu, va faire appel à de nouveaux chroniqueurs à partir de la rentrée prochaine. C’est là une excellente mesure. Des mandats de durée limitée sont la règle dans beaucoup de fonctions. Pourquoi les chroniqueurs seraient-ils inamovibles ?
Toujours est-il qu’un billet d’adieu a par nature un ton particulier. Et pour celui-ci, un thème s’est imposé à moi, comme il s’imposera bientôt à la majorité d’entre nous, celui de l’ascèse. Le mot fait peur, bien à tort. Sans doute est-ce qu’on l’associe aux anachorètes du désert et à leurs outrances. Or ce n’est pas cette forme extrême de l’ascèse qui prend une particulière actualité aujourd’hui – l’ascétisme spirituel qui consiste à chercher Dieu en abandonnant tout ce qui n’est pas lui – mais une ascèse autrement séduisante qu’il faut appeler par son nom, l’épicurisme. On sait que, contrairement à la caricature que ses détracteurs en ont donnée, l’épicurisme n’est aucunement une apologie des jouissances faciles mais préconise, à l’opposé, si l’on veut connaître le bonheur, défini comme la sérénité, de se limiter aux désirs « naturels et nécessaires » (1).
Cette valorisation de la sobriété court depuis des millénaires en Orient et en Occident, portée en particulier par l’hindouisme et le bouddhisme, le stoïcisme gréco-romain, le christianisme et le monachisme chrétien, par les mystiques de diverses religions et les communautés utopiques. Elle a été régulièrement remise en lumière par des personnalités prophétiques comme, au XXe siècle, Tolstoï, Gandhi, Ellul, Illich. La crise écologique annoncée depuis plusieurs décennies et la critique de la société de consommation ont engendré sa forme actuelle, le vaste courant de la « simplicité volontaire ». Étant donné le dérèglement climatique omniprésent et les bouleversements récents de l’approvisionnement énergétique, il y aurait avantage à s’en inspirer si l’on ne veut pas subir trop de restrictions autoritaires. « Soyons sobres aujourd’hui pour éviter que demain l’austérité nous soit imposée », comme le dit Pierre Hurmic, le maire écologiste de Bordeaux.
L’invitation à la « simplicité volontaire » recouvre toutes sortes de propositions : la chasse au gaspillage, le partage des voitures, tondeuses et autres propriétés, une alimentation « locavore », le choix de ne pas être envahi par les objets, et jusqu’aux appels plus radicaux au « chômage volontaire », au « freeganisme » (« La solution à la faim dans le monde se trouve dans les poubelles de New York »), à la décroissance économique, etc. – l’idée maîtresse de toutes ces pratiques étant qu’elles coûtent peu et rapportent gros, non seulement à la collectivité mais à ceux qui les adoptent, autrement dit que la frugalité n’est pas une régression mais un progrès, qu’elle procure un surcroît de créativité, de temps, d’autonomie, de relations (« moins de biens, plus de liens »), au total une qualité de vie accrue. Épicure, déjà, considérait que le but de l’existence humaine est le bonheur, et la modération dans les conduites le moyen d’y accéder, et non une fin en soi. Cette ascèse est déjà le fait d’innombrables personnes qui préfèrent, des artistes, des savants, des intellectuels, des sportifs, des navigateurs, des voyageurs sac au dos – et tous ceux qui ont fait de la générosité le cœur de leur vie.
Un des papes les plus remarquables de l’histoire de l’Église, Pie VII, fut maltraité par Napoléon. Quand les soldats vinrent l’enlever une nuit de l’été 1808, au général qui, l’arrêtant, interrompait son modeste souper, il dit « Monsieur, un souverain qui n’a besoin pour vivre que d’un écu par jour n’est pas un homme qu’on intimide aisément ».
Sobriété heureuse ? Le projet paraîtra insupportable à tous les démunis qui sont contraints à vivre dans la pauvreté. Il s’adresse évidemment aux millions de nantis, dont on sait que ce sont aussi ceux qui contribuent le plus à la dégradation de l’écosystème. Et il serait bénéfique aux autres. Si les « heureux du monde » vivaient plus frugalement, la planète entière en profiterait. (2)
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Laurence Cossé a assuré la chronique de dernière page chaque mercredi depuis septembre 2019 et auparavant de 2016 à 2018. Au nom de la rédaction et de ses lectrices et lecteurs, La Croix lui exprime ses chaleureux remerciements
(1) Ce n’est là qu’un élément du système épicurien, dont la complexité est détaillée dans, entre autres : Épicure. La nature et la raison, de P.-M. Morel, Vrin 2009, ou dans le « Que sais-je » Épicure et l’épicurisme, de J.-F. Balaudé, PUF, 2011.
(2) Citons, parmi les ouvrages en français appelant à la frugalité, La Convivialité d’Ivan Illich ; Pour qui, pour quoi travaillons-nous ? de Jacques Ellul ; La simplicité volontaire, plus que jamais de Serge Mongeau ; Vers la sobriété heureuse de Pierre Rabhi ; L’Abondance frugale de Jean-Baptiste de Foucauld ; Manières d’être vivant de Baptiste Morizot.
(1) Ce n’est là qu’un élément du système épicurien, dont la complexité est détaillée dans, entre autres : Épicure. La nature et la raison, de P.-M. Morel, Vrin 2009, ou dans le « Que sais-je » Épicure et l’épicurisme, de J.-F. Balaudé, PUF, 2011.
(2) Citons, parmi les ouvrages en français appelant à la frugalité, La Convivialité d’Ivan Illich ; Pour qui, pour quoi travaillons-nous ? de Jacques Ellul ; La simplicité volontaire, plus que jamais de Serge Mongeau ; Vers la sobriété heureuse de Pierre Rabhi ; L’Abondance frugale de Jean-Baptiste de Foucauld ; Manières d’être vivant de Baptiste Morizot.