Prier est une chose qui me préoccupe particulièrement ces derniers temps. J’en ai déjà parlé ! Chercher les moyens de mieux penser à Dieu

Publié le par Michel Durand

Prier est une chose qui me préoccupe particulièrement ces derniers temps. J’en ai déjà parlé ! Chercher les moyens de mieux penser à Dieu

Encore une page à propos du journal d’adolescence !

C’est long, direct, sans rien cacher… Et j’arrive bientôt vers la fin.

Une vue d’ensemble donnera plus de raison pour en faire une lecture d’une façon « critique ». Je pense tout rassemble en un seul document.

 

Lire ici la page précédente.

 

Lundi 16 janvier 1961

Le toubib

Depuis vendredi un mal de tête assez violent trouble ma possibilité de travailler. Mais il n'y a encore rien à dire, car, vers le soir, cela se calme. Seulement, dimanche, et aujourd’hui, je ne peux pratiquement rien faire. Deux points, d’une puissance extraordinaire, cherchent à défoncer mes tempes. C'est un mal constant que j'attribue à de la sinusite. Sinusite, ou grippe, car ma température monta légèrement, si bien que, je dûs, sous les conseils de l’inspecteur, me coucher. Serais-je malade ? Cela m'ennuie d'être ainsi et de supposer qu'il faudrait stopper le travail. Car, par l’événement du dimanche matin, je pense aussi qu’au lieu de sinusite, il s'agit plutôt de fatigue intellectuelle. Mais ceci, je n'ose le dire. Pourquoi ? Peut-être parce qu’en moi-même, il y avait une sorte de satisfaction de voir que j’ai travaillé au point d’en être malade. Oui, je l'avoue, j'exprimais cette satisfaction ; mais je m'accusais également de former ces pensées de trop grandes prétentions. C'est, peut-être le duel, entre ce que je suis et ce que je veux être ou ce qu'il serait bon d'être qui me fait penser ainsi ?

Mais, voyons cet évènements du dimanche matin. Événement est peut-être un grand mot, car, dans une vie entière, il n’aurait pas de place. Cependant, au moment même, cela prenait une sorte d’importance.

C'était vers 6 heures du matin, l'heure où généralement je me réveille - à l'aide du réveil. Étendu sur le dos, je désirais changer de position, mais cela m'était impossible. Il m'était même impossible même de bouger la tête. Celle-ci étant, dans mon demi sommeil, retenue par un arc de forme très douce, arrondie et de couleur blanche vaporeuse qui partait de l'édredon. Je voulais savoir qu’était c'était arc, d’où venait-t-i ; qui il était même ? Car, dans cet état, mon esprit avait une certaine lucidité. J'avais conscience de mon immobilisme et je pensais que la contrainte venait de la volonté d'un homme. Et, pour savoir ce qu’était cet arc, je le fixais très fortement. Mes yeux étaient-ils ouverts dans l'obscurité de la chambre ? Je n'en sais rien. Or, à force d'observer cet arc, sa blancheur vaporeuse se dissipa, puis, je pu lever ma tête et enfin, dans un mouvement brusque, la totalité de mon corps. L'arc était vraiment le facteur de mon immobilisme ; c'est à sa disparition que j'ai pu bouger. Il est inutile, je pense, de dire combien j'ai eu peur. Ma peur alla au point de considérer la mort : « peut-être vais-je mourir ? » Le retour à l’état de veille me prouvera qu'il n’en était rien. Seulement, je fus éprouvé ; mon pouls battait 105 coups à la minute, ce qui augmenta encore mes craintes.

Passons sur la journée du dimanche, qui n'a plus d'intérêt et venons à lundi où je vais en consultation chez le médecin. Il sut me rassurer mais me donna pour 3000 francs de drogue. Ayant les nerfs excitables et étant émotif, je supporte mal mon travail. Étant anxieux, je n'en suis pas maître et cela va jusqu'à me troubler dans le sommeil. C'est en quelque sorte un cas d'asthénie. Mais, pour expliquer au fond cette fatigue générale, il faudrait parler de beaucoup de choses avec la consultation du docteur que je n'ai pas le temps de rapporter ici. Cela n’a, du reste, pas d'intérêt car l'explication se trouve dans tous les livres de médecine. Il importe de savoir que je peux continuer le travail, ce n'est donc pas grave et que les drogues doivent me maintenir dans la même vie. Il me faut retrouver voir le médecin dans un mois.

 

Samedi 21 janvier 1960

Ce n'est que jeudi, où j'ai fait le patro comme d’habitude, que le mal de tête disparu partiellement. Mais la fatigue générale subsiste toujours. Que disent les camarades ? Certains ne me croient pas ; d’autres se demandent ce que j'ai et la sinusite ne les convainc pas. Seulement, voyant mes drogues, l'énigme où je m'étais installée est vite percée et il n'est pas rare qu'en classe en on dise : « Durand ne peut pas travailler, il est malade de la tête ». Cela me vexe un peu et j’essaie de ne pas le prendre au sérieux, surtout de ne pas m’exciter, ce qui m’arrive souvent ces jours-ci. Enfin, je reprends le travail plus sérieusement - au début de la semaine, j’en avais totalement ralenti l’ardeur - et vis-à-vis des camarades, j’abandonne ma paresse du début de la semaine. Sont-ils ironiques quand ils parlent de ma paresse ?

Cette fatigue s'améliore donc, elle est revenue dans le domaine de l'acceptable. C'est, tout de même une désillusion, ma résistance intellectuelle est faible et c'est ennuyeux d'être arrêté par l'état physique. Je pensais en rentrant à Châlon profiter au maximum de mes soirées pour lire, je l'ai fait ; mais voilà que je ne suis pas capable de résister. Ah ce corps, faut-il qu'il soit présent pour nous rappeler notre existence matérielle ? Faut-il qu'il s'oppose à ma marche vers une valeur transcendante ? Le soleil le sommeil me déplaît et lire me plaît. Je sacrifiais le sommeil en faveur de la lecture, faut-il que je sacrifie la lecture ou sommeil ? Pourquoi avons-nous un corps ?

Enfin la vie se reprend normalement, cela va mieux.

 

 

Vendredi 27 janvier 1961

Prière

Prier est une chose qui me préoccupe particulièrement ces derniers temps et il est fort possible que j'en ai déjà parlé dans ce cahier. Mais, peu importe, et je veux insister sur ce problème. C’est réellement un problème, car je cherche les moyens de mieux penser à Dieu. Je suis tellement plein de joie quand il m’est donné la grâce d'être en intimité avec lui. Une joie que je ne rencontre qu'avec lui. Le cinéma, la nature, l’art ne me donne pas une joie aussi débordante, aussi intense. Elle est en moi, je sens cette joie et je la considère comme précieuse car elle est la source d'une force de combat. Dieu me dévoile sa réelle présence par cette joie qui ne m’est donnée que par Lui dans ses dialogues avec lui. J'attache donc une grande importance à la prière qui me permet d'accéder au bonheur de vivre pour Dieu. Et cette prière peut être faite avec amour ou sans amour ; elle peut être bonne ou mauvaise (dans ce qu'il me paraît et non par rapport à la pensée de Dieu). Et je veux une prière où le pouvoir d'exaltation soit maximale. Afin de me rapprocher au maximum de ce but est de me trouver plus sûrement en communion avec Dieu, je prends des exemples dans les vies des couvents. D'autres part, la joie que j’obtiens est si grande que j'éprouve la nécessité de la traduire en acte. Je suis un serviteur de Dieu ; comment transmettre ma joie de l’être si ce n'est en prouvant mon état de serviteur, c'est-à-dire en m’étendant sur le parquet de la chambre, le visage en direction du sol ! Et pour symboliser ma joie, n'est-il pas choisi de se présenter, le corps bien droit sur ses genoux, la tête haute, les bras écartés. Dans cette dernière position, je me laisse prendre, emporter par Dieu : « je suis votre serviteur Seigneur, prenez-moi, appelez-moi si vous ne l'avez pas déjà fait, appelez-moi car je veux être parmi vos apôtres-prêtres. Je symbolise ainsi l'acte d'offrande de ma personne et je le fais avec une joie sincère dans le cœur. Le sourire aux lèvres, le contentement sur le visage, je demande à Dieu de me prendre. Mais, si Dieu me semble si loin qu'il m'est difficile de l’accueillir, je me recueille au plus profond de moi-même pour le trouver. Quelques fois même, j'arrête ma respiration pour n'avoir aucune distraction, pour être tout à lui. Et je le trouve et je suis heureux et c'est alors que je m'offre sa volonté. D’autres fois, quand je ne suis pas disposé à la recevoir, je le recherche à travers les actes les autres et là, les explications de mère Josephat sur la contemplation spirituelle et naturelle me sont très utiles. Je pense à autrui et je raccroche cette pensée à Dieu. Je pense à une valeur naturelle et je raccroche cette valeur à la puissance de Dieu.

Mais il ne faut pas croire que systématiquement je possède la joie de Dieu ; cela n'a pas lieu chaque soir, loin de là : je suis plus souvent arrêté par le sommeil, l'occupation matérielle. Les exemples citées précédemment ne se reproduisent pas chaque fois. Et si je parle de ceux-ci comme s’ils étaient fréquents, c’est qu'ils sont tellement intenses que j'en oublie les autres moments de prière ou j'ai refusé, par manque de volonté, ou d'amour de recevoir le Très Grand.

La lecture des psaumes principalement m'aide beaucoup à rencontrer Dieu. Sa bonté y est tellement grande qu'on ne peut pas faire autrement que de l’aimer. Et l'aimer davantage, toujours plus intensément. Le bonheur, la joie m'en sera que plus grande.

La prière est importante ; elle nous fait comprendre Dieu, elle nous exalte, et nous fortifie. Il faut toujours que je prie.

 

De l'inutilité de remplir ce cahier

Quand j'ai commencé de noircir ces pages, je ne voulais faire qu'un cahier intime ; c'est-à-dire transcrire mes impressions pour les retrouver 20 ans plus tard. Peu de temps après cette première idée, je pensais que ce journal me servirait comme guide auprès des jeunes : « voyant ma manière de penser à 16 - 17 ans, je pourrais, peut-être, mieux comprendre les adolescents ». Mais, avec le temps, les caractères changent et toutes ces raisons me semblent bien inconséquentes. Cependant, une autre idée plus importante que les précédentes change le motif de ce cahier. En le publiant, après correction bien sûr, je pourrais aider nombreux jeunes à découvrir en eux, l'appel de Dieu. Ma vie, comme celle de Banine, servirait de témoignage et sa mise en public ferait œuvre apostolique. Mais, il n'est pas à moi de faire connaître mes actes et réflexions. Et puis, mettre son âme à nu devant le monde n'est peut-être pas indiqué pour un prêtre. Aussi, ce cahier pourra peut-être servir après ma mort. Et, de mon vivant, si j'en ai le courage et le temps, il m'est fort possible de m'en inspirer pour écrire des traités sur l'appel de Dieu. Enfin de toutes ces paroles se dégage l’idée de leur rendre une utilité. Si je laisse ces pages dans un tiroir quel en sera le bénéfice ? Je perds mon temps dans ce cas. Et souvent je me demande s'il n'est pas inutile de dire tant de choses qui n'ont peut-être aucune importance dans la vie d'un homme ou d'un enfant. Il faut une certaine volonté pour écrire, cela n'est pas toujours intéressant et il m'arrive souvent de laisser le cahier à sa place pour prendre un livre quelconque afin de le lire. Du reste, je n'arrive pas à le remplir jour après jour ; je n'arrive même pas à le remplir le soir d'un événement important. Généralement, j'écris les faits une, voir deux semaines après. Cela peut y apporter de l'objectivité et c'est bon ; mais cela prouve aussi que je n'ai que peu de goût à le remplir. À savoir que ce manque de goût vient de l’impression - quelques fois très forte - d'inutilité et de perte de temps. Et Dieu sait que je n'aime pas perdre mon temps ; mais enfin, avoir l'espoir que mon travail servira à quelques uns, je continue d’écrire.

 

Mercredi 15 février 1961

Une semaine de plus avec la tête lourde et existante.

Je crois à l'existence de la matière, à l'existence de mon corps. Il me fatigue, il me fait mal et m’arrête dans mon élan de connaissance. Avec ce nouvel état, je dois retourner chez le toubib de Châlon qui m'inflige pour 4000 balles de traitement - plus fort que précédent - puis, après une mauvaise compo de physique, je peux anticiper les vacances d'un jour.

Le repos, je le veux complet pendant ces vacances et le scooter me permettra de m'évader et de prendre de nombreux contacts avec la nature. Je me saoule de nature. Jamais je m'étais autant roulé dans l'herbe ; une véritable joie, une joie paisible qui n'est pas la joie de Dieu décrite précédemment. Cette dernière est beaucoup plus froide, moins fervente, moins exaltante que la joie de Dieu. Mais je possède la joie de la liberté, la joie de la tranquillité. Cependant, dans ce repos, mon état physiologique et intellectuel ne s'améliore pas beaucoup ; j'ai toujours mal à la tête et sur l'instance de maman je vais rendre visite à au docteur Nème. C'est un type sensationnel qui connaît les valeurs du travail et de la vie. Nous avons longuement discuté sur l'amour de l'humanité et le travail de prêtre. Son point de vue est d'un réalisme et d'une objectivité à tout casser. Si je lui ai parlé de mes intentions sacerdotales, c'est pour qu'il puisse mieux juger de mon état psychique et plus spécialement de mon angoisse. Et finalement, après une radio, une auscultation générale, j'ai appris que je n'avais rien, seulement qu'il fallait un peu ralentir mes activités intra-sacerdotales. Il m'a même conseillé de reprendre quelques divertissements extra Eglise. Ceci, afin de ne pas trop me fatiguer, de ne pas m’abrutir.

Et j'ai confiance en ses paroles ; sur son conseil je pense qu'il est bon d'arrêter les patronages, lesquelles m'énervent considérablement. De même, je ne ferai pas le stage de moniteur qui demande un travail intense pendant les vacances de Pâques. Le seul objectif doit être le bac et je décide de ne plus m'éloigner de la vie familiale ce que j'avais tendance à faire. Je resterais avec eux pour toutes les vacances à venir, car je suis tout de même sous leur direction. Comme disait mon directeur il y a quelques temps : « Vous ne verrez pas toujours vos parents, donner leur donc satisfaction ». C'est ce que je ferai désormais. Travailler pour autrui est nécessaire, mais je ne pense pas qu'il soit utile d'y travailler 100 % dés maintenant.

Je ne suis d'ailleurs pas suffisamment formé et il est important de m'assurer une bonne formation. Comme le disait Nème, il faut être bougrement équilibré pour faire prêtre et je dois acquérir cet équilibre lequel est très souvent secoué par mon affectivité et par mon anxiété naturelle.

Je repars avec ces deux faiblesses corporelles dans une autre direction. Souhaitons qu'elle soit meilleur et remercions Dieu de m'avoir indiqué, même par la voix de la maladie, une route plus apte à mon tempérament.

L'objectif principal est donc le bac, avec naturellement un appel adressé à Dieu pour me soutenir, pour m'affirmer dans ma voie et pour me confirmer que cette vocation est la bonne. Avec insistance je demanderai à Dieu de me prendre parmi les prêtre ; si je ne le suis pas encore, Dieu est si bon qu'il me prendra.

 

Vocation religieuse et vocation sacerdotale

Depuis quelques temps déjà le problème se pose à moi. À ce sujet, j'ai écrit à Meiller en appuyant sur la question pauvreté obligatoire et je pense que ce point de vue est faux. Avant la privation de biens matériels, il y a, dans la vie religieuse, l'obéissance aux supérieurs. Et pour moi, l'obéissance est chose difficile. Je fais avec plus de goût ce qui vient de moi que ce qui vient d'un autre, c’est, je pense, de l’orgueil - l'orgueil de ma personnalité, mais le fait est réel, il ne peut se cacher. D'autres part, Monsieur Troncy m’indiqua que les vocations sacerdotales étaient dirigées vers la vie religieuse quand les intéressés en avait besoin d'être soutenus. D'après lui, il ne semble pas que j'ai besoin d'être dirigé. Donc, j'en conclu que la vie religieuse ne m’est pas vraiment nécessaire et que je peux très bien réussir le sacerdoce où la solitude m'effraie.

Le fait d'être deux fois parrain précipite cette conclusion. Étant assujetti à un règlement il me serait impossible, je pense, de subvenir aux besoins matériels de mes filleuls. Surtout pour Patrick ou je suis davantage responsable car la marraine, étant cloîtrée, ne peut absolument pas avoir de contacts fréquents avec lui. Et je crois en l'aide d'un parrain et je veux me montrer très serviable envers eux afin qu'ils comprennent mieux et bien la vie. Je compte beaucoup sur cette tâche, j'y attache beaucoup d’importance.

Me voici donc sans le désir d'être religieux ; cette idée ne me court plus en tête mais il faut que dans ma vie de prêtre je trouve une sorte de compensation. La prière par exemple que j'aime tellement faire en commun ne peut-elle pas avoir lieu d'une manière ou d'une autre dans la vie sacerdotale ? Et je ne veux pas être un prêtre au rabais, or la vie dans le monde risque d'être dangereuse. C'est pourquoi il faut que je me construire une sorte de code auquel il me faudra me conformer sans cesse pour éviter tout égarement. Je ne serai pas religieux, mais je veux donner à ma vie de prêtre un sens religieux. Je ne ferai pas les vœux de pauvreté et d'obéissance mais je le pratiquerai. Je pratiquerai également l’ascèse du religieux.

Et, je pense qu'il serait bon que dès maintenant je jette quelques idées me servant à établir un code. J'en possède déjà quelques unes.

Notons, avant de terminer ce rapport, que ce refus de la vie religieuse et peut-être une erreur - voir mon fort désir d'il y a quelques mois - et je m'en remets à Dieu s’il y a erreur. Toujours est-il qu'aujourd'hui je veux une vie de prêtre codifiée et qui sorte des mauvais exemples que l'on a trop souvent à la Colombière.

 

Mardi 28 février

Les vacances de Mardi Gras en quelque peu rétabli ma santé. Mais, ai-je le droit de me plaindre de mon corps ? Ai-je le droit de le détester parce qu'il m’encombre, parce qu'il m'empêche d'accomplir autant de travaux intellectuels que je voudrais ? Je l'ai en horreur ce corps, car il est la contradiction de ce que j'aimerais faire. Ce que j'aime faire et quelques fois trop utopique. Je ne peux pas l'accomplir matériellement et c'est pourquoi j'ai horreur de ce corps qui est une entrave à mes aspirations. Et il me fatigue, il est peu résistant. Pourquoi être malade ? Le système nerveux est-il trop fragile, trop facilement excitable ?

Et, dans un plan plus psychologique, pourquoi suis-je un névrosé ? On m'a fait remarqué… Des camarades de classe ont relevé cette souffrance morale que j'ai subi ou que je subis. Ils ont remarqué cette anxiété qui habite à moi et me tourmente et est peut-être la cause de ma fatigue. Pourquoi ont-ils remarqué cette névrose et pourquoi suis-je névrosé ? N'ai-je pas la force de devenir joyeux comme je le désire ? N'ai-je pas la force d'être le reflet de la joie ? Ne suis-je pas capable de montrer ma joie d'appartenir au Christ et de le servir ? Pourquoi a-t-on également remarqué que je suis déséquilibré, que je ne me maîtrise pas complètement ? Comment est-il possible que je n'arrive pas à atteindre l'équilibre désiré ? Surtout que je ne suis pas seul : Dieu m’aide.

C'est à cause de cette aide que je me pose la question : ai-je le droit de me plaindre, de condamner mon état physique et moral ? J'aimerais tellement être en parfait état, car j'en ai tellement besoin. Le docteur Nème ne m'a-t-il pas dit qu'un bon curé ne devrait pas avoir de soucis, c’est-à-dire ne devrait pas être plein de problèmes, de scrupules, de contradictions internes. Or je ne remplis pas cette fonction, je ne suis pas sans inquiétude, ne serais-je pas un bon prêtre ? Me manque-t-il de l'équilibre pour accomplir cette lourde  mission ? Je le crois ; j'en suis même persuadé mais je veux faire prêtre, je veux suivre le Christ. Ne m'aidera-t-il pas à obtenir une meilleure forme morale ? Si ces troubles sont encore les faits de l’adolescence - celle-ci se prolongerait bien tard, car j'ai 19 ans - qu’ils se stabilisent au plus tôt. Car je suis fatigué de cette instabilité de ces troubles moraux. Et je pense qu'il ne faut plus avoir horreur de son corps et des fatigues ou peine qu’il provoque. Il faut plutôt comme le dit le père Troncy, offrir ces malaises, ces nausées dans les prières du matin. Le Christ n'a-t-il pas porter en plus d'une croix (peine physique) les insultes du monde (peine morale). Je puis donc porter mes peines ; les porter sans rien dire et les offrir, les offrir avec joie. Mais ne rien dire, est-ce possible ? Il est si agréable de se plaindre, de se faire plaindre. Non, cet agréable est humain, je ne peux l'accepter. Je ne peux pas me plaindre de mon corps. Que Dieu me pardonne de ma faiblesse, car les gémissements sont un produit de la faiblesse.

Nota bene

Remarquons qu'aucune idée concernant un code de vie n'a encore été écrite. Je n'en ai pas le temps, ou le courage, et je crains beaucoup qu'il en sera ainsi jusqu'aux grandes vacances. La préparation du bac doit se faire. De plus ces projets n'aboutiront peut-être pas. Cela passe donc après le travail scolaire. J’ai suffisamment de peine avec cette seule occupation.

Joseph Décréau m'a dit qu'il fallait être sage et penser à l'occupation présente : regarder très loin dans l'avenir détournerait du véritable but. N’allai-je pas tomber dans ce piège ?

 

Dimanche 5 mars

Coupe Lacordaire

Me voici donc désigné pour représenter la Colombière à l'évêché d’Autun pour la coupe Lacordaire. Je fus certes éliminé dès la première des épreuves mon discours n'avait pas la force et la profondeur des autres concurrents. Mais cela m'importe peu car, à Autun, je fais de nombreuses connaissances. Tout d'abord l’évêque. Puis Monseigneur Décréau, lequel après une longue discussion se rendit à l'évêché et me présenta à d'autres « huiles ». Il y avait parmi celles-ci Monseigneur Guillemet, celui qui s'occupe des vocations dans le diocèse ; il attacha de l'importance à ma rencontre ce qui me permit de déduire qu'il était au courant de mes intentions de faire prêtre. Guillemet me demande même de le voir après le vin d’honneur dans les salons de l'évêché ; mais comme je n'avais pas le temps, il remit cette visite à plus tard et à la Colombière. Monsieur daigne donc se déplacer. Ne perd il passe son temps ? Il montre vraiment trop d'empressement à mon égard. N'oublions pas que pendant l'exposition des discours il ne cessa pas, ou presque pas, de m'observer.

C'est par cette rencontre, et celle de Monseigneur Décréau, que ma journée à Aucun, soldée par un échec humain, me fut agréable. Je n'y ai pas perdu mon temps car ce contact avec l’évêché et Guillemet devait se faire un jour, et il est maintenant fait.

Ajoutons avant de terminer que Monsieur Décréau m'a fait visiter la chapelle du Grand séminaire. Elle m'a fortement plu et ceci par la seule disposition des bancs. C'est ce qui est dans les monastère et qui se prêtent à une prière commune unie et fervente. En plus de cette visite, j'ai appris que chaque séminariste avait une cellule, les bâtiments étant très grand ; aussi je ne crains pas du tout de rentrer dans cet établissement. Seulement il n'y a pas que les cadres extérieurs à regarder.

 

Lundi 13 mars 1009 61

Guillemet chez Troncy

Pourquoi je crains sa visite

Avant de prendre le cours de physique, je vois Monseigneur Guillemet venant en 4 Cv et se précipitant chez l’abbé Troncy. Est-ce la visite promise à Autun ? Va-t-on m’appeler ?

Je ne tiens guère avoir ce prêtre maintenant car je ne sais pas au juste ce que je veux faire. Dois-je être religieux ou non ? Professeur ou curé de campagne ou prêtre ouvrier ? Que de questions se posent ! Et voilà l'idée du Prado. Être père du Prado n'est-ce pas là où je pourrais remplir mieux ce service ? N'est-ce pas auprès des plus déshérités qu'il me faut vivre ? L'étude sur la parole du Père Chevrier : « ne rien avoir, ne rien savoir, ne rien valoir » ne m'a pas donné le succès à la coupe Lacordaire, mais j'ai au moins découvert un nouvel horizon, celui des pauvres ouvriers. Non pas que j'ignorais la misère humaine, mais je ne voyais pas la nécessité, pour sauver ce peuple de sa misère, de prendre sa condition, de vivre comme elle, comme le Christ le fit d'ailleurs. Il faudra bien sûr dire à Monseigneur Guillemet que je ne suis pas vraiment fixé sur la forme de mon apostolat mais faudra-t-il lui dire que je suis balloté entre une idée puis une autre ? Ce ballottage est la marque même de mon instabilité. Je suis un désaxé qui ne sait pas vraiment ce qu'il veut et un désaxé ne peut pas résister aux épreuves du sacerdoce. Il faut pour ce métier, si métier il y a, un homme solide, sain. Je ne suis ni sain, ni solide et si Monseigneur Guillemet s'en aperçoit, il ne voudra pas m’accepter. Toujours est-il qu'il faut que je me fixe le plus rapidement possible et qu'avec l’abbé Troncy, le choix soit réglé. Le choix ? La volonté de Dieu plutôt ; mais Dieu me parle-t-il ? Je n'entends pas sa voix et je ne ressens pas sa direction. Certes, je sens sa présence, mais Il ne m'indique rien. Pourquoi Seigneur ta volonté ne semble pas se dévoiler ? Je suis ton serviteur, je t'offre ma vie n'ayant rien d'autres de mieux à offrir ; ne veux-tu pas me dire où je dois placer cette vie que j'offre ? En supposant que mon offrande te soit agréable et que tu m'appelles vraiment à ton service. Car, ne voyant pas ta volonté, je doute que tu m'appelles. Mais je te demande de me prendre à ton service ; j'espère et je suis sûre que tu me prendras. Tu ne peux pas me laisser choir ; tu n'abandonnes pas tes serviteurs. Je te suis Seigneur, et j'espère en toi car tu es la bonté et la vérité, l'amour. Tu perçois ma parole car tu descends jusqu'à moi pour l’entendre.

 

Mardi 14 mars 1961

Je m'étais trompé, le père qui est venu hier n'était pas Guillemet ; j’en ai tellement vu à l'évêché que je les confonds tous. Et je peux plus librement penser à la volonté de Dieu. Nous parlons avec le père Troncy du séminaire où je pourrais aller. Il y a Limonest (Prado), Chessy pour les séminaristes n'ayant pas appris le latin. Il y a Rimont, avec les vocations tardives ; mais je n'ai guère envie d'aller dans cette boîte où l'ambiance y est vraiment peu à mon goût. Reste encore le grand séminaire d’Autun. Comme le père Troncy ne connaît pas tellement les établissements cités ci-dessus, il me conseille d'attendre la venue de Guillemet à qui il va écrire pour lui renseigner sur mes désirs. Je dois également contacter Monsieur Belly qui a été pendant deux ans à Limonest.

Et c'est la volonté de Dieu qui doit éclaircir en moi toutes ces hésitations.

 

Samedi 18 mars 1961

« l'homme est un être ondoyant et divers » Montaigne

Il est en perpétuelle transformation et je suis en perpétuelle transformation. Quand pourrais-je me fixer sur la vérité, sur le vrai sur la vraie voie ? Quand trouverai-je cette voie ? Bref, il est inutile de se lamenter et passons aux faits.

Il y a quelques temps, je ne voulais plus faire de stage ni même de colonie. C'était fini dans ce domaine pour cette année ; je voulais me reposer. Mais voilà qu’à midi un curé vient me voir afin de me demander si j'étais libre pour une colonie en juillet. C'est par l'intermédiaire de Monsieur Troncy et du Supérieur que ce prêtre de Cuiseaux sut, il y a deux mois, que je voulais faire moniteur. Que lui ai-je répondu ? « J'accepte votre proposition, les dates me conviennent, vous pouvez compter sur moi ». J'ai même accepté de faire le stage de juin car il trouvait que cela était mieux de se préparer au monitorat et d'avoir quelques notions. Et, ce qui est surprenant c'est que je n'ai pas hésité pour répondre et j'en suis heureux. Ce changement de décision bien qu'il marque mon instabilité me plaît beaucoup : je pourrais rendre service pendant les vacances.

Notons que l'instabilité et le superficiel ne vient pas tellement dans cette adhésion rapide mais plutôt dans l'idée d'abandonner tout dévouement envers la surveillance des colonies.

On m'a donné la vie on me on me demande l’amour.

 

Mardi

Que le courage me manque pour remplir ces lignes et pourtant il me faut parler du début des vacances puis de la retraite à la Pierre-qui-vire.

Pour la retraite, disons que, comme j'en ai l’habitude, je craignais d'y aller. Pourquoi ? La réponse est facile : je crains que Dieu m'annonce une autre vocation que celle à laquelle je me prépare. Mais mes craintes se sont vite dissipées et très tôt, j'ai communié avec Dieu et surtout le Christ où, en cette semaine sainte, il m'a été facile, à cause de l'ambiance, de voir les phases de sa vie souffrante et publique.

Christ est ressuscité ; jamais je n'en ai autant eu la conviction. De même, mon âme, par son transport totale et inexplicable me prouve l'existence, la présence divine dans l'église, même dans les autres endroits comme le réfectoire.

Le résultat de cette retraite est donc satisfaisant puisque j'ai appris à aimer Dieu davantage, sans oublier les autres. Effectivement, j'ai appris à aimer Dieu et cette remarque se justifie dans mon désir plus grand de le rencontrer le plus souvent possible dans sa maison : l'église. Cette volonté de lui parler quotidiennement existait en moi depuis déjà un certain temps. Mais je n'avais jamais le courage de me déranger pour le rencontrer dans la chapelle de la boîte, ce qui est pourtant facile. Peut-être que maintenant cette volonté s’étant enrichie, je pourrais adorer Dieu, le Dieu en trois personnes, qui, par son amour des hommes, prolonge sa présence sur terre dans le tabernacle.

Je serai aussi bref pour parler de ma vie en famille. Cette vie est une tache à mon existence ; je n'y suis pas à l’aise. Je ne suis pas souvent d'accord avec l'opinion commune. Pourquoi ? Peut-être parce que je ne suis pas assez simple. Il me faut aimer la vie de famille, vivre avec elle et parler comme elle, cela m'est très difficile.

Une citation.

Un bon philosophe parle comme tout le monde mais il ne pense pas comme tout le monde.

Un mauvais philosophe ne parle pas comme tout le monde mais pense comme tout le monde.

Le choix se fait rapidement pour moi.

 

Pour terminer enfin ce résumé des vacances de Pâques, écrivons qu'une vie dans le confort, dans la richesse et le bien-être n'est absolument pas conforme à une vie de prière. Je ne peux pas vivre ainsi, si je veux aimer Dieu et les hommes. Il me faut une vie plus sévère, plus pauvres dans une maison également plus sévère, plus pauvres.

Pas de riches tableaux, de riches meubles, mais des murs nus. Une vie dans une ambiance esthétique n'est absolument pas apte à l'amour. Ma tendance au beau me détournerait sans cesse de la perspective de Dieu.

 

À suivre, page suivante

 

 

 

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