Je ne dis plus que j’ai des « prochains » que je dois aider, mais que je me sens appelé à devenir un « prochain pour les autres »
Dimanche 13 novembre, au centre spirituel Saint-André à Limonest (Prado), pour ouvrir à la journée de récollection - temps spirituel de prière et d’échange - et pour introduire à une lecture de Fratelli tutti, je me suis servis de la page que j’ai donné à lire sur En manque d’Eglise le 14 octobre
À 14 heures nous étions invités à prendre le temps de réfléchir personnellement sur notre présence aux autres, en s’aidant de Fratelli tutti. Voici ce que j’ai rédigé à ce propos :
Quelles présence aux réalités du monde, aux autres ?
En tant que prêtre, chargé de communautés chrétiennes, je ne donnerai qu’un témoignage pour signifier comment je vois la place de l’Église dans le monde.
Je la vois non dans une salle de prière qu’on appelle église (le bâtiment) ou dans une maison paroissiale (lieux qui demeurent nécessaires pour traiter, vivre toutes les questions propres à la religion). Je la vois sur un trottoir, sur une place publique.
En conséquence, le local de l’administration catholique ne doit pas se trouver à l‘étage d‘un bâtiment, mais dans un espace directement ouvert sur la rue, le trottoir. Un lieu d’accueil, par exemple comme un bar-café, ou salon de thé, ou espace d’exposition artistique ou thématique, dans lequel toute personne puisse se sentir invitée à entrer tout en étant pleinement à l’aise.
Voici le témoignage. C’était le mercredi 12 octobre 2022 pendant le cercle de silence en soutien aux migrants. Nous étions une trentaine de personnes en cercle autour de trois bougies posées au sol qui indiquent que nous sommes là pour veiller. Veiller à ce que les élus politiques prennent en compte la réalité des guerres et des crises économiques ou climatiques afin de mettre en œuvre des migrations légales. Une grande pancarte indique : « Lyon, cercle de silence. Soutien à tous les migrants. Nous en appelons à la conscience de tous et vous invitions à rejoindre le cercle ».
Indépendamment de ses convictions religieuses ou philosophique, tout citoyen est invité à « crier », en silence, l’urgence du respect des droits humains fondamentaux. Il importe de ne pas être accusé de non assistance à personne en danger.
Et je rappelle que François de Rome a écrit dans Fratelli Tutti au n° 63 : « Jésus raconte qu’il y avait un homme blessé, gisant sur le chemin, agressé. Plusieurs sont passés près de lui mais ont fui, ils ne se sont pas arrêtés. C’étaient des personnes occupant des fonctions importantes dans la société, qui n’avaient pas dans leur cœur l’amour du bien commun ». Et au n° 66 : « Regardons le modèle du bon Samaritain. C’est un texte qui nous invite à raviver notre vocation de citoyens de nos pays respectifs et du monde entier, bâtisseurs d’un nouveau lien social. C’est un appel toujours nouveau, même s’il se présente comme la loi fondamentale de notre être : que la société poursuive la promotion du bien commun et, à partir de cet objectif, reconstruise inlassablement son ordonnancement politique et social, son réseau de relations, son projet humain. Par ses gestes, le bon Samaritain a montré que “notre existence à tous est profondément liée à celle des autres : la vie n’est pas un temps qui s’écoule, mais un temps de rencontre” ».
Un temps de rencontre !
Pour ces cercles de silence qui durent une heure, place Louis Pradel, proche de l’Hôtel de Ville à Lyon, au devant du cercle, je distribue, des tracts indiquant le sens de cette action pour obtenir un meilleur accueil des migrants quels qu’ils soient.
Un homme et ces deux enfants, 5 et 10 ans, prenant le papier me dit : « mais vous êtes le prêtre Michel Durand ! Bonjour… » Dans l’échange qui suivit, il fut question du baptême de l’ainé dans l’église de Notre-Dame de Saint-Alban, puis du lien entre ma présence sur cette place en faveur des étrangers et de la rencontre qui nous eûmes en préparation à la cérémonie baptismale. Les enfants me parlaient comme si je les avais vu la veille.
Je prends donc ce petit évènement comme le signe qu’il est bénéfique d’avoir des modes de vie qui nous placent au plus près des gens, des personnes. Une présence aux réalités du monde, une présence aux autres.
Le chrétien, le disciple du Christ ne s’enferme pas pas une bulle ; dans son immeuble, ou quartier ou village. Il se rend proche de son voisin. Et je repense à l’épître à Diognète. « Car les Chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les vêtements. Ils n'habitent pas de villes qui leur soient propres, ils ne se servent pas de quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n'a rien de singulier. Ce n'est pas à l'imagination ou aux rêveries d'esprits agités que leur doctrine doit sa découverte ; ils ne se font pas, comme tant d'autres, les champions d'une doctrine humaine ».
Le chrétien se rend d’autant plus proche de son voisin de vie que celui-ci rencontre des fragilités. François a écrit dans Fratelli tutti : « Ce qui est proposé, c’est d’être présent aux côtés de celui qui a besoin d’aide, sans se soucier de savoir s’il fait partie ou non du même cercle d’appartenance. Dans ce cas-ci, c’est le Samaritain qui s’est fait proche du Juif blessé. Pour se faire proche et présent, il a franchi toutes les barrières culturelles et historiques. La conclusion de Jésus est une requête : “Va, et toi aussi, fais de même” (Lc 10, 37). Autrement dit, il nous exhorte à laisser de côté toutes les différences et, face à la souffrance, à devenir proche de toute personne. Donc, je ne dis plus que j’ai des ‘‘prochains’’ que je dois aider, mais plutôt que je me sens appelé à devenir un prochain pour les autres ”». (81)