Dieu a de la haine pour les richesses qui font naître l’orgueil. Alors, l’humilité et la pauvreté, jointe à la justice, sont très méritoires

Publié le par Michel Durand

Canal, conduite d'eau à Amassée, l'intelligence des humains et le danger des richesses

Canal, conduite d'eau à Amassée, l'intelligence des humains et le danger des richesses

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Alors que j’ouvre de nouveau des ouvrages pour rendre compte de la vie évangélique exemplaire d’Alfred Ancel, je songe, comme je l’avais promis, à donner à lire des pages de cet évêque :

Saint Astère d’Amasée :

De l'abus des richesses

Ce n'est pas seulement par des préceptes, et par des maximes que le Sauveur tache d'inspirer aux hommes l'horreur du vice, et l’amour de la vertu ; il le fait encore plus efficacement par des exemples, et joignant les œuvres aux paroles, il leur donne des règles certaines pour se bien conduire, et pour marcher sûrement dans les voies de Dieu. Il nous avertit encore maintenant lui-même, comme il a fait autrefois par la bouche des prophètes et des évangélistes, qu'il a de la haine pour les richesses, qui font naître l’orgueil et la fierté ; que l’humilité (l’humanité), et la pauvreté, quand elle est jointe à la justice sont très méritoires. Pour mieux persuader ces maximes et pour engager les hommes à les pratiquer, le Sauveur du monde décrit l’histoire d'un riche et d'un pauvre ; l'ambition et les délices du premier, la misère et les ennuis du second, la fin de l'un et de l’autre. Il nous met cette parabole devant les yeux, afin que connaissant la vérité dans l’exemple des autres nous puissions juger sainement de nous-mêmes, par les retours que nous ferons sur notre conduite.

« Il y avait un homme riche qui était vêtu de pourpre et de lin ». L'Ecriture sainte n'emploie que deux paroles pour noter et pour condamner les profusions et les excès de ceux qui abusent de leurs richesse ; car la couleur de pourpre était fort précieuse et assez inutile, et l'on pouvait aisément se passer de lin. Ceux qui mènent une vie frugale et régulière se contentent des choses nécessaires, ils évitent avec beaucoup de soin tout ce qui a l’air de vanité et de délicatesse, parce que ce sont les sources ordinaires de toutes sortes de crimes.

Pour mieux comprendre cette vérité, il ne faut que faire réflexion sur le premier usage des habits, et combien ils étaient modestes. Que demande donc la règle de la bienséance ? Dieu a revêtu de peaux les animaux, et d’une laine épaisse, afin que les hommes pussent l’apprêter et s'en faire des habits, pour se garantir du froid et du chaud. Si vous avez besoin pendant l’été l'un habit plus léger, Dieu qui a soin de vôtre commodité vous a donné du linge, qui vous couvre pour sauver la bienséance, et qui ne vous embarrasse point par sa pesanteur, mais comme il est fort mince, il peut servir à vous rafraîchir.

Remerciez Dieu qui vous donne tout à souhait : il ne s’est pas contenté de nous tirer du néant, il nous a fourni toutes les choses dont nous avons besoin, pour conserver notre vie. Si vous ne voulez pas vous contenter du nécessaire ; si la laine vous parait trop grossière et trop simple ; si pour satisfaire vos cupidités et votre luxe, vous voulez être vêtu de soie ; si vous recherchez avec empressement les ouvrages des vers de Perse, que je compare à des toiles d’araignées ; si vous achetez les plus fines teintures, et les plus précieuses ; si vous ne plaignez point la dépense pour avoir la pourpre la plus vive et la plus éclatante, vous passerez pour un homme excessivement prodigue et sensuel, qui ne sait que faire de son bien, et qui le dissipe par des dépenses inutiles. Un homme de ce caractère est regardé comme un lâche et un efféminé, qui s'amuse à se parer à la manière des filles libertines : voila pourquoi il ne pourra se mettre à couvert des reproches de l'Evangile.

Les autres qui ne sont pas moins vains et moins curieux enchérissent encore sur ceux-ci ; ils inventent de nouveaux raffinements pour contenter leur luxe et leur délicatesse ; ils ont recours à de nouvelles manufactures, et à des ouvriers habiles, qui imitant l'adresse des peintres tracent avec un artifice admirable sur les étoffes toutes sortes d'animaux et de fleurs : ils achètent ces étoffes enrichies de tant de figures, et ils s'en font des habits à eux-mêmes ; à leurs femmes et à leurs enfants. Ils paraissent en public revêtus de ces habits bizarres, comme s'ils ne songeaient qu'à divertir, et à amuser le monde, et comme s'ils n'agissaient pas sérieusement.

Les immenses richesses qu'ils possèdent sont cause qu'ils abusent de ce monde ; au lieu d'en user seulement, comme saint Paul le conseille : si leurs discours ne font pas contraires aux maximes de l’Apôtre, leurs actions le sont entièrement ; ils s'opiniâtrent à faire ce qu'il a expressément défendu. Quand ils se montrent en publique vêtus de la sorte on les prendrait pour des murailles peintes ; les enfants s'amassent au tour d'eux, font de grands éclats de rire, et montrent au doigt les figures qu'ils portent sur leurs habits ; ils les suivent par tout où ils vont et ne peuvent se résoudre à les quitter. On voit sur ces étoffes des lions, des panthères, des ours, des taureaux, des chiens, des arbres, des rochers, des chasseurs ; enfin tout ce que l'art des peintres qui s'efforcent d'imiter la nature peut inventer. Ce n'était pas allez que ces personnes sensuelles, fissent peindre les murailles de leurs maisons, il faut que leurs robes, et leurs manteaux soient enrichis d'une infinité de figures.

Les riches qui ont encore quelque teinture de piété prennent dans les histoires de l'Evangile des desseins, et les font exécuter à leurs ouvriers ; ils font peindre sur leurs étoffes Jésus Christ au milieu de ses disciples, on y voit les miracles qu'il a opéré, le dessein des noces de Cana en Galilée, les cruches dont l'eau fut changé, en vain ; le paralytique qui porte son lit sur ses épaules ; l'aveugle qui fut guéri avec de la boue ; la femme malade d'un flux de sang, et qui s'approche de Jésus Christ : pour lui toucher le bas de la robe ; la pécheresse prosternée aux pieds du Sauveur ; Lazare ressuscité, sortant de son tombeau. Ils croient faire une chose agréable au Seigneur, en sortant des étoffes ornées de ces figures pieuses ; mais s'ils veulent croire mon conseil, qu'ils les vendent pour honorer les vivantes images de Dieu.

Ne faites point peindre Jésus Christ ; c’est bien assez qu'il ce soit humilié jusqu'à se revêtir de notre chair, et que vous portiez d'une manière spirituelle le Verbe dans votre cœur. Ne brodez point sur vos habits la figure du paralytique, mais allez chercher les pauvres malades qui sont obligés de garder le lit. Ne vous amusez point à regarder cette femme qui fut guérie du flux de sang. Appliquez-vous à soulager les veuves qui sont dans l’affliction ; il ne sert de rien de jeter les yeux sur la pécheresse qui se prosterne aux pieds du Sauveur ; mais que le souvenir de vos péchés vous attendrisse et vous fasse verser des torrents de larmes. Ne faites point tracer la figure de Lazare sortant de son tombeau, songez sérieusement à votre résurrection. Ne portez point sur vos habits. l'image de l'aveugle que Jésus Christ guérit ; mais soulagez les aveugles vivants qui ont besoin de votre secours. Vous ferez bien mieux de donner à manger à ceux qui ont faim, que de faire peindre les boîtes où l'on renferme les reliques. Quelle utilité retirerez-vous de porter sur vos habits l’image des cruches que Jésus Christ remplit de vin aux noces de Cana de Galilée, si vous refusez de donner à boire à ceux qui ont soif ?

Voila les moralités que nous avons tirées du faste du mauvais riche, et de la pompe de ses habits. Il faut examiner les autres points de sa vie, car il joignait au luxe la bonne chère et les plaisirs de la table ces deux vices viennent de la même source ; c'est par le même principe qu'un homme aime à être superbement vêtu, et à se nourrir délicatement.

Les plaisirs et les délices détruisent la vertu, et lui font une espèce de guerre ; ils amollissent l’esprit, et l’abatardissent en le plongeant dans la débauche, la dissolution et les commerces dangereux. Il semble d'abord que tous ces vices ne soient qu'une même chose, mais quand on y regarde de près, ils viennent de plusieurs sources différentes. Car il est impossible que ceux qui n’ont pas de grands biens goûtent de grands plaisirs ; et l’on ne peut guère amasser de grandes richesses, sans commettre beaucoup de crimes. Il est rare de voir bien des hommes comme Job, qui était en même temps fort riche et fort vertueux.

Un homme qui veut mener une vie délicate et voluptueuse, a besoin d’une maison propre et bien parée, parquetée, revêtue d'or et de pierres précieuses. Il faut qu'il puisse changer d'appartements selon les différentes saisons de l’année. Afin qu'il soit chaudement pendant l’hiver, il est à propos que la chambre qu'il habite soit tournée du côté du midi, et que l'appartement d’été, regarde le Septentrion, par ce moyen les zéphyrs, et les vents rafraîchissants y auront une libre entrée. Il faut faire un amas de précieux tapis pour couvrir les sièges depuis le haut jusqu'au bas, aussi bien que les lis, et les lieux où l’on se repose, et pour mettre au devant des portes ; car on a soin de revêtir toutes ces choses, quoiqu'elles soient inanimées, tandis que les pauvres sont nus, et qu'on les abandonne à leurs misères.

Quelles dépenses ne fait-on point pour acheter des vases d'or et d'argent, pour manger des faisans, et boire du vin de Carthage que les riches ont en abondance, quelque rare et quelque cher qu'il puisse être. Il faut décrire toutes les autres inventions, et tous les raffinements qu'ils cherchent pour augmenter la délicatesse de leurs plaisirs. ils parfument leurs viandes afin que le goût en soit plus fin et plus exquis. Les vendeurs de baumes et des liqueurs odoriférantes ont plus de pratique auprès des cuisiniers qu’auprès des médecins

Considérez la foule de valets et d'officiers dont la table est entourée, celui qui a soin de mettre le couvert, l’échanson, le maître d'office, et les intendants, les musiciens et les musiciennes, les danseuses, et joueurs d'instruments, et de farces ridicules, les flatteurs, les parasites, et mille autres gens qui ne sont que pour le faste et pour la pompe. Afin d'avoir un si grand train, combien faut-il opprimer de pauvres, combien faut-il faire gémir de veuves et d'orphelins, combien faut-il réduire de malheureux au désespoir, qui se font mourir pour se délivrer de leurs misères.

Ceux qui font tant de crimes pour contenter leurs passions, ne songent guère à leur conscience, et passent leur vie dans un profond oubli d'eux-mêmes. Ils ne font pas réflexion qu'ils ont une âme unie à leur corps, et qu’il faudra qu'elle s'en sépare quelque jour, pour s'y rejoindre encore, quand ce même corps aura été ressuscité. Quand le moment fatal de cette séparation sera arrivé, alors on sera frappé par le souvenir de la vie passée, mais cette pénitence tardive ne servira de rien ; elle n’est utile que lors qu'on change de sentiments, et qu'on est encore en état de se corriger : car quand on ne peut plus faire de bonnes œuvres, il est trop tard pour se repentir, et cette pénitence est inutile.

« Il y avait aussi un pauvre appelé Lazare ». L’Ecriture ne dit pas seulement que ce pauvre manquait de toutes les choses nécessaires, et qu’il était réduit à une extrême nécessité ; elle ajoute qu'il était malade et languissant, que son corps était pourri et corrompu ; que dans cette effroyable misère il n'avoir point de lieu où se retirer, et qu'il était étendu à la porte du riche. Les expressions pathétiques dont l’Ecriture se sert pour décrire l'état pitoyable où Lazare était réduit, font mieux sentir la dureté du mauvais riche qui n'en eut point de compassion ; car il faut être plus insensible et plus cruel que les bêtes sauvages, pour n'être point touché des malheurs d’un homme accablé de la faim, et de tant de maux. Les bœufs et les pourceaux mugissent et grondent en voyant le sang de leurs semblables qu'on a égorgés. Les grues volent autour d'une de leurs compagnes qui est tombée dans les filets, elles chantent d'une manière lugubre, et font tout ce qu’elles peuvent pour la sauver. Cependant les hommes qui ont la raison, et un fond de douceur naturelle, à qui l'on parle si souvent de la bonté, et de la miséricorde de Dieu, et qui devraient l'imiter, ne seront que médiocrement touchés des disgrâces et des infortunes de leurs pareils !

Lazare accablé de douleur, privé de l'usage de ses jambes, était couché à la porte du mauvais riche. Il y a bien de l'apparence qu'il aurait évité la rencontre d'un homme si méchant et si fier, et que s'il eût pu marcher, il se serait éloigné d'une maison où les pauvres étaient si mal reçus, il aurait choisi un lieu plus commode ; mais il était si faible, qu'à peine pouvait-il tendre la main, ou parler pour demander l'aumône; il ne poussait du fonds de sa poitrine que des sons confus, et mal articulés ; tout son corps perclus et sans mouvement était un triste exemple de la misère humaine.

Un spectacle si pitoyable ne put attirer les yeux, ni fléchir l'orgueil du mauvais riche ; il passait outre, sans faire réflexion que ce fût un homme qui souffrait de la sorte, et se rendait coupable d’un crime qu'on ne pouvait excuser par quelque prétexte que ce fut. Car il ne pouvait dire pour se justifier, qu'il ne connaissait point Lazare, ou qu’il lui eût caché sa misère ; il était étendu à sa porte, il avait à tous moments cet objet devant les yeux, soit qu'il sortît de sa maison, ou qu'il y entrât.

Ce qui achève de confondre et de condamner le mauvais riche, c'est que Lazare ne lui demandait que les miettes qui tombaient de sa table ; il avait la cruauté de lui refuser si peu de choses tandis qu’il faisait si bonne chère, il laissait l’autre mourir de faim. On pourrait appliquer à ce riche misanthrope les paroles de la femme Cananéenne ; homme superbe, et inhumain, « les petits chiens mangent au moins des miettes qui tirent de la table de leurs maîtres ». Vous les refusez à votre frère et à votre concitoyen. Les chiens dans la maison du riche étaient nourris avec beaucoup de soin ; les dogues et les chiens de chasse avaient leurs officiers particuliers, tandis que le pauvre qui représentait l'image de Dieu était abandonné.

Je ne pourrais m'empêcher de déplorer les malheurs de Lazare, si la fin de son histoire répondait au commencement. Le sort des hommes serait à plaindre, si étant tous comme ils sont d'égale condition. on ne les récompensait d'une autre manière, après qu'ils ont été traités si différemment pendant sa vie. Mais la suite doit essuyer les pleurs que la misère de Lazare vous a fait répandre ; consolez-vous en apprenant le bonheur que ses disgrâces lui ont procuré. Vous verrez que Dieu a fait justice au mauvais riche, et qu'il porte maintenant la peine des plaisirs qu'il a goûtés, tandis que Lazare est comblé de gloire; l'un et l'autre ont été traités comme ils le méritent.

« Or il arriva que le pauvre mourut. Il fut emporté par les anges dans le sein d’Abraham. » Quelle suite et quels officiers pour ce pauvre, et cet homme de bien ? Il était entouré d'une troupe d’anges qui le caressaient, et qui l'assuraient par des regards favorables que la fin de ses douleurs était venue, et qu'il jouirait d'un repos éternel. Il fut porté dans le sein d'Abraham. Ceux qui s'appliquent à développer les mystères de l'Ecriture, trouvent ici de quoi disputer ; parce que toutes les âmes des justes sont conduites au même lieu. Il faut donc que le sein d'Abraham soit bien vaste et bien spacieux, pour contenir cette multitude infinie de saints. Cette expression ne doit point s'entendre à la lettre ; il faut l'entendre d'une manière mystique et spirituelle, puisque le sein d'un homme, quelque grand qu'il puisse être, ne saurait contenir plus de deux personnes ; cette figure nous fait connaître qu'Abraham, reçoit ceux qui ont mené une vie régulière et vertueuse.

Mais pourquoi l'évangéliste passant sous silence tant de grands patriarches, ne fait-il mention que de Lazare, et du bon traitement qu'Abraham lui fit ? Il ne dit rien d'Enoch et de Noé, et de tant de saints personnages qui se sont signalés pas leurs vertus. Il me semble que, j'ai pénétré dans la pensée de saint Luc, et mes conjectures ne me paraissent pas trop mal fondées ; c’est qu’Abraham a eu des connaissances plus directes du mystère de l'Incarnation, et plus de zèle pour Jésus Christ. Les trois anges qu'il reçut dans sa maison étaient le symbole de la Trinité ; il a eu des communications plus particulières avec la seconde personne, qui devait s'unir à la nature humaine dans la suite des siècles ; voila pourquoi l'Ecriture nous représente le sein de ce patriarche comme un port assuré et tranquille. Nous n'avons point d'espérance que dans Jésus Christ qui est notre Sauveur, et notre Juge, qui récompense nos vertus, et qui dira aux justes ces paroles consolantes : « Venez vous qui avez été bénis par mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. » (Mt 25,34)

« Or il arriva que ce pauvre mourut ». Il y a deux observations à faire sur ce passage : la première regarde la pauvreté de Lazare qui manquait des choses nécessaires ; la seconde regarde sa modestie, et son humilité. Il ne suffit pas pour être vertueux, et pour avoir une espérance raisonnable de son salut, d'être dans une grande misère, de n’avoir ni argent, ni habits, si l'on est pauvre malgré soi ; et si l’on ne souffre sa pauvreté de bon cœur. Il n'y a que ceux qui sont patients et tranquilles, dans leur infortune qui méritent qu'on les admire et qu'on les loue. La pauvreté conduit à toutes sortes de crimes ceux dont les mœurs sont dépravées, et qui ont dans eux-mêmes des principes de corruption. La plupart des scélérats, des voleurs et des homicides que les juges condamnent aux supplices, sont des misérables, et des gens qui étaient dans le dernier besoin.

Si l'Ecriture loue Lazare, c’est parce qu'il souffrait la pauvreté, avec beaucoup de docilité, et une parfaite soumission d’esprit ; sa mauvaise fortune ne lui a point fait commettre de crimes, pour se mettre en état de s’abandonner aux plaisirs. « Bienheureux les pauvres en l’esprit ». Tous les pauvres ne sont donc pas gens de bien, il faut ressembler à Lazare, et vivre comme il vivait. Tous les riches ne sont pas réprouvés ; il n'y a que ceux qui imitent le mauvais riche, et qui se règlent sur sa conduite. Job possédait de grandes richesses, elles ne corrompirent point sa vertu, et son équité. Judas était très pauvre, sa pauvreté ne lui fut d'aucun recours pour son salut. Quoiqu’il fût dans la compagnie des apôtres et de Jésus Christ qui s'est fait pauvre pour l'amour de nous, son mauvais naturel et son avarice lui firent naître le défit de trahir son Maître.

Il est à propos de considérer ce qui arriva au mauvais riche et à Lazare après leur mort. Les anges accompagnaient, et servaient le pauvre, ils le conduisirent dans le sein du repos. « Le riche mourut aussi et eut l’enfer pour sépulcre. Il est impossible d'exprimer plus pathétiquement la fin malheureuse de cet infortuné. Le pécheur qui meurt dans son crime est véritablement enseveli, parce que son âme est en quelque manière terrestre comme son corps, les ordures de la chair qu'elle a contractées en péchant la dégradent de sa noblesse naturelle ; l'homme criminel meurt comme une bête, il ne laisse après lui aucun monument qui rappelle le souvenir de sa vie. Sa mémoire est ensevelie dans un honteux oubli.

Le corps a le tombeau, rame à l'enfer pour partage ; ce sont comme deux obscures prisons, où il est puni de ses forfaits. Quelle était la folie du mauvais riche de ne concevoir que de vastes desseins pendant sa vie, de se mettre au dessus de tout le monde, de mépriser tous ses égaux, et de les regarder avec dédain, de se laisser éblouir par la vaine gloire et par l’ambition, pour être traité après la mort comme un vil esclave : il a été dépouillé de tous les biens qu'il avait ravis, dont il se croyait le Maître et le Seigneur légitime, il s'est vu réduit à une humiliante pauvreté. Il a pleuré comme une femme, pour tâcher de fléchir le patriarche par des humiliations et par des prières qui ne lui ont servi de rien. « Père Abraham aie pitié de moi, et envoie-moi Lazare, afin qu’il trempe le bout de son doigt dans l’eau pour me rafraichir la langue, car je suiffer d’extrêmes tourments dans cette flamme. »

Il demande qu'on lui fasse miséricorde, quoiqu'il n'ait point eu compassion des autres étant dans la commodité de leur faire du bien. Il prie qu'on envoie Lazare pour modérer l'ardeur du feu qui le brûle. Il souhaite de sucer le bout du doigt d'un homme qui était tout couvert de lèpre. Voilà jusqu'où va la folie des gens qui sont idolâtres de leurs corps et qui ont une excessive avidité pour les richesses et pour les plaisirs.

Les sages et ceux qui ont de la prévoyance pour l'avenir doivent profiter de cette parabole pour se précautionner contre les malheurs où le mauvais riche est tombé, et pour acquérir la vie éternelle en usant envers les pauvres de miséricorde et d'humanité. L'Ecriture nous avertit par des figures et sous le nom de personnes empruntées, afin que ces images fassent plus d'impression sur nos esprits, pour nous obliger à bien vivre, et à garder les commandements du Seigneur qui ne sont pas simplement des menaces vaines pour nous faire peur. Plusieurs séduits par ces faux préjugés, s’abandonnent au crime avec une extrême licence. L'Ecriture doit nous détromper, en nous apprenant que rien ne sera capable d'adoucir la rigueur des jugements de Dieu, et des supplices qui sont réservés aux pécheurs ; pour être convaincus de ces maximes, nous n’avons qu'à ajouter foi aux paroles du patriarche.

Le riche eut beau prier et crier d'une manière lamentable, Abraham ne se laissa point fléchir par ses gémissements, et ne se mit nullement en peine d'adoucir ses douleurs ; il confirma avec une extrême sévérité la sentence qu'on avait portée contre lui, disant que Dieu rend justice à tout le monde. Vous vous abandonniez aux plaisirs, lui dit-il. Vous n'aviez point de compassion des misères des autres, vous portez maintenant la peine de vos iniquités. Lazare qui a trainé une vie si triste et si malheureuse jouira d'une éternelle félicité. De plus il y a un grand abîme entre vous et nous qui sépare les saints d'avec les réprouvés. Leur destinée est bien différente, les uns sont comblés de biens, les autres sont accablés de maux.

Le mot d’abîme qui est employé dans la parabole doit être entendu d'une manière mystique, car il ne faut pas imaginer une fosse telle qu'on en fait aux citadelles, pour empêcher les approches des ennemis. Saint Luc nous donne à entendre la différence qui se trouve entre les justes et les pécheurs par ces mors de gouffre et d’abîme qui sont des images sensibles. Le prophète Isaïe est de ce sentiment, lorsqu’il dit : « La main de Dieu ne peut-elle pas vous sauver ? Bouchera-t-il ses oreilles pour ne pas entendre ? Mais vos péchés mettent de distance entre Dieu et vous ». (Is 59,1)

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