Travailler ! Travailler plus pour gagner plus… et l’on ne réfléchit pas au sens (ou non-sens) du travail, à la valeur sociale du repos, de la retraite
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Ils sont sans travail ; chômeurs ou trop âgés, séniors trop faibles… et l’on parle de retraite à 64 ans ou plus.
On devrait parler de repos, de sens du travail. Travail, famille, patrie. Travail, ordre, progrès. Contre les migrations clandestines.
Mais quel est le sens du travail ? Le repos ne serait-il pas l’occasion de vivre de sérieux temps de rencontres socialisantes ? Bien plus urgent que de refaire ses forces de travail ! Etc. …
Je donne la parole à Jean-Marie Delthil :
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<< Écoutons Christian Bobin : « Je sais exactement, voyez-vous, ce que le monde détruit. Source de la photo.
Il le détruit avec notre concours, du moins, avec notre consentement.
C'est une chose très difficile à nommer... on appelait ça, jadis, la pudeur.
Le monde n'est qu'efficacité ; lui obéir, c'est arracher cette divine maladresse que nous avons au fond de l'âme et qui est la pudeur même... les petites mains volantes d'un nouveau-né en sont la parfaite incarnation. Tout ce qui est réellement précieux est maladroit, timide, hypersensible...
Nous sommes plus grand que le monde ; nous sortirons vainqueurs de cette épreuve - vainqueurs et balbutiants de fatigue... le monde n'a que la puissance que nous lui donnons. [...]
On a fait du travail un malheur - et de l'absence du [de] travail un malheur encore pire !... pourquoi pire ? parce que... parce qu'il faut que quelqu'un justifie de ce qu'il fait sur terre - mais, en vérité, on n'a pas à justifier... on n'a pas à rendre compte de notre existence... on est là, parce qu'on est là !
Personne ne travaille plus qu'un chômeur - personne.
Personne n'est plus sujet à la pénibilité, à la dureté, à la souffrance d'un travail - parfois vide de sens - qu'un chômeur.
Personne n'est plus employé qu'un chômeur ; il est employé à se détruire lui-même... jour, et nuit... seconde après seconde - c'est le contraire de l'oisiveté, le chômage.
Ces mots ne sont pas des mots, en vérité : ce sont des chiens qui sont dressés par les économistes, et qui nous sautent dessus : le “chômage”, le «”combien ça coûte ?”, “on ne peut pas faire ça”, ”le budget”, “un bilan”… ces choses-là, qui sont lâchées vers nous, comme ça, par des meutes de gens ivres d'efficacité – ivrognes de l'efficacité – ces choses-là, il faut d'abord les débaptiser ; il faut d'abord tout revoir, c'est pas très compliqué : il faut tout revoir… on secoue ; ce qui est compliqué, c'est quand il faut toucher une chose, et puis laisser l'autre chose à côté.
Aujourd'hui : c'est bien, parce qu'aujourd'hui, le chaos est tellement grand qu'il faut tout revoir – donc, c'est pas si compliqué. » >>
Christian Bobin.
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La première fois que j'ai écouté ces mots prononcés par Christian Bobin, ça a été un choc – un choc salutaire, cela s'entend : je n'étais donc plus seul (chômeur), et ce depuis si longtemps d'ailleurs, à penser également cela…
La faculté des mots : c'est cette faculté de mettre les personnes les unes avec les autres, en liens, en amitié profonde et en fraternité... et pour la bonne cause d'ailleurs, pour la marche et l'entente de nos vies – de la vie pleine et entière.
“La grande vie”.
En écoutant ce témoignage, j'ai également vu un peu comme un essartage, comme une grande clairière que Christian Bobin aurait et a creusé et ménagé dans la forêt profonde, et parfois étouffante, de nos suffisances et de nos bruits.
Libre à nous de le suivre, ou pas.
Moi, je le suis.
Jean-Marie Delthil. Bonny, le 3 mars 2018.
Extrait du film 'Christian Bobin – La grande vie - Réalisateur : Claude Clorennec ; Diffusé dans l'émission : Le Jour du Seigneur, le 18 février 2018.