Il ne faudrait pas naïvement ignorer que l’obsession d’un style de vie consumériste ne pourra que provoquer violence et destruction réciproque

Publié le par Michel Durand

1er mai 2023 à Lyon

1er mai 2023 à Lyon

 

Je prolonge ma réflexion du 1er mai avec une relecture de quelques passages de Fratelli tutti, choisis un peu au hasard. En fait, tout serait à relire à plusieurs sous forme de « révision de vie » communautaire, ecclésiale.

 

L’éditorial de La Croix de ce jour est à lire. Isabelle de Gaulmyn exprime : « La violence de ces militants n’est pas acceptable dans un État de droit. D’autant plus que leur objectif est de faire la preuve, en poussant la police dans le cercle vicieux du « toujours plus » répressif, du caractère totalitaire du régime. Mais l’État ne peut juste se défendre en prétendant qu’il a le monopole de la violence. Il doit lui aussi entrer dans une stratégie de désescalade. Sa violence n’est légitime que si elle est au service de l’intérêt général. « Le règne de la pure violence s’instaure quand le pouvoir commence à se perdre », écrivait Hannah Arendt. Personne n’y a intérêt. Ni le gouvernement ni les Français.

 

 

Dans quelle église paroissiale pourrais-je me rendre dimanche prochain pour entendre une homélie évoquant les foules du 1er Mai dans les rues ? Leurs recherches...

 

 

Fratelli tutti

 

Des droits humains pas assez universels

22. On s’aperçoit bien des fois que, de fait, les droits humains ne sont pas les mêmes pour tout le monde. Le respect de ces droits « est […] une condition préalable au développement même du pays, qu’il soit social ou économique. Quand la dignité de l’homme est respectée et que ses droits sont reconnus et garantis, fleurissent aussi la créativité et l’esprit d’initiative, et la personnalité humaine peut déployer ses multiples initiatives en faveur du bien commun ».[18] Mais « en observant avec attention nos sociétés contemporaines, on constate de nombreuses contradictions qui conduisent à se demander si l’égale dignité de tous les êtres humains, solennellement proclamée il y a soixante-dix ans, est véritablement reconnue, respectée, protégée et promue en toute circonstance. De nombreuses formes d’injustice persistent aujourd’hui dans le monde, alimentées par des visions anthropologiques réductrices et par un modèle économique fondé sur le profit, qui n’hésite pas à exploiter, à exclure et même à tuer l’homme. Alors qu’une partie de l’humanité vit dans l’opulence, une autre partie voit sa dignité méconnue, méprisée ou piétinée et ses droits fondamentaux ignorés ou violés ».[19] Qu’est-ce que cela signifie quant à l’égalité des droits fondée sur la même dignité humaine ?

 

52. Détruire l’estime de soi chez quelqu’un est un moyen facile de le dominer. Derrière ces tendances visant à uniformiser le monde, émergent des intérêts de pouvoir qui profitent d’une faible estime de soi chez les personnes, tout en essayant de créer une nouvelle culture à travers les médias et les réseaux, au service des plus puissants. Ceci est mis à profit par l’opportunisme de la spéculation financière et de l’exploitation, où les pauvres sont ceux qui perdent toujours. Par ailleurs, le fait d’ignorer la culture d’un peuple empêche de nombreux dirigeants politiques de parvenir à mettre en œuvre un projet efficace qui puisse être librement assumé et soutenu dans le temps.

 

Valeurs et limites des visions libérales

163. La catégorie de peuple, qui intègre une valorisation positive des liens communautaires et culturels, est généralement rejetée par les visions libérales individualistes où la société est considérée comme une simple somme d’intérêts qui coexistent. Elles parlent de respect des libertés, mais sans la racine d’une histoire commune. Dans certains contextes, il est fréquent de voir traiter de populistes tous ceux qui défendent les droits des plus faibles de la société. Pour ces visions, la catégorie de peuple est une mythification de quelque chose qui, en réalité, n’existe pas. Toutefois, il se crée ici une polarisation inutile, car ni l’idée de peuple ni celle de prochain ne sont des catégories purement mythiques ou romantiques qui excluent ou méprisent l’organisation sociale, la science et les institutions de la société civile.[138]

164. La charité réunit les deux dimensions – mythique et institutionnelle – puisqu’elle implique un processus efficace de transformation de l’histoire qui exige que tout soit intégré : notamment les institutions, le droit, la technique, l’expérience, les apports professionnels, l’analyse scientifique, les procédures administratives. En effet, « il n’y a […] de vie privée que protégée par un ordre public ; le foyer n’a d’intimité qu’à l’abri d’une légalité, d’un état de tranquillité fondé sur la loi et sur la force et sous la condition d’un bien-être minimum assuré par la division du travail, les échanges commerciaux, la justice sociale, la citoyenneté politique ».[139]

165. La vraie charité est capable d’intégrer tout cela dans son déploiement et doit se manifester dans la rencontre interpersonnelle ; elle est aussi capable d’atteindre un frère ou une sœur éloignés, voire ignorés, à travers les différentes ressources que les institutions d’une société organisée, libre et créative sont en mesure de créer. Si nous prenons ce cas, même le bon Samaritain a eu besoin de l’existence d’une auberge qui lui a permis de résoudre ce que, tout seul, en ce moment-là, il n’était pas en mesure d’assurer. L’amour du prochain est réaliste et ne dilapide rien qui soit nécessaire pour changer le cours de l’histoire en faveur des pauvres. Autrement, des idéologies de gauche ou des pensées sociales en viennent quelquefois à côtoyer des habitudes individualistes et des façons de faire inefficaces qui ne profitent qu’à une petite minorité. Dans le même temps, la multitude de ceux qui sont abandonnés reste à la merci du bon vouloir éventuel de quelques-uns. Cela révèle qu’il est nécessaire de promouvoir non seulement une mystique de la fraternité mais aussi une organisation mondiale plus efficace pour aider à résoudre les problèmes pressants des personnes abandonnées qui souffrent et meurent dans les pays pauvres. Vice-versa, cela implique qu’il n’y a pas qu’une seule sortie possible, une méthodologie acceptable unique, une recette économique qui peut être appliquée uniformément pour tous, et cela suppose que même la science la plus rigoureuse peut proposer des voies différentes.

 

36. Si nous ne parvenons pas à retrouver la passion partagée pour une communauté d’appartenance et de solidarité à laquelle nous consacrerons du temps, des efforts et des biens, l’illusion collective qui nous berce tombera de manière déplorable et laissera beaucoup de personnes en proie à la nausée et au vide. En outre, il ne faudrait pas naïvement ignorer que « l’obsession d’un style de vie consumériste ne pourra que provoquer violence et destruction réciproque ».[35] Le “sauve qui peut” deviendra vite “tous contre tous”, et ceci sera pire qu’une pandémie.

 

111. La personne humaine, dotée de droits inaliénables, est de par sa nature même ouverte aux liens. L’appel à se transcender dans la rencontre avec les autres se trouve à la racine même de son être. C’est pourquoi « il convient de faire attention pour ne pas tomber dans des équivoques qui peuvent naître d’un malentendu sur le concept de droits humains et de leur abus paradoxal. Il y a en effet aujourd’hui la tendance à une revendication toujours plus grande des droits individuels – je suis tenté de dire individualistes –, qui cache une conception de la personne humaine détachée de tout contexte social et anthropologique, presque comme une « monade » (monás), toujours plus insensible. […] Si le droit de chacun n’est pas harmonieusement ordonné au bien plus grand, il finit par se concevoir comme sans limites et, par conséquent, devenir source de conflits et de violences ».

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