Nous sommes dans un temps de grande confusion où le sens se perd, où les mots, les symboles, les valeurs peuvent être manipulés sans scrupule

Publié le par Michel Durand

Charif Majdalani

Charif Majdalani

 

Source de l’illustration

 

Le samedi 21 octobre 2023, place des Terreaux à Lyon, au rassemblement en soutien des Palestiniens, je me suis présenté à des manifestants qui tenaient une pancarte : n’oublions pas les chrétiens palestiniens. Désormais minoritaires dans le pays de Palestine, ils ne doivent pas disparaitre. Et ils demandent, avec tous les humains que s’arrêtent l’oppression, l’anéantissement des palestiniens, musulmans, chrétiens ou d’autres convictions. Ce chrétien palestinien voulait que les manifestants sachent qu’un prêtre, chrétien catholique était présent avec eux. Il le fit dire au micro du rassemblement. J’ai accepté de me montrer. Ensemble, tous ensemble, nous manifestons pour que tous les humains soient respectés dans leur humanité au lieu d’être tués par un envahisseur.

Je fus très émus de voir comment les gens à l’écoute de ce Palestinien chrétien, approuvaient cette prise de parole. Nous seulement ils applaudirent mais ils me dirent merci d’être présent avec eux. Sans nier l’appartenance religieuse, ils affirmaient que nous nous réunissons tout simplement parce que nous sommes des humains et que Dieu veut cette fraternelle humanité. Et je pense : « que vivent les religions dans le respect des droits humains fondamentaux ».

Seulement je dois bien admettre qu’existent des extrémismes religieux opposés à cette ouverture humaine fraternelle. Dans ma page du 4 novembre, ma réflexion ouvrait, à sa manière, cette piste de réflexion. Je prolonge aujourd’hui ma recherche de vérité en publiant la chronique de Charif Majdalani : La nasse (La Croix, 3 novembre 2023).

 

Il y a quelques jours, des photos publiées sur les réseaux sociaux montraient des étoiles de David peintes sur des façades de maison en France. Il paraissait indubitable sur ces clichés que le geste de peindre ces étoiles se voulait semblable à celui des temps sinistres de l’Europe des années 1930, lorsqu’on désignait ainsi au public et à sa vindicte les demeures des Juifs et leurs commerces. Devant l’ignominie de ce genre de faits, on a presque envie de pleurer de rage, parce que cela signifie que les humains n’apprennent rien et que les spectres les plus terrifiants, ceux du racisme, de la violence, de l’antisémitisme et tout ce qu’ils peuvent générer comme comportements qui nous dépouillent de notre humanité nous menacent encore et toujours et prennent pour alibi n’importe quel conflit, n’importe quel événement pour rejaillir.

Ici, à l’évidence, ce sont les événements en Israël et en Palestine qui sont le prétexte au retour grimaçant de l’ignoble. Et l’on ne peut qu’être encore plus désespéré de tant de stupidité, parce que cela démontre que les auteurs de ces signes irréfutables d’antisémitisme confondent encore judaïsme et sionisme, et contribuent à faire le jeu du gouvernement israélien et de tous les Israéliens d’extrême droite que ce genre de confusion réjouit au plus haut point puisqu’elle leur permet de se faire passer pour des victimes, de se déclarer menacés dans leur existence et les autorise à justifier toutes leurs actions, colonisation, répression, oppression et confiscation des terres palestiniennes.

La preuve la plus triste de l’usage pervers de cette confusion a été incarnée aux Nations unies par la mise en scène de l’ambassadeur d’Israël, qui, pour protester contre un vote favorable à un cessez-le-feu humanitaire à Gaza, a entrepris de coller sur sa veste une étoile jaune. L’usage indécent de ce signe terrible de la discrimination, symbole de l’angoisse, de la peur, de la mise à l’écart puis de l’extermination des Juifs d’Europe dans les années 1930 est d’autant plus choquant qu’il instrumentalise la souffrance de ces milliers d’hommes et de femmes et leur misère afin de faire passer pour une victime un pays en guerre avec son écrasante puissance militaire et sa politique oppressive. Alors qu’à l’instant même où le diplomate agissait de la sorte, ce pays qu’il représente laissait ses colons armés et ses soldats attaquer les populations palestiniennes de Cisjordanie sur leurs terres et dans les camps de réfugiés, tuer les femmes et les enfants dans des descentes punitives, sans parler de sa poursuite du bombardement brutal de Gaza et son cortège de centaines de morts par jour.

Tout cela ne fait en vérité que révéler que nous sommes entrés dans un temps de grande confusion et d’ignorance, où le sens se perd, où les mots, les symboles, les valeurs peuvent être utilisés et manipulés sans scrupule et où la fin de certaines inhibitions et le retour des plus hideux réflexes de repli et de haine sont devenus presque banals. Ce qui fait que les hommes qui se battent encore pour un monde transparent, juste et supportable sont pris dans la nasse. La preuve en est que les Juifs qui luttent pour le droit des Palestiniens se trouvent contraints par la violence du Hamas à devoir céder la place et la réplique au camp des extrémistes et des suprémacistes. Et que tous ceux qui accompagnèrent le mouvement national palestinien dans son rêve d’un combat de libération laïque intégrant dans ses rangs aussi bien les Juifs que les Arabes se retrouvent face à une résistance palestinienne incarnée désormais par les intégristes et les islamistes. Ils sont loin les temps où des centaines de milliers d’Israéliens manifestaient pour « la paix maintenant » et pour des négociations avec les Palestiniens. Et il est loin le temps où le grand poète palestinien Mahmoud Darwich écrivait : « Un Palestinien digne de ce nom doit s’enrichir de toutes les cultures qui l’ont fabriqué – les cultures mésopotamienne, grecque, persane, ottomane, juive, chrétienne et musulmane. Seules les identités multiples sont belles. C’est une chance d’appartenir à un pays irrigué par des cultures très anciennes, qui toutes ont laissé des empreintes. Elles étaient souvent celles de l’occupant, mais aujourd’hui elles sont devenues miennes. Si je combats le sionisme en tant qu’idéologie et réalité politiques, c’est qu’il est pour moi un exclusivisme. Je ne veux ni ne peux y répondre par un autre exclusivisme, mais par le partage de la diversité. »

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