"Le fonctionnement même des rapports Nord-Sud maintient le Sud dans la dépendance, l’exploitation et le sous-développement."
"Les évêques de France ont leur place, éminente, dans ce combat aux côtés de ceux qui, par delà la diversité de leurs opinions se retrouvent pour estimer que les principes ne
peuvent pas être sacrifiés sur l’autel de la démagogie et des calculs politiciens réunis."
Dans un courrier adressé le 12 décembre aux évêques de France, M. Hortefeux admettait que l’Eglise « est pleinement légitime à s’exprimer, d’une voix
claire, dans le débat public » sur l’immigration, mais, précisait-il, « elle doit le faire en toute connaissance de cause ». Raison pour laquelle le Réseau Education sans frontières s’adresse à
son tour aux évêques de France et aux autres autorités religieuses et morales pour réfuter les arguments du ministre mais aussi pour solliciter d'eux un engagement plus actif encore contre la
politique cruelle de ce gouvernement.
M. Hortefeux assure que « la situation des immigrés est, trop souvent, douloureuse. Nombreux sont ceux qui, arrivant en France, vivent dans la précarité ». C’est créer la confusion, délibérément.
Il y a 5 millions d’immigrés en France dont 2 millions de nationalité française. L’écrasante majorité d’entre eux y réside depuis des années ou des dizaines d’années. Ce n’est donc pas d’eux que
parle le ministre. Même les immigrés récemment arrivés en France ne sont pas tous dans la précarité : les étudiants et les personnes entrant dans le cadre du regroupement familial sont soumis à
une obligation de ressources, les conjoints étrangers de Français ont le niveau de vie de leur ménage. Au total, seule une minorité, quelques dizaines de milliers de personnes tout au plus, «
vivent dans la précarité » parce qu’« arrivant en France » et, faut-il ajouter, parce qu’interdits de travailler car sans papiers ! Pour le reste, les immigrés ont, comme tous les habitants de ce
pays, le niveau de vie de la catégorie socioprofessionnelle à laquelle ils appartiennent. Et si, en effet, la pauvreté et la précarité progressent dans les milieux populaires, ce n’est pas parce
que les immigrés y sont relativement nombreux mais du fait de la situation économique, du chômage persistant, de la précarisation institutionnalisée du travail et de la baisse du pouvoir d’achat.
La crise sociale a bien plus à voir dans la précarité que l’immigration.
Le lien biaisé établi entre précarité et immigration n’est pourtant pas une maladresse du ministre. C'est tout au contraire une habileté qui il lui permet de prétendre conduire sa lutte contre
l’immigration au nom de l’intérêt des immigrés eux-mêmes. Fielleux, il interroge « faut-il compliquer leur situation en ouvrant les frontières à tout va ? » A l'en croire, ce serait par
charité pure et dans leur intérêt bien compris que M. Hortefeux claquerait la porte aux victimes des guerres civiles ou étrangères, aux rescapés des dictatures, aux survivants des disettes, aux
échappé(e)s de l'obscurantisme. Les manifestations de la compassion de M. Hortefeux, ses rafles au faciès, ses centres de rétention, ses expulsions massives et ses tests ADN seraient un sage
antidote à la « générosité hâtive [...] lourde de conséquences » de ceux qui demandent le respect des droits de l’Homme.
C’est un classique de l’argumentaire sournoisement xénophobe : il faut chasser les immigrés pour les empêcher de brûler vifs dans des hôtels insalubres, d’être victimes de trafiquants ou de
végéter dans la précarité. Plutôt qu’apporter une solution réelle aux problèmes de l’insalubrité de certains hôtels, de l’insuffisance du parc de logement social ou du fonctionnement du marché du
travail on s’en prend aux victimes en les faisant disparaître, « dans leur intérêt ». Pirouettes rhétoriques qui n’empêchent en rien les vraies questions de se poser mais permettent de mener une
politique indigne drapée de bonne conscience.
La seconde justification que donne M. Hortefeux à sa politique anti-immigration serait l’intérêt des réfugiés et des migrants réguliers que les sans papiers empêcheraient de « s’intégrer à la
communauté nationale ». Comment ? Pourquoi ? Ce n’est pas dit explicitement. Mais le sous-entendu est clairement que le comportement des immigrés récents (les sans papiers) déconsidérerait
l’ensemble de l’immigration. C’est, à mots à peine couverts, insinuer que les sans papiers seraient responsables de la crise des banlieues, de la délinquance, de l’intégrisme et, pour un peu, du
terrorisme ou du Sida. Les ghettos urbains, le chômage, la précarité, la paupérisation de toute une fraction de la population, la désespérance devant un avenir perçu comme bouché, n’y sont pour
rien. Le responsable, c’est l’autre, l’étranger, l’immigré, particulièrement le sans papier. C’est tourné poliment, le langage est feutré. Mais M. Le Pen n’aurait rien à y redire.
Concernant le droit d’asile, M. Hortefeux se veut un modèle de vertu : « Bien sûr, respecter le droit d’asile est un devoir » assure-t-il. « La France honore ses engagements puisqu’elle a reçu
près de 40 000 demandes d’asile l’année dernière ». Certes, mais il ne dit pas que c’est 33,6% de moins que l’année précédente et que seules 7 354 de ces demandes d’asile ont été satisfaites
(81,5% de rejet). « La France honore… », en solde.
« Nous remplissons d’autant mieux notre devoir d’accueil que nous luttons contre les détournements de procédure » soutient M. Hortefeux. A l’heure où il écrivait ces mots, un ressortissant turc,
Ferzende Tastan, torturé dans son pays, y ayant purgé 19 mois de prison, condamné à 12 ans par contumace pour ses opinions indépendantistes kurdes, débouté du droit d’asile, était placé en
rétention pour la seconde fois de l’année 2007. Ce père de cinq enfants dont quatre scolarisés a été condamné à trois mois de prison ferme pour refus d’embarquer qu’il purge actuellement. Or,
l’OFPRA vient de lui accorder le statut de réfugié, légitimant son refus de se laisser expulser. « Nous remplissons notre devoir d'accueil... » ose le ministre.
Le reste est à l'avenant, avec des phrases qui font bondir : « Lorsque les forces de police arrêtent [...} 3500 passeurs et 600 marchands de sommeil, ce sont des milliers d'étrangers qui se
trouvent libérés ». En réalité, les victimes « libérées » sont internées dans des prisons administratives pour étrangers (CRA) et expulsées, ligotées de la tête aux pieds, portées comme des
paquets et molestées dès lors qu'elles résistent.
Comme tous ceux qui l’ont précédé, M. Hortefeux proclame la nécessité de « répondre au défi du développement des pays d'immigration », « seule solution pour maîtriser, durablement, les flux
migratoires ». Un discours inoxydable ! En 1970, les pays développés se fixaient l’objectif de consacrer 0,7% de leur PNB à l’aide au développement. Trente-sept ans plus tard, la France y
consacre officiellement toujours moins de 0,5% de son PNB en y incluant aussi bien les salaires des enseignants des lycées français (dont les élèves sont en majorité des enfants d’expatriés
français), le coût estimé des étudiants étrangers en France, celui « d’accueil » des réfugiés ainsi que les frais d’expulsion des étrangers sans papiers et l’aide au retour. L’aide réelle au
développement ne représenterait que 0,24% du revenu national, pour une bonne part sous forme d’annulation de dette.
Ainsi en dépit des discours ressassés et des sempiternelles résolutions internationales, le fonctionnement même des rapports Nord-Sud maintient le Sud dans la dépendance, l’exploitation et le
sous-développement. Il n’y a aucune raison pour que les habitants des pays pauvres soient doublement pénalisés : une première fois en naissant par hasard dans des pays confinés dans le sous
développement, une seconde fois en étant interdits d’en sortir.
Autant le ministre est disert sur ce que n’est pas la réalité de sa politique (le codéveloppement, l’accueil des réfugiés, la lutte contre la précarité), autant il est lapidaire sur ce qui,
pourtant, constitue la raison d’être de son ministère et le cœur de son action : la chasse aux étrangers en situation irrégulière. Il n’y consacre qu’une phrase : « Il faut […] adresser un
message clair aux candidats à l’émigration, en leur démontrant que la clandestinité est une voie sans issue ».
Le propos doit être décrypté. Comment, concrètement, « démontrer que la clandestinité est une voie sans issue » ? Le ministre n’en dit pas un mot parce que les réponses à cette question sont la
violence et la terreur, seuls « messages clairs » susceptibles de faire fuir une population de là où elle est établie ou de l’empêcher de se rendre là où elle espère vivre mieux. Il n’y en a pas
d’autre, toute l’histoire en témoigne. Bien entendu, et c’est heureux, ni la société française, ni même probablement M. Hortefeux lui-même, ne sont prêts à accepter le recours ouvert à la
terreur. Mais il n’empêche que, pris au piège de ses engagements réitérés de battre des records d'expulsions, le ministre exerce une pression permanente sur les services contraints de prendre des
libertés avec les procédures ou de gérer des situations indignes pour remplir leurs quotas d’arrestations et d’expulsions.
De fait, ces derniers mois les situations inacceptables se sont multipliées : nourrisson de trois semaines placé en garde à vue puis en rétention avec ses parents. Puis, le JLD ayant ordonné leur
libération, abandonnés à 400 km de chez eux, sans un sou, pas même une couche (Orléans Rouen, octobre 2007) ; enfant de trois
mois sevré brutalement, sa mère sans papiers, dénoncée par son employeur, ayant été mise en garde à vue. Le bébé et son frère sont confiés à l'ASE (Sens, octobre 2007). Samir, 19 ans, élève du LP de Villeneuve sur Lot expulsé moins de 24 heures après son arrestation sur une
convocation piège. « Fast deportation » disent ses copains (octobre 2007). Expulsion du père d’un enfant de 10 ans
orphelin de mère empêchée à la dernière minute (Melun, novembre 2007 ) ; La liste des situations choquantes engendrées
par la volonté de remplir les quotas assignés par le ministre est interminable.
Insupportables du point de vue de ceux dont les vies sont dévastées, ces faits le sont tout autant pour la société française qui ne pourrait pas tolérer ces atteintes aux droits des personnes
sans y perdre son âme. Fonctionnaires des préfectures, policiers, magistrats se voient confier des missions qui ne peuvent que troubler leur conscience. Enseignants, parents d'élèves, citoyens
ordinaires découvrent des situations devant lesquelles ne pas réagir serait un déshonneur. La politique du gouvernement en matière d'immigration est une agression des consciences, qu’elles soient
de France ou des pays d’origine des migrants. Il est sain et légitime qu’elle soit combattue par tous ceux et toutes celles qui, dans ce pays ont à cœur de faire triompher une certaine idée de la
dignité humaine. Les évêques de France ont leur place, éminente, dans ce combat aux côtés de ceux qui, par delà la diversité de leurs opinions se retrouvent pour estimer que les principes ne
peuvent pas être sacrifiés sur l’autel de la démagogie et des calculs politiciens réunis.