Beaucoup d'initiatives, mais rien ne repésente LA SOLUTION.

Publié le par Michel Durand

Il y a quelques temps, dans le cadre de mes réflexion sur l'objection de croissance, j'avais adressé à Pierre Vilain une lettre.

Je vous communique aujourd'hui sa réponse qui alimente heureusement le débat.




Le 15 avril 2008

Monsieur et cher ami,

Merci de tout de que vous dîtes de très positif de mon petit ouvrage. Si j'en crois les échos qui me parviennent, il a été très bien accueilli dans des publics très divers.
En réponse, je voudrais, d'abord, «tordre le cou» à une remarque. Depuis très longtemps, je n'ai pas l'ombre d'un désir de plaire ou de déplaire à l'institution ecclésiale ? Je suis catholique et heureux de l'être, en dépit des lourdes scories que peut balader mon Eglise. Je vis libre, de gestes et de parole, au sein de mon Eglise et cette liberté est totale.
Mon livre en témoigne largement. Je ne citerai, comme un exemple parmi d'autres, que mon chapitre sur la priorité aux pauvres, une « illusion perdue». Je n'hésite pas (p. 184) - parce que j'y crois - à affirmer que l'heure n'est plus au retour de « la civilisation chrétienne» ni même à la « doctrine sociale de l'Eglise ». Il y a plus de quarante ans maintenant que le père Marie-Dominique Chenu m'a conduit sur ces chemins de liberté. Et je m'y trouve très bien.
Mais laissons cela pour en revenir à votre « mais... » Il porte sur le fait que j'affirme qu'il n'existe pas actuellement de « solution toute prête ». Qu'il n'existe pas aujourd'hui de « modèle prêt-à-porter » dont la reproduction permettrait, enfin et au-delà des convictions et des croyances des uns et des autres, la réalisation d'un vivre ensemble fraternel pour toute l'humanité.
Vous me parlez de « la décroissance » dont j'apprécie le grand intérêt mais sans lui accorder la puissance d'une « baguette magique» pour la planète tout entière. Je cite : « S'attaquer à la racine du problème en humanisant la croissance, c'est-à-dire en refusant l'emballement infini et indéfini me semble être la solution ». J'en suis bien d'accord et il me semble que mon livre, à sa manière, le dit et le redit sous des formes diverses. Mais avec netteté. Mais comment faire pour en arriver là ? Où est le chemin où les hommes de tous les continents entreraient en croissance d'humanité ?
Je discerne partout des initiatives, des choix courageux, animés par des militants chrétiens ou non. Mais aucune de ces démarches ne représente « LA SOLUTION ». Vous me parlez des « objecteurs de croissance » et vous avez raison. Je ne cesse, depuis des lustres et des lustres, de rappeler une différence fondamentale : celle qui distingue la croissance du développement. Et je recommence dans mon livre. Car les bons combats ne se terminent jamais. C'est ainsi que j'évoque aussi, dans mon livre, les placements éthiques et le commerce équitable. Et que je rappelle qu'il y a quelques vingt-cinq ans maintenant, l'épiscopat français, plus audacieux collectivement qu'il ne l'est aujourd'hui, appelait les chrétiens à inventer de « nouveaux modes de vie II, exigences d'une pratique concrète de la solidarité.
Tout cela demeura d'actualité et l'on ne peut que se réjouir -et je le fais explicitement dans mon livre- quand un chantier nouveau s'ouvre quelque part, mené par qui que soit. Mais je persiste à croire que « l'addition d'efforts multiples et de réussites, aussi admirables et indispensables soient-elles, ne constitue pas un projet global de vivre ensemble fraternel pour toute l'humanité (p. 243) ». Or, ce chantier planétaire n'est toujours pas ouvert et c'est à cela que mon livre appelle sans qu'il faille effacer -au contraire- un effort, quel qu'il soit, pourvu qu'il aille dans le bon sens.
Puis-je insister sur le mot PLANETAIRE ? N'avons-nous pas tendance (héritage du colonialisme ?) à croire, sans le dire et, peut-être, inconsciemment que ce seront les pays du Nord qui trouveront la solution. Et, pourtant ! Pourquoi cette solution ne viendrait-elle pas de Lagos, de Cordoba, de Hochiminhville, de Haïti. Pour ne citer que ces villes-là. A écouter les amis du Sud, on se met loin d'une situation confortable voire du pays des certitudes... Ont-ils une approche identique à la nôtre, de la croissance et de la décroissance, par exemple ? Peut-on donner le même contenu à la « décroissance » à Paris et dans les campagnes des pays du Sud encore trop souvent frappées par la misère ? Et il serait facile de multiplier les exemples. C'est ensemble -le Sud et le Nord- qu'il faut inventer, expérimenter, et entrevoir ainsi l'espérance d'une solution.
Je n'insiste pas. Il y faudrait plus qu'un autre livre. Au moins ! Encore merci ! Un jour peut-être, nos routes auront la chance de se croiser. Je vous assure de mes sentiments fraternels.

Pierre VILAIN









Publié dans Politique

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