Ça va changer !
Tramway, il n’y a pas plus d’une demi-heure, je vous cite à peu près de mémoire :
— (moi) « Salut Angelina, comment va ?! »
— (elle) « Oh… ça va, pff… — et toi ? »
— « Moi, ça va à peu près… mais le monde, nos sociétés ?!... Comment ils vont ? C’est peut-être ça qu’il faudrait vraiment se poser comme question… »
— « Oui…»
— « Tu sais, il n’y a rien de séparé. C’est une illusion de se dire qu’on est séparés des autres… on n’est pas séparés des autres dans notre Monde — je crois que quand on aura compris ça, on aura vraiment avancé… »
— « … »
— « On ne peut pas ‘s’en sortir’ tout seul Angelina, sans les autres, ce n’est pas possible… »
— « Oui… »
— « C’est dur en ce moment, t’as vu : la Tunisie… pas mal de pays d’Afrique Noire aussi, depuis tellement longtemps pour eux…, et puis ici en France dans une moindre mesure, et dans d’autres pays encore — on souffre, on est beaucoup à souffrir !... »
— « Oui »
— « Et les responsables politiques, financiers, économiques, ils le savent… »
— « Bha bien sûr qu’ils le savent ! et ils laissent faire, et au contraire même, ils se durcissent, ils durcissent leurs positions ! »
— « Oui, en fait ils ne changent pas, malgré tout ce qu’on nous dit, ils ne changent pas… »
— « Oui »
— « On en est à un point où ça va bouger, peut-être pas dans la violence, mais ça va bouger, globalement, tout d’un coup et sur toute la planète — moi je pense que c’est d’un point de vue planétaire que ça doit et que ça va bouger —, c’est impossible que ça continue comme ça encore longtemps, c’est même étonnant que ça ait duré aussi longtemps comme ça, dans l’injustice, et dans tellement de pays !... »
— « Oui, espérons, espérons que ça bouge, mais que ça bouge vraiment…, moi je pense aux jeunes… »
— « … Aux jeunes, et aux vieux, et aux personnes de notre âge aussi Angelina — il ne faut pas séparer, pour quoi vouloir séparer, séparer les âges, les personnes, hein ? On a tous à y gagner avec le changement — ensemble ! »
— « … Oui, tu as raison… »
Dans la rame, une jeune femme est assise juste face à moi, son visage est de marbre, elle entend, elle n’a absolument aucune réaction (je n’y fais pas plus attention que ça) ; sur ma gauche, deux hommes d’origine maghrébine sont assis l’un à côté de l’autre, impassibles, silencieux, ils ont à peu près mon âge, ils ont tout entendu… j’ai dû ajouter à un moment un : « C’est pas possible que ça continue encore longtemps comme ça !... » quand un des deux hommes a tourné son visage vers moi, et aussitôt, avec sa main droite, a formé tout à coup un « V », le « V » de la Victoire, à mon intention, mais surtout bien sûr à ce qui venait d’être dit et échangé entre Angelina et moi, en rapport avec ce désir immense que tant et tant de personnes ont aujourd’hui de vivre plus, bien plus fraternellement, bien plus les unes avec les autres, dans la bonne entente, joyeusement, dans le respect mutuel, dans le partage et la justice aussi…
Ce « V » dressé vigoureusement m’a procuré le plus grand des plaisirs ! De la force. De l’espérance…
J’ajoute alors, dans la rame, avec beaucoup de tact et de respect à l’attention du voyageur maghrébin : « Oui… ça va changer — Inch’ Allah ». Il me sourit tendrement, avec complicité, et son ami aussi. La vie, c’est ça.
Il n’y a pas de séparation —
Jean-Marie Delthil. 17 janvier 2011.