Mariage pour tous. Beaucoup de catholiques ne sont pas convaincus par l’argumentaire anthropologique qui a été retenu

Publié le par Michel Durand

Alors que je souhaite passer à des textes de Jacques Ellul pour me préparer au pochain laboratoire organisé par Chrétiens et pic de pétrole et l'Espace Saint Ignace-Lyon, ainsi avec la lecture de la Subversion du  christianisme, je reçois des études à propos du Mariage pour tous, que je pense important de diffuser.

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Mariage gay: "L'Eglise défend le Pacs, alors qu'elle luttait contre sa création il y a dix ans

J'en ai plusieurs en attente. Aujourd'hui, je reçois d'Adrien celui-ci qui circule sur internet. Il est signé du frère Lionel Gentric. Est-ce que je veux voir toute chose avec des lunettes elluliennes ? Je ressens un même regard sur l'Institution. Demain je posterai peut-être celui d'un militant "type T C".

Le frère Lionel Gentric est tuteur des frères étudiants au couvent Saint-Thomas-d'Aquin à Lille et directeur régional du pèlerinage du Rosaire pour la région Flandres-Artois-Picardie.

De l'unanimité de l'Eglise sur la question du mariage pour tous !

Il est bien des organisations humaines (gouvernements, partis politiques, entreprises commerciales), trop humaines peut-être, où la capacité à afficher une unanimité de façade dans les situations d’adversité est un atout de poids, voire une nécessité. Il est bien des circonstances dans lesquelles il faut accorder au rassemblement des forces une priorité qui justifie qu’on diffère l’ouverture d’un débat de fond où viendraient se confronter des perspectives diverses et des opinions contradictoires. Plus encore, certaines organisations sont jugées sur leur capacité à juguler efficacement l’expression de la diversité des opinions : ainsi les ministres de notre République sont-ils sévèrement jugés lorsqu’ils manifestent de manière désordonnée leur désaccord avec la ligne officielle. Jean-Pierre Chevènement l’a brillamment résumé, alors qu’il s’apprêtait à donner sa démission du gouvernement Mauroy en 1983 : « Un ministre, ça ferme sa gueule ; si ça veut l'ouvrir, ça démissionne ». L’Église n’est pas au nombre de ces institutions humaines, trop humaines. Le consensus auquel elle aspire partout où, en son sein, on délibère, on décide et on agit, va bien au-delà d’une simple convergence des opinions et des intérêts. Ce consensus doit se fonder sur une unité que réalise en elle Celui qui en est la tête, notamment lorsque les chrétiens se rassemblent en son Nom, sous le signe de la croix, pour communier à son corps et à son sang. L’Église n’est pas un parti. Elle n’est d’aucune tribu, d’aucun clan, d’aucune faction : elle entend être et elle est vraiment le sacrement visible de l’unité du genre humain. En elle se réalise l’« unité catholique du Peuple de Dieu qui préfigure et promeut la paix universelle » (Lumen Gentium, n. 9). A cette unité, tous les hommes sont appelés, de même qu’à tous est destinée la promesse de vie. L’Église n’a pas le droit de délaisser ne serait-ce qu’un seul instant cette perspective de l’unité qu’elle est vouée à réaliser en son sein. Il est vrai que le consensus et la concorde ne seront parfaitement établis que lorsque le Royaume lui-même trouvera son parfait achèvement – c'est-à-dire à la fin des temps. Dans le temps présent, il nous faut composer avec bien des dissensions et une diversité souvent compliquée à gérer. Il n’en reste pas moins que la perspective du dépassement de toutes les divisions et de toutes les dissensions, la perspective du grand rassemblement des enfants de Dieu ne peut pas disparaître de notre horizon. C’est pourquoi il est bon de réentendre l’exhortation que l’apôtre Paul prodiguait aux Philippiens : « Mettez le comble à ma joie par l'accord de vos sentiments : ayez le même amour, une seule âme, un seul sentiment ; n'accordez rien à l'esprit de parti. » (Ph 2,2-3) Nous faisons fausse route lorsque nous affichons une unanimité qui n’est que de façade. Nous faisons fausse route lorsque nous nous comportons en militants d’un parti qui chercherait à gagner une cause dans l’espace politique. Lorsque nous nous prenons pour des miliciens ou des légionnaires. Lorsque quelques uns d’entre nous, fussent-ils pasteurs ou théologiens, croient pouvoir imposer dans les rangs des mots d’ordre ou des consignes de vote… ou encore lorsque nous nous prenons à rêver que l’Église y gagnerait à faire plier un gouvernement par une démonstration de force. Lorsque nous agissons ainsi, l’Église est défigurée et affaiblie. De l’extérieur, elle n’est plus reconnaissable qu’à ses « positions » : elle agit comme si devait prendre au sérieux la provocation de Staline (« Le pape, combien de divisions ? »). Vue de l’intérieur, les choses ne sont guère plus favorables, car en se comportant comme une puissance séculière, l’Église laisse circuler en ses veines certains de ces poisons qui font que toutes les organisations humaines (trop humaines) sont périssables. Je ne sais par quel miracle l’Église de France a réussi à faire taire en son sein tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans les opinions exprimées par ses chefs sur le projet de loi du mariage pour tous. J’aurais pourtant parié, au moment où le cardinal Vingt-Trois a pris l’initiative de publier la prière du 15 août, que le débat qui anime l’espace public trouverait un écho retentissant dans l’Église. Nous arrivons à la fin du mois de décembre et c’est seulement ces jours-ci qu’un prêtre français fait connaître publiquement son soutien au projet de loi, dans une lettre ouverte adressée aux évêques de France. Aucun évêque, à ce jour, n’a fait savoir ses réserves à l’égard des opinions exprimées par les ténors de l’opposition au mariage gay. De manière peut-être encore plus troublante, aucun évêque n’a osé s’aventurer à l’exercice de la correction fraternelle lorsque l’un ou l’autre de ses confrères s’est laissé aller à des débordements de langage. Un tel exercice, aussi périlleux soit-il, aurait pourtant été bien salutaire en plusieurs occasions, ne serait-ce que pour fournir l’attestation de ce qu’il y a des ecclésiastiques qui, non contents de n’être pas homophobes (puisqu’il est entendu que les catholiques ne sont pas homophobes), n’entretiennent vraiment aucune complicité avec l’homophobie : il est vraiment désolant que nul évêque ne s’y soit risqué publiquement. Depuis des mois, la hiérarchie catholique ne parle que d’une seule voix. Comme si tout le monde était d’accord. Comme s’il n’y avait plus qu’à choisir les moyens d’action et à entrer en campagne. On peut craindre que cette fausse unanimité desserve profondément la cause de l’unité de l’Église : beaucoup de catholiques aujourd'hui, sans être nécessairement de grands partisans du mariage pour tous, ne sont pas convaincus par l’argumentaire anthropologique qui a été retenu pour la cause ; ils entretiennent des doutes qui méritent d’être pris au sérieux et qui ne le sont pas. Rien n’est évident dans cette histoire. Rien n’est évident et rien n’est simple. Comme l’indiquent les sondages (ceux des instituts comme celui que n’importe qui peut faire dans la plupart des paroisses), les fidèles sont partagés. Beaucoup ne demanderaient qu’à voir ouvrir vraiment le débat, non seulement dans la société, mais aussi et d’abord dans l’Église. Les prêtres sont également partagés. Oserai-je dire enfin que les évêques eux-mêmes sont certainement partagés ? Je ne suis pas journaliste d’investigation, je n’ai recueilli aucune confidence, je n’ai aucun enregistrement téléphonique… mais considérant d’une part que les prêtres français sont très partagés et d’autre part que les évêques ne sont pas des hommes extrêmement différents des simples prêtres, il est assez clair que les évêques ne partagent pas tous l’ardeur des leaders. Il n’y a pas de vraie unanimité, même au sein du collège épiscopal, au sujet du fameux projet de loi. Nous jouons depuis des mois une grande partie de cache-cache, dans laquelle certains pourraient finalement se lasser de s’être si bien cachés. L’Église a sans doute beaucoup à perdre à dissimuler qu’il y a aujourd'hui en son sein une très grande diversité de points de vue au sujet du projet de loi sur le mariage pour tous. Les opinions de l’auteur de ces lignes sur la question de fond (l’ouverture du mariage aux couples homosexuels) n’ont pas ici grande importance  HYPERLINK "/C:\Documents and Settings\Lionel Gentric\Mes documents\My Dropbox\Dossier de liaison\Un seul cœur et une seule âme.doc" \l "_ftn1" \n _self[1]. Quelles qu’elles soient, elles susciteront nécessairement de la sympathie chez quelques uns, des hésitations chez d’autres, une franche opposition chez d’autres encore. Peu importe : c’est en assumant tout cela, toutes ces différences et toutes ces dissensions, que l’Église se construit, en se donnant délibérément pour horizon de conduire les enfants de Dieu au grand rassemblement promis à tous. Puisse donc l’Église se donner comme perspective de rassembler ses enfants. Non dans une militance toute séculière, dans une logique toute humaine qui justifierait la mise à l’écart des fortes têtes et le mépris des hésitants, mais au contraire dans le souci tout évangélique de n’en perdre aucun (Jn 18,9). Pour cela, il faudrait qu’elle renonce à tout ce qui risque de faire d’elle une institution très humaine, trop humaine peut-être.

PS : La présente contribution n'engage évidemment que son auteur.

Fr Lionel GENTRIC op.

 

 

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 HYPERLINK "/C:\Documents and Settings\Lionel Gentric\Mes documents\My Dropbox\Dossier de liaison\Un seul cœur et une seule âme.doc" \l "_ftnref1" \n _self[1] Disons en quelques mots, pour couper court à d’inutiles spéculations, que je suis 1) convaincu de la légitimité et du bien-fondé des principales revendications des familles homoparentales, ainsi que de la nécessité de leur accorder une juste reconnaissance, 2) assez convaincu que le projet de loi transforme en profondeur l’institution civile du mariage, 3) très dubitatif sur l’opportunité de procéder à cette transformation, 4) plutôt favorable à l’ouverture du droit à l’adoption pour les couples homosexuels, 5) très réticent à l’ouverture du droit à l’A.M.P. pour les couples de lesbiennes, 6) farouchement opposé à la légalisation de la G.P.A., et donc 7) très hésitant dans l’ensemble.

Décembre 2012

 

Publié dans Anthropologie

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B
<br /> Le "pic de pétrole", la rumeur se répand dans les médias qu'il n'a pas eu lieu. Pourquoi? grâce à la "nouvelle révolution industrielle" de l'exploitation des gaz de schiste, qui nous garantirait<br /> un approvisionnement facile en énergies fossiles. Même son de cloche enthousiaste un peu partout : aussi bien dans les colonnes du Monde que sur RFI ou Radio<br /> Notre-Dame. Donc tout va très bien, comme dit la chanson. Pourquoi organiser un prochain laboratoire si le problème est résolu?<br /> <br /> <br /> Plus sérieusement, que pourrait nous apprendre le livre d'Ellul concernant ces  discours apparemment délirants? De telles attitudes font penser au professeur Callys<br /> dans L'Etoile mystérieuse d'Hergé, sacralisant à ce point la science qu'il ne se tient plus de joie à l'idée qu'il aura su prédire la fin du monde. Remplaçons la science par<br /> l'objectif de la croissance et de l'exploitation infinie des ressources fossiles...<br />
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M
<br /> <br /> J'ai dernièrement rencontré Dominique Bourg. C'est l'aveuglement de l'homme qui parle de non existence du pic de pétrole<br /> <br /> <br /> Dominique Bourg : « Il nous faut maintenant choisir entre la décroissance ou le clash. ». Dominique Bourg, professeur de l'université de Lausanne, Les Echos, 6-11-2012. Voir ici !<br /> <br /> <br /> <br />
B
<br /> Dans La subversion du christianisme, Jacques Ellul ne fait que reprendre un thème cher à la théologie protestante contemporaine<br /> (Bonhoeffer…) : le christianisme compris comme non-religion s’opposant à toutes les religions. C’est oublier que,<br /> dans l’antiquité, le concept de « religion » n’existait pas encore. Ce n’est que dans la période moderne – du XVe au XVIIIe siècle – que ce que nous entendons par « religion »<br /> s’est progressivement dégagé.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Ellul joue également sur l’opposition sacralisation-désacralisation, qu’il confond malheureusement avec la dichotomie non-religion<br /> (chrétienne)/religions (païennes). Voilà qui nous ramène malgré tout sur un terrain plus solide. Ayant préalablement exclu l’idée que le sacré puisse être un pseudonyme de « religion »,<br /> nous pourrions très bien dialoguer avec le protestant Ellul. Par exemple au sujet de la séparation clercs/laïcs, grâce notamment aux travaux d’un Alexandre Faivre.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Nous devrions tout de même nous demander ce que les chrétiens de l’Antiquité tardive et du moyen âge voulaient signifier exactement par<br /> « sacré », si ce mot a vraiment désigné une réalité stable et unifiée sur une aussi longue période, quel était leur rapport au « sacré » et comment ils pensaient les relations<br /> sacré/profane. Ainsi, pour le médiéviste Jean-Claude Schmitt, il n’existait pas à l’époque de sacré « en soi » :<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> « […] le sacré n'existait pas en soi : il était donné, souvent temporairement, parce que destiné à être consommé (les espèces consacrées —<br /> le corps du Christ — étaient consommées par le prêtre et les fidèles ou ne demeuraient qu'un temps bref dans la réserve eucharistique du tabernacle) ou à être légitimement rendu à la sphère<br /> profane : ainsi pour les vases liturgiques, dont le métal précieux, une fois fondu, retrouvait sa valeur marchande. » (SCHMITT Jean-Claude, Les corps, les rites, les rêves, le temps.<br /> Essai d’anthropologie médiévale, Paris, éd. Gallimard, coll. Le Grand Livre du Mois, 2011, p. 47.) J’ai isolé un passage de son argumentaire complet. L’article vaut la peine d’être lu en<br /> entier : http://ccrh.revues.org/2798<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Quoi qu’il en soit, le protestantisme n’a pas fait disparaître le sacré, il s’est contenté de le déplacer. Ellul n’a donc pas tort de dénoncer un<br /> « monumental échec historique ». Reste à savoir s’il a raison de substantifier et de totaliser à ce point le sacré. Il existe une multitude de rapports au sacré, qui ne peuvent être<br /> arbitrairement réduits à l’unité. Le fait que nous soyons des créatures vivant dans le temps et l'espace rend de toute façon difficile une suppression du sacré.<br />
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M
<br /> <br /> Comme toujours, Blaise, je trouve très riche vos commentaires. Il se trouve que la chartre graphique du blog que j'ai adoptée ne met pas en avant les commentaires. Grâce au "copiercoller" je<br /> m'engage à déplacer votre réflexion dans le corps d'un article. Je pense même en faire profiter les participants du laboratoire à propos de textes de Jacques Ellul. Je prendrais alors le temps d'affiner ma<br /> réflexion.<br /> <br /> <br /> Distinguer sacré du profane est très XXe siècle, voir XIXe ou XVIIIe. Je l'accorde. Personnellement, je pense que l'homme est "un" et qu'il ne peut se diviser en une part sacré et une part<br /> profane. Il est totalement spirituel. C'est pour grandir l'humain dans sa dimension spirituelle que les textes bibliques ouvrent un regard désacralisant la nature. Le récit de la création est<br /> œuvre de désacralisation. Jésus, dans sa pratique déritualise le comportement religieux de ses contemporains. L'institution Eglise, les moines de Charlemange, réintroduisent le religieux, par<br /> exemple avec le rôle sacredotale donné (redonner) aux anciens, les prêtres, alors qu'il n'y a, désormais, qu'un seul prêtre, Jésus Christ.<br /> <br /> <br /> Bref, c'est toute cette réflexion que je pense reprendre dans une pleine page. L'expression très calviniste de Jacques Ellul aide à réfléchir. La théologie de Vatican II est aussi précieuse. Donc<br /> à suivre.<br /> <br /> <br /> <br />