Nicodème, une figure privilégiée !
Etude d’Evangile : les longs dialogues du Christ
Cette étude fut conduite par Robert Beauvery qui, avec d’autres prêtres du Prado, s’est lancé dans la lecture de l’Evangile de Jean pour se préparer à l’Assemblée pradosienne de 2011.
« En commençant par l’étude d’Evangile, en nous référant à divers textes d’Eglise, en vérifiant nos initiatives, nous retrouverons l’actualité de la grâce faite à Antoine Chevrier… Nous nous laisserons convertir. Nous deviendrons un peu plus disciples et apôtres du « passeur de Galilée », écrit André Etcheverry.
Totalement oubliée des évangiles synoptiques : Matthieu, Marc, Luc, la figure de Nicodème, fixée à Jérusalem, traverse tout le quatrième Evangile, (cf. Jn 3, 1ss ; 7, 48-50-52 ; 19,39).
Figure devenue emblématique du sommet de la hiérarchie juive contemporaine, Nicodème, en effet, est à la fois pharisien, sanhédrite et docteur de la Loi. Autrement dit, il participe à la gérance officielle de la vie religieuse, administrative et intellectuelle du pays, de la Terre Sainte.
A. La première rencontre, Jn. 3,1-21
Remarque préliminaire :
Le texte, dans son état actuel, fruits de relectures par les communautés chrétiennes, primitives et successives, tout au long du 1er siècle, ne nous permet probablement pas de rejoindre la teneur initiale, les détails du dialogue entre, l’un, Nicodème, et, l’autre, Jésus de Nazareth.
C’est donc par la médiation de l’Eglise, « par ceux qui furent dès le début témoins oculaires et qui sont devenus serviteurs de la Parole » (Lc.1, 1-4) que je puis atteindre la Révélation manifestée par la vie de Jésus de Nazareth.
LES PREMIERS POINTS SAILLANTS
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Jésus, un maître qui vient de Dieu
Savant, Nicodème a déduit que Jésus de Nazareth est « un maître qui vient de Dieu car personne peut opérer les signes qu’il fait si Dieu n’est pas avec lui » ( Jn. 3, 2).
Loin de posséder la science de Nicodème, un homme, sans culture, un aveugle de naissance a élaboré le même raisonnement que le premier : « Dieu, nous le savons, n’exauce pas les pécheurs, mais si un homme est plein de pitié et fait sa volonté, Dieu l’exauce. Jamais on n’a entendu dire que quelqu’un ait ouvert les yeux d’un aveugle de naissance. Si cet homme n’était pas Dieu, il ne pourrait rien faire » (Jn. 9,31-33).
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2. Nicodème ne jouit pas d’une entière liberté
Nicodème ne jouit pas d’une entière liberté tant il est lié « aux siens » pharisiens, sanhédrites, docteurs de la Loi qui, eux, récusent radicalement l’origine divine de la Mission de Jésus et interdisent au peuple d’y croire sous peine d’excommunication (cf. Jn.7,31 ; 9,22 ; 20,19).
B. Entre les deux rencontres :
Même s’il a su prendre, à l’occasion, des distances courageuses et nettes, vis-à-vis des « siens », en leur rappelant, par exemple, que la Loi en vigueur exige d’entendre un prévenu, en l’occurrence Jésus, avant d’intenter une action en condamnation… Nicodème, dans ce rappel juridique, suggère que l’attitude négative à l’endroit du « galiléen » est illégale (Cf. Jn. 7,46-52).
Cependant, Nicodème n’a jamais rompu avec les « siens » durant toute la durée du ministère public du Nazaréen, jusques et y compris sa mise à mort dont les « siens » portent l’entière responsabilité, au mépris de la Loi.
Que signifie cette surprenante solidarité ? Relève-t-elle de la peur de perdre sa situation au sommet de la hiérarchie juive ? d’un refus de la lumière ? (Cf. Jn 3,19 s)
C. La dernière rencontre
Remarques préliminaires
L’Auteur de l’Evangile, lui-même, suggère de lire, de comprendre, de s’approprier le récit de la première rencontre (Jn. 3), à la lumière du récit de la seconde et dernière rencontre. En effet, il est écrit : « Nicodème vint aussi, lui qui naguère était allé trouver Jésus dans la nuit ! » (Jn.19,39). S’agit-il d’une simple incise anecdotique ?... dans un texte aussi dense de théologie, c’est peu probable.
L’une comme l’autre relève d’une initiative personnelle de l’intéressé, expression de la liberté intérieure. Serait-elle respectueusement aidée par une force venue d’en-haut ?
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1. De la nuit au grand jour :
La première, entre deux personnes qui se voient et se parlent, est marquée par la précaution de venir de nuit, in catimini, sans témoins, seul et les mains vides !
La seconde – et dernière ! – entre une personne vivante et un corps encore chaud, mais sans parole ,elle, se passe au grand jour, en présence de nombreux
témoins et, parmi eux, quelques uns des collègues de Nicodème auxquels il est donné des choses à voir : l’intéressé n’est plus seul, il a rejoint Joseph d’Arimathie, un autre lié à Jésus
« mais il s’en cachait par crainte des Juifs »… L’un et l’autre ne se cachent plus ! Les mains de l’intéressé sont lourdement chargées, elles portent :
« un mélange de myrrhe et d’aloès d’environ cent livres », le nécessaire pour l’embaumement de Jésus. Certes, l’ensevelissement des corps – quels qu’ils soient, fût-ce celui
d’une maudite, (cf. 2 R.9.34) – et, à fortiori, l’embaumement est une œuvre de miséricorde, bénie par Dieu, (cf. 2 Sa.2.5). Dans cette théologie, la privation de sépulture est la pire des choses,
des malédictions, (cf. Jr. 8,12 ; 14,16 ;…Ps.79 (78) 2-31), etc… Certains, comme Tobie, ont risqué leur vie pour donner clandestinement sépulture à des cadavres proscrits,
(cf. Tob 1.21 ; 2.9 ; 12.12). Nicodème, lui, ne risque pas sa vie en donnant sépulture et embaumement du corps de Jésus, mais il risque d’être exclu du
milieu des « siens », de la synagogue, (cf. Jn.9.22). Cependant, l’action de Joseph d’Arimathie et de Nicodème, dépasse la signification habituelle donnée aux autres
embaumements.
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2. Renaître de l’Esprit
En effet, quelques jours plus tôt, 6 ou 7, à Béthanie, au cours d’un repas, Marie a répandu un parfum de grand prix et a oint les pieds de Jésus… au grand dam de Judas. Le Maitre a pris la parole pour suggérer le sens prophétique du geste : « elle observe cet usage en vue de mon embaumement » (Jn. 12, 1-11).
La réalité, annoncée par le geste d’anticipation de Marie, est, de fait, accomplie par l’action de Nicodème, qui embaume le corps de Jésus avec des aromates de grand prix estimé à 100 livres alors que le prix du parfum de Marie l’était, lui, à une livre, soit 100/1. Cette disproportion a certainement un sens. Lorsque Marie pose son acte, elle agit avec sa générosité humaine certes, mais en même temps elle est animée par l’Esprit Saint qui, lui, donne à l’action une dimension prophétique. Pierre rappelle que « ce n’est pas la volonté humaine qui a jamais produit une prophétie mais c’est portés par l’Esprit Saint que des hommes ont parlé de la part de Dieu… » Il en va de même pour la réalisation de prophétie annoncée par Jésus et posée par l’action de Nicodème et de Joseph d’Arimathie. Tous les deux entrent dans le mystère de la nouvelle naissance, annoncée en Jn. 3,6-9 ; et 19,34.
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3. Il faut que le Fils de l’Homme soit élevé de terre (Jn. 3.14).
Il ne s’agit pas d’un destin absurde, sans aucune signification, sans aucune utilité, sans aucune fécondité. Bien au contraire, l’élévation du Fils de l’homme est source vivifiante de « vie éternelle »,( v.15) ; d’attirance à Lui : « quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes » (Jn. 12,32).
Nicodème, aussi bien que Joseph d’Arimathie, est « attiré » vers celui qui est source, par l’Esprit Saint dont il vient actualiser la prophétie relative à l’ensevelissement.
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4. Dieu … a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son Unique (Jn. 3, 16-17).
L’évocation, ci-dessus, de la surprenante solidarité de Nicodème avec les « siens » jusqu’à la mort du Christ incluse dont la signification, restée jusqu’ici sans réponse, peut trouver à la descente de la croix une explication : que Nicodème ait été amené à rester au milieu des « siens » quoi qu’il arrive, dans la fidélité à la grâce chrétienne qui commence à l’habiter comme un signe de l’amour de Dieu pour eux tous dans une infinie patience… cf. la présence debout, le juste clairvoyant, Lot, au milieu de concitoyens corrompus, à Sodome et Gomorrhe, (cf. 2 P. 2.7.8).
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5. Celui qui fait la vérité vient à la lumière Jn.3,21.
A la différence de plusieurs autres récits johanniques de rencontre, par exemple avec la samaritaine, l’officier royal, la femme saisie en flagrant délit d’adultère, etc… qui se terminent tous par une conclusion et la séparation des deux partenaires du dialogue, (cf. Jn. 4.29 ; 4.50 ; 8.11) le récit de la rencontre Nicodème et de Jésus n’a pratiquement pas de conclusion, de séparation de l’un de l’autre. Il reste ouvert comme le début d’un itinéraire caché d’un homme vivant au sein d’un milieu particulièrement difficile, obstinément hostile « au cas Jésus » dont la « vérité » sera manifestée dans le silence de l’ensevelissement du corps de Jésus.
CONCLUSION
Non seulement la figure de Nicodème traverse le 4 Evangile, du début à la fin mais encore elle est probablement, dans l’intention de l’Auteur, une des figures privilégiées dont l’étude permet certainement de rejoindre le dessein de Dieu tout marqué par l’Elévation du Fils Unique qui attire à Lui tous les hommes.