Palestine, suite 5
Afin d’éviter les discussions abstraites sur la Palestine, j’ai le bonheur de vous communiquer ce témoignage de Monique. Voir Palestine 1 ; Palestine 2 ;
Palestine 3 ; Palestine
4
Séjour en territoire occupé Automne 2010 (11octobre/22 novembre)
La résistance dans les terres
5e Partie : Yanoun, 9 novembre
Je vis actuellement avec force et beaucoup d'émotion, ce que peut signifier « être présent simplement dans un lieu », et cela d'une façon et dans un contexte qui me semblent totalement uniques.
Yanoun est un petit village au nord-est de la Cisjordanie, à 20 km de Naplouse et très proche de la vallée du Jourdain. C'est un lieu absolument merveilleux, en altitude, autour de 900m (sensation d'être en montagne aussi pour l'air et la luminosité) à flanc de colline au fond d'une vallée, la route s'arrête là : un site grandiose. Encore des oliviers, mais sur les hauteurs davantage de landes où devraient paître les moutons et les chèvres, principale activité économique des habitants ici ; mais du fait de l'extension des colonies et du vol des terres, les bêtes sont condamnées à brouter quelques espaces proches des maisons, et se nourrir principalement de nourriture achetée !
Yanoun est un village qui a failli être balayé de la carte de la Palestine en octobre 2002 comme l'ont été des villages en 48 lors de la création de l'État d'Israël. La colonie d'Itamar construite à 10 km en 1984, puis peu à peu des extensions agricoles sauvages (avant postes) conduites par des colons extrémistes, et le village se retrouve peu à peu encerclée sur toutes les crêtes qui le dominent. Dans les années 96 les violences envers la population et les animaux s'intensifient, culminant pendant la deuxième intifada ; en octobre 2002 toutes les familles excepté deux frères, décident de quitter le village, après une dizaine d'années de terreur et de souffrances. Cet évènement fut relaté dans la presse internationale le jour même : ce qui s'était passé en 48 pouvait encore se reproduire ! Aussitôt des pacifistes israéliens (Ta'ayoush) organisent avec des internationaux une présence constante jour et nuit pour sécuriser le village et tenter de faciliter le retour des villageois. Dès le deuxième jour, certains reviennent, d'autres mettront quatre ans.
Depuis cette date une présence continue est assurée jour et nuit toute l'année par des volontaires internationaux installés dans une des maisons, organisation prise en charge par un mouvement oecuménique EAPPI (oecumenical accompaniment programme in Palestine and Israel).
Il y a aujourd'hui 17 familles réparties sur deux villages, Yanoun-le bas, Yanoun-le haut, une centaine de personnes dont une soixantaine d'enfants, dont une dizaine en primaire dans l'école du village.
Imaginez que vous allez passer une semaine dans un ermitage de moyenne montagne, dans un site fabuleux, au bout du monde et qu'on vous demande simplement « d'être là, présent ». Vous êtes deux, vous devez être le plus souvent visibles, à l'extérieur de la maison, vous faites le tour du village, de tous les hameaux matin et soir, vous croisez ou visitez les familles, et c'est cela que les familles attendent de vous, et c'est cela qui a fait que, peu à peu, une certaine tranquillité est revenue, que l'école a rouvert, que les enfants jouent dehors... que les colons se montrent encore à certains moments pour impressionner le village, mais sans violence effective depuis quelque temps.
Des familles ont retrouvé leur village, leurs maisons, leur activité, mais néanmoins la vie est difficile, c'est toujours l'occupation et d'autant plus en zone C où tout ce qui touche à la terre, au développement, est contrôlé par Israël avec aucune possibilité de construire même pas des bâtiments agricoles. À la perte des terres occupées par les colonies elles-mêmes, se rajoutent de grands espaces, sorte de zone tampon, où ils ne peuvent plus approcher, car les colons y sont actifs et de façon officieuse se les sont accaparées ; ce que l'armée couvre en déclarant souvent ces zones « closed military zone ».
Alors, participer à cette chaîne de solidarité internationale, pour éviter qu'un village palestinien ne disparaisse et permettre que ses habitants y demeurent... par une simple présence ! j'avoue que c'est plus qu'émouvant. Je ne trouve pas de mots.
Je suis dans cet "ermitage" pour toute la semaine et il fait toujours beau et chaud.
Ici, ils attendent la pluie, c'est un automne très sec.
Yanoun aura été l'un des temps les plus forts de mon séjour en Palestine. J'ai vécu au rythme de la fabrication du pain tôt au lever du jour, du va-et-vient des troupeaux, de nos «marches» dans et autour du village, des rencontres avec les familles... dans un cadre merveilleux. Mais j'ai aussi ressenti très fort la souffrance de ces villageois qui résistent mais survivent dans des conditions « limites », sans avenir, avec un exode rural régulier " chaque année une famille s'en va vers la ville, et les colons le voient et n'attendent que de prendre la place. L'exode rural c'est une chose ; mais quand on risque de ne plus pouvoir revenir parce qu'on vous aura volé vos terres, c'est encore autre chose.