Rite baptismal et décroissance : « voulez-vous renoncer aux bonheurs illusoires que le monde fait miroiter ?
Je comprends très bien que des fidèles chrétiens puissent se demander pourquoi un curé s’intéresse aux questions que pose l’objection de croissance, également dénommée la décroissance. Ce sujet, tellement politique, est fort éloigné des sacrements, dit-on.
Pas si sûr !
Effectivement, il se situe dans le quotidien de toutes personnes sollicitant la présence sacramentelle de l’Église. Je m’en suis expliqué dans mon intervention au colloque de Chrétiens et pic de pétrole : Objection de croissance et christianisme, quelles convergences ? quelles divergences ?
Voici le texte de mon intervention :
Ce que j’ai envie de vous dire ce matin doit s’entendre dans le cadre de ce qu’un prêtre, curé de paroisse, est invité à dire à des paroissiens. En fait, ce sont des journalistes qui, par leurs questions, m’ont orienté vers ce secteur plus pastoral qu’intellectuel.
Quelle est la mission d’un prêtre qui reçoit la charge de curé ? En répondant à cette question, je pense être sur le bon chemin pour une approche pédagogique de la décroissance.
Figurez-vous qu’un professionnel de la presse m’a fait entendre son étonnement de me voir en dialogue avec des décroissants. Voilà en quelques mots ce que j’ai entendu : ces gens-là, objecteurs de croissance ne sont-ils pas tous contre l’Église, car les chrétiens veulent un développement illimité, un enrichissement permanent dans l’illusion qu’il y aura toujours une issue aux problèmes rencontrés. Ce journaliste, plutôt bienveillant à l’égard de l’Église, cherchait en fait à la protéger des christianophobes, des cathophobes (mots désormais à la mode) notamment ceux qui pensent que le nouveau millénaire dominé par les libertés économiques (le libéralisme) et comportementales (le libertarianisme) n’a que faire des illusions des chrétiens. Les Pères de l’Église jusqu’au VIIe siècle puis les théologiens jusqu’au XVIIIe siècle furent préoccupés par l’idée théologique de transcendance. Cette conception est remplacée à partir des Lumières par la philosophie de l’histoire qui met en place la problématique de son immanence. Selon ce courant de pensée, l’idéologie du progrès ne serait que « le produit de la sécularisation de la vision chrétienne de l’histoire qui orientait le temps comme une flèche (en opposition au temps cyclique des Grecs) ; de la déchéance de l’homme à sa rédemption. Désormais le temps fléché part de la souffrance quotidienne vers le bonheur universel, de la barbarie vers la civilisation radieuse » (Clément Homs). Dans mon homélie de la Toussaint, je me suis exprimé pour recadrer cette fausse conception du paradis où toute valeur transcendante est évacuée.
Et le journaliste d’insister : « mais comment pouvez-vous connaître des chrétiens dans les sphères de la décroissance » ? Comment puis-je être en dialogue avec ces christianophobes ou cathophobes ? Existe-t-il un objecteur de croissance qui soit chrétien ?
Commençons par rappeler ce qu’est un prêtre.
Le site officiel de l’Église catholique dans sa page des textes liturgiques donne cette définition du prêtre : « un chrétien qui, par l'imposition des mains au moment de l'ordination par l'évêque, reçoit la mission de rendre présent le Christ parmi les hommes, en célébrant l'eucharistie, en pardonnant les péchés, en instruisant et guidant le peuple qui lui est confié ». Ce peuple ne se réduit pas aux fidèles chrétiens ; il est formé de tout homme et de toute femme vivants dans un même espace. C’est à eux tous que le prêtre, par son immersion dans un monde culturellement déterminé, s’adresse en tentant de rendre présent le Christ, l’imitant dans son incarnation en un peuple particulier, les Galiléens. Il instruit, il guide les hommes, les femmes rencontrés. Le prêtre n’est donc pas que l’homme des sacrements, comme pourrait le laisser entendre une tendance sacramentalisante, qui risque de ne voir dans le prêtre (presbyteros) que la figure du prêtre lévitique de la première alliance (sacerdos). Le prêtre est image, icône du Christ. Partout où il vit, il reçoit la mission de montrer l’unique Prêtre : Jésus-Christ. Au XIXe siècle, écrivant à l’Abbé Gourdon, Antoine Chevrier, prêtre fondateur du Prado, s’exprime ainsi : « Le prêtre est un autre Jésus Christ, c’est bien beau. Priez pour que je le devienne véritablement. Je sens que je suis si éloigné de ce beau modèle que je me décourage quelquefois, si éloigné de sa pauvreté, si éloigné de sa mort, si éloigné de sa charité. Priez et prions ensemble pour que nous devenions conformes à notre beau modèle »… « Notre devise particulière est "Sacerdos Alter Christus". Imiter Jésus Christ, nous conformer à lui, le suivre le plus près possible : voilà notre désir et le grand but de notre vie ». Autrement dit, être au plus proche du Verbe incarné pour le donner à voir, entendre, sentir afin que l’ensemble de l’humanité bénéficie des instructions émanant de la sagesse divine.
Quelles sont ces instructions ?
Dans la ligne du prophète Isaïe, marqué par l’Esprit du Seigneur, Jésus explique qu’il est envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres, annoncer aux prisonniers qu'ils sont libres, et aux aveugles qu'ils verront la lumière, apporter aux opprimés la libération, annoncer une année de bienfaits accordés par le Seigneur (Luc 4, 14-21).
Ainsi le prêtre. Cela passe autant par l’offrande des sacrements : eucharistie, pardon (sacrement de la réconciliation) que par l’enseignement et l’accompagnement des personnes qui partagent la même existence. Il y a des conversations qui construisent une vie et qui se terminent par une prière de remerciement pour le bonheur obtenu, même si des paroles rituelles ne sont pas prononcées. Ces dernières, bien évidemment ne sont pas exclues
Rappelons, maintenant, l’essentiel du message évangélique[1].
Bienheureux les pauvres !
L’homme pense pouvoir obtenir le bonheur en se construisant lui-même. Il veut être maître de son existence et refuse toute aide extérieure. De plus, il se croit capable de tout obtenir, connaissances comme biens matériels, sans aucune limite. Cette absence d’humilité est la racine de sa perte. Les mythes de l’arbre du paradis et de la tour de Babel en sont les expressions phares.
Que l’homme soit par lui-même capable de sagesse, beauté de la conscience, ne signifie pas qu’il puisse atteindre sans accident les sommets de son humanité. Les discernements entre plusieurs chemins sont inévitables et les risques d’erreurs appartiennent à la faiblesse de la nature humaine. C’est pour cela que l’assistance d’autrui doit être acceptée tel un combat contre l’orgueil.
Les pauvres selon Dieu ne sont pas des miséreux. Et, ne l’oublions pas, la misère est à combattre pour la seule raison qu’elle détourne de la profonde dignité humaine voulue par le Créateur. Les pauvres selon l’Évangile sont celles et ceux qui comprennent que la vie est nécessairement limitée et qu’il existe des frontières que l’on ne peut pas franchir sans dommages irréversibles. « Si un homme parvient à posséder le monde entier, à quoi cela lui sert-il s'il perd sa vie ? » Le pauvre selon Christ sait qu’il doit, intérieurement et dans le concret de son existence, se disposer à recevoir le bonheur, non de ce qu’il est capable par lui-même à lui tout seul, mais de son attente active d’une grâce qui lui sera donnée. Le pauvre de Dieu, tel un enfant vit dans l’attente confiante du don qui lui est offert. Telle la force du baptême : l’Esprit Saint est sur moi, agissant en mon intimité pour m’indiquer le chemin à suivre. Je me reconnais humblement de la terre, et j’attends d‘une puissance qui me dépasse, le dynamisme nécessaire pour conduire mon existence en son terme. La transcendance d’une réalité inconnaissable qui, aujourd’hui, fait grandement peur à l’homme qui se dit moderne s’unit à la vérité qui émane de mon intime pensée. Une vérité qui m’invite à la vie sobre, simple, à l’acceptation de mes limites et des limites du monde. Pour vivre heureux, je dois être ce que je suis, répondre à ma vocation de fils de Dieu et non convoiter les objets qui, dans leur surabondance (je ne peux parler qu’en étant un occidental repu de biens matériels), m’apportent plutôt l’angoisse. Il est impossible, désormais de discerner entre le bon et meilleur puisque l’on trompe en permanence le consommateur en lui faisant croire que le nouveau produit est nécessairement meilleur que le précèdent.
L’appel à la vie sobre est destiné à tous et à toutes. Aussi les chrétiens devraient être des pionniers en ce domaine. Je repense à cette vocation à chaque fois qu’est célébré un baptême. Ne disons-nous pas dans le rite baptismal cette phrase : « voulez-vous renoncer aux bonheurs illusoires que le monde fait miroiter, ne pas vous laisser séduire par les forces du mal et refuser de prendre pour guide quoi que soit d’autre que la lumière du Christ ? Oui, nous le voulons. (Rite du baptême proposé par l’Église à Lyon.
Mais, si les chrétiens ne présentent pas au monde l’image de la vie sobre et de l’acceptation de ses propres limites ainsi que de celles du cosmos, je suis heureux de découvrir en dehors de l’Église l’expression existentielle de cette réalité. J’avoue que, à la réception du mensuel « La décroissance », la première page que je lis avec plaisir, est la page 7, rubrique de la « simplicité volontaire ». Athées, agnostiques ou croyants, ces témoins sont pour moi des prophètes qui me montrent le chemin à suivre. C’est ce que j‘écrivais récemment pour une revue chrétienne qui me demandait un article sur Noël. Après avoir rencontré plusieurs personnes vivant volontairement dans la simplicité, la sobriété, le don au nom de leur objection de croissance, après avoir dialogué avec quelques-uns (un très petit nombre), sur leur reconnaissance de l’Évangile comme source d’une pauvreté volontaire, je me suis dit que l’ensemble des chrétiens pouvait fort bien se tourner du côté de ces militants « décroissants » pour retrouver toute la saveur d’un authentique Noël auprès de la crèche où fut placé Jésus ». Un Noël sans cadeaux extraordinaires.
Autrement dit, l’illusion du travail et du progrès infini devrait être sans cesse présente à l’esprit des chrétiens.
Pour qu’il en soit ainsi, une conversion est nécessaire et je pense travailler à cela en tant que prêtre, curé de paroisse.
J’évoquerai volontiers ici toute la recherche de Jacques Ellul qui, hélas, ne fut pas suffisamment écouté. Il a écrit en 1965 [2]: « Si aujourd'hui l'économie exerce un poids si déterminant sur la politique au point qu'elle n'est plus qu'illusion, c'est que le développement exponentiel de la technique (en particulier en robotique et en informatique) conditionne lui-même l'ensemble de l'économie ». Face à la disparition de la pensée philosophique, poétique, spirituelle et théologique, le baptisé conscient de son baptême ne peut que s’engager à un travail de révolution s’il veut être fidèle à son Évangile. Il est aidé en cela par les textes de Vatican II, l’Église dans le monde de ce temps, mais aussi par les écrits de Jean-Paul II ou ceux de Benoît XVI, même si ces rédactions, pour respecter toutes les sensibilités risquent trop souvent de manquer de clarté et de vigueur, voire de ne pas atteindre le problème dans ses racines. C’est ce que je ressens, par exemple dans cette phrase de Benoit XVI (Caritas in veritate, 14) : « Absolutiser idéologiquement le progrès technique (les technolâtres) ou aspirer à l’utopie d’une humanité revenue à son état premier de nature (les décroissants) sont deux manières opposées de séparer le progrès de son évaluation morale et donc de notre responsabilité ».
La tâche pastorale
Quand, curé, je reçois des couples qui demandent un sacrement, leur mariage ou, plus fréquemment, le baptême du dernier né, qu’est-ce que je vais leur dire ?
D'abord, les écouter.
Et l’on tâchera de voir ensemble comment est conduite leur existence. En effet, le sacrement n’est pas en dehors de la vie quotidienne. Aussi, puisqu’il y a demande de sacrement, il importe d’en déterminer le pourquoi et d’observer les conditions de sa concrétisation dans le plus banal de l’existence. Recevoir le don de Dieu se traduit dans le quotidien. Comment l’envisagent-ils ? Les futurs époux marqués par le désir du sacrement du mariage ont-ils conscience qu’ils reçoivent une mission : celle de manifester l’amour de Dieu à toutes et tous ? Le parrain et la marraine sont-ils choisis pour faire plaisir à la famille des parents et beaux-parents ? Sont-ils seulement envisagés pour leur capacité à offrir des cadeaux ? Toute une conception de vie, tout un art de vivre est contenu dans ce parrainage baptismal. Les enfants sont-ils voulus parce qu’un besoin de paternité ou de maternité fut ressenti ? Sont-ils désirés pour combler un vide. Ou sont-ils don gratuit ?
C’est donc en parcourant les évangiles que l’on essaye de montrer à quoi engage le choix de recevoir ou de donner un sacrement chrétien.
Je souhaite rappeler, en citant ces exemples de la vie sacramentelle que l’Église ne se contente pas de donner un sacrement, -même si très souvent ce n’est qu’une petite bénédiction qui est demandée : « à défaut de faire du bien, cela ne fera pas de mal »- elle propose un mode de vie ; justement, celui dont on parle dans les béatitudes : bienheureux les pauvres… Ce ne sont pas seulement les religieux et les religieuses ainsi canoniquement désignés, ni les seuls bons pères, qui sont appelés à la vie sobre selon l’Évangile, mais toutes et tous. Appel universel de Dieu à la sainteté. Pour le prouver, je voudrais vous citer quelques extraits de documents qu’un curé reçoit obligatoirement dans sa tache sacerdotale.
Déclaration d’intention pour le mariage sacramentelle :
je veux en pleine liberté, et en présence de Dieu, créer avec NNN une véritable communauté de vie et d'amour, consacrée par le Christ, telle que l'entend l'Église catholique…
J'accepte les enfants qui pourront naître de notre union. Nous les éduquerons humainement et chrétiennement, avec le meilleur de nous-mêmes…
Je crois que notre amour nous appelle à dépasser notre égoïsme en nous mettant au service des autres dans notre foyer et dans la société, en travaillant avec tous pour plus d'amour, de justice et de paix…
Je m'y emploierai, éclairé(e) par l'Évangile (nourri(e) par l'Eucharistie), soutenu(e) par l'Église.
Dans cette formule est indiquée que la fin première du mariage n’est pas la procréation, mais le soutien mutuel et l’éducation. Cet amour réciproque élimine toute domination aveugle d’autrui. La souveraineté de l’homme et de la femme « ne doit pas être une domination arbitraire et destructrice. À l’image du Créateur, “qui aime tout ce qui existe” (Sg11,24), l’homme et la femme sont appelés à participer à la Providence divine envers les autres créatures. De là, leur responsabilité pour le monde que Dieu leur a confiée » (catéchisme de l’Église catholique, n° 373).
Baptême des petits enfants
Le baptême des bébés n’est possible qu’avec l’assurance de l’engagement des parents sur les chemins de l’Évangile. Le site de l’Église catholique de France précise qu’il « n'est pas d'abord une fête familiale ; c'est une célébration ecclésiale qui introduit dans la communauté chrétienne, dans l'Église. Cette célébration a une signification spirituelle et évangélique d'une grande richesse. Le baptême nous unit au Christ, il nous fait participer à sa mort et à sa résurrection et nous purifie du péché. Il nous donne l'Esprit saint qui apporte l'amour dans nos cœurs. Il nous rend pleinement enfants de Dieu et nous fait ainsi entrer dans la famille de Dieu qui est Père, Fils et Esprit ».
Il engage dans un mode de vie conforme à ce que le Christ a révélé, comme l’indiquent les Évangiles. C’est donc dés cet instant que les parents s’engagent à maintenir dans leur existence et leur mode d’éducation les enseignements de Dieu. Aussi, si des chrétiens, objecteurs de croissance, décident vivre un Noël dans la sobriété, ils trouveront dans l’Évangile même les raisons de leur choix.
De l’action individuelle à l’engagement collectif
Le dialogue avec les familles pourrait être vu comme une seule invitation à la conversion personnelle, individuelle. Que l’on commence par vivre chez soi et autour de soi selon l’Évangile et tout le reste suivra obligatoirement…
Nous constatons qu’il n’en est pas ainsi. D’où l’appel à l’ouverture de la déclaration d’intention propre au mariage catholique : « Je crois que notre amour nous appelle à dépasser notre égoïsme en nous mettant au service des autres dans notre foyer et dans la société, en travaillant avec tous pour plus d'amour, de justice et de paix ».
Un travail de discernement avec d’autres est indispensable pour conduite cette vocation à son terme. Au Prado, nous avons dernièrement rappelé les trois temps d’une présence au monde : méditer, regarder, décider (cf le voir, juger, agir de l’Action catholique).
Conclure
J’espère avoir pédagogiquement formulé la problématique de la décroissance dans une perspective chrétienne. Pour m’en assurer, je propose cette conclusion :
Quand un curé reçoit des personnes en quête de sacrement, il se doit de
- les orienter vers le vécu chrétien au quotidien, lequel est assuré dans la prière
- ouvrir l’Évangile qui parle de vie sobre, pauvre et simple pour ne pas s’embarrasser de biens matériels, obstacles à la rencontre de Dieu Amour. Le paradis.
- indiquer que les sacrements placent sur ce terrain.
- inviter à une réflexion et action avec d’autres dans une perspective d’action collective.