La croissance est un fait total qui englobe toutes les dimensions de notre existence. Alors, disons non à la destruction de toute limite
Somme toute, puisque l’occasion m’est donnée de continuer sur le même thème que les jours précédents, continuons. On ne parlera jamais assez de Décroissance.
Même plus, au regard de la nuit pascale. Le surcroit de grâce est lié à une décroissance totale, absolue. De la sobriété selon l’Evangile à la plénitude de gloire dans la résurrection.
En fait, l’entretien de Vincent Cheynet que je suis heureux de vous partager est, dans l’hebdomadaire de La Vie, sous la rubrique Economie. Il revient à cette science de laisser la place au spirituel.
Vincent Cheynet, après avoir travaillé dans la publicité, a connu un changement de vie radical et a fondé en 1999 l’association et le journal Casseurs de pub. Celui-ci est devenu en 2003 La Décroissance, mensuel indépendant où se croisent la plupart des objecteurs de croissance.
"Promouvoir la décroissance, c’est intégrer les limites"
PROPOS RECUEILLIS PAR MAHAUT HERRMANN
CRÉÉ LE 15/04/2014 / MODIFIÉ LE 17/04/2014 À 15H09
Dans son dernier livre, Décroissance ou Décadence, le journaliste Vincent Cheynet* questionne la volonté de liberté sans limites qui se donne à voir dans nos sociétés. La Vie, qui n’a peur de rien, l’a rencontré à Lyon, où il dirige le mensuel La Décroissance.
La décroissance est la plupart du temps abordée d’un point de vue économique. Dans votre livre, vous la traitez plutôt d’un point de vue anthropologique. Pourquoi ?
Parce que la décroissance soulève d’abord un enjeu anthropologique… Les termes croissance, développement – fût-il « durable »… –, libéralisme, libéral-libertarisme, progrès ou productivisme participent d’une même idéologie : celle de l’illimité. Le philosophe et psychanalyste Cornelius Castoriadis (1922-1997) observait : « On est entré dans une époque d’illimitation dans tous les domaines (…), la société capitaliste aujourd’hui est une société qui à mes yeux court à l’abîme de tous les points de vue, car c’est une société qui ne sait pas s’autolimiter. »
Cela ne touche donc pas que le domaine de l’économie, mais aussi celui de la culture et des mœurs. La croissance est un « fait total » qui englobe toutes les dimensions de notre existence et de notre société. Nous sommes dans des sociétés dont le fondement devient le refoulement, la transgression et la destruction de toute limite. Comme le rappelle le philosophe Jean-Claude Michéa, le libéralisme économique « de droite » et le libéralisme culturel « de gauche » ne s’opposent pas mais font système. Ils sont la même face d’un seul ruban de Möbius (créée par le mathématicien allemand Möbius en 1839, ce ruban fermé ne possède qu’une seule face, ndlr). C’est au nom des mêmes arguments que sont, par exemple, revendiqués le travail le dimanche et la libéralisation de la consommation de drogues. Or, la condition de l’humanité, et celle de la liberté, c’est l’intégration de la limite. La destruction de la nature n’est que la conséquence de cette incapacité à nous en fixer. Conjointement, la déréliction sociale qui en est la conséquence ouvre la voie aux fanatiques et intégristes de tous poils.
Cette analyse est-elle partagée dans les milieux décroissants ?
Pas forcément. La décroissance est une mouvance très diverse, et c’est peu de le dire… Il y a aussi quelques personnes se revendiquant de la décroissance qui en restent à une approche d’écologie scientifique pure. À mon avis, elles passent à côté du cœur de l’enjeu. La décroissance affirme que toute solution passe préalablement par l’affranchissement d’une lecture comptable de la condition humaine. Mais « quand on a un marteau dans la tête, on voit tous les problèmes sous la forme de clous », comme aime à la rappeler l’économiste et objecteur de croissance Serge Latouche. Tous les grands précurseurs de la décroissance : Jacques Ellul, Ivan Illich, Bernard Charbonneau... rappelaient cette condition première.
Vous faites partie des rares écologistes qui ont exprimé leur scepticisme lors du débat sur le mariage entre personnes de même sexe. C’est aussi pour des raisons anthropologiques ?
Ce débat, complexe, a été d’emblée piégé par la logique binaire de l’époque, largement diffusée par les grands médias. En l’occurrence, ou bien on était gay friendly, ou bien homophobe. C’est stupide. Nous pouvons aisément retourner cette rhétorique en affirmant que c’est ce projet qui est, à strictement parler, homophobe, puisqu’il nous fait basculer d’un indispensable droit à la différence à un mortifère « droit au déni de la différence ». Comme s’il fallait qu’une pratique ou un état de fait entre officiellement dans la norme pour être acceptable et accepté… Mais surtout, nous passons de la logique du don à celle d’un « droit à l’enfant ». Il s’agit de faire plier la nature aux désirs et fantasmes des adultes. Nous signifions par là notre incapacité à accepter les limites que nous donne la nature. La loi du mariage pour tous contribue à ouvrir la boîte de Pandore de toutes les revendications qui nous conduisent droit au Meilleur des mondes décrit par Aldous Huxley, où la production des enfants est devenue un processus purement technique répondant aux besoins du moment. La loi du mariage pour tous constitue une clé symbolique vers ce monde déshumanisé. Elle est un pur produit de l’idéologie utilitariste et capitaliste chosifiant la personne et niant ses identités, à commencer par la première d’entre elles, l’identité sexuelle. Cette casse des identités livre la personne en position de proie idéale au marché.
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Retrouvez l'intégralité de cette interview dans l'édition papier de La Vie n° 3581, disponible en kiosque dès le 17 avril ou en version numérique dès le 16 avril après-midi en cliquant ici