Dieu ne serait-il pas plus immanent que transcendant ? Est-il immanent et transcendant ? Je ne sais. Il est Mystère plus que surplombant
La lecture de l’étude de François Euvé, Penser la création comme jeu, modifie l’image que, selon la tradition je me donne de Dieu. Qui est Dieu ? Comment est-il ? Qu’en dire ? Il est évident que de toutes les théologies qui s’efforcent d’élucider la nature divine, je préfère les théologies négatives. On est nettement plus capable d’affirmer ce que Dieu n’est pas que d’expliquer ce qu’il est. Dieu est Mystère. L’homme aussi du reste ; mais Dieu encore plus.
A ce propos de l’inconnaissable, j’ai rencontré à l’Ermitage, un médecin homéopathe qui me fit réfléchir sur l’infini de l’univers. Je souhaite le rencontrer de nouveau, ce qui est possible, car il exerce à deux pas de Saint-Polycarpe à Lyon.
Que la Terre soit limitée qui en douterait, même parmi les plus progressistes des scientistes qui inventent sans cesse une nouvelle technique pour produire encore et encore plus ? Succès de leur opération qui les encourage à dénicher de nouvelles manières d’exploiter la Nature jusqu’en son infini jugé (une croyance) inépuisable.
La Terre manifeste, malgré tout, ses limites. Mais, qu’en est-il de l’univers étoilé, des galaxies, des planètes ? Le ciel a-t-il une frontière ? Non. Alors il est infini. Mais, qu’est-ce que l’absence de fin en présence de corps matériels qui prennent de la place dans l’Espace ? On dit que d’autres systèmes que le solaire existent. Comment expliquer la multiplicité de « corps astraux » qui évoluent harmonieusement au sein d’un sans fin, lieux vides de toutes limites ? Qui peut répondre ? Le vide de limites est quand même très troublant.
Enfin, voilà qui confirme non seulement le mystère du Créateur, à supposer (acte de foi) que ce dieu créant existe, mais aussi le mystère de la création d’un univers qui ne rencontre aucune borne. Jusqu’où ?
Enfin, revenons sur terre.
Jusqu’à maintenant je m’imaginais Dieu sous la forme d’un point, distant de nous, être crées, comme peut l’être la pointe d’une pyramide. De son foyer, il scrute et soutient tout ce qui existe. Image d’un point qui inspire une conception hiérarchisée du monde. La créature est soumise au Créateur qui, de sa hauteur, dirige tout providentiellement. Le soleil tracé sur la pierre des Egyptiens dont les rayons caressent la peau de l’homme renforce cette perception. Il y a aussi l’image biblique : Dieu, comme le soleil, se lève sur les bons et les méchants. Le domaine du haut, le ciel transcendant serait celui de Dieu. Le domaine du bas, celui de l’homme. La séparation est nette. Et tout appartient à Dieu. Cette séparation radicale donne à l’homme l’idée que la nature créée, inférieure, non sacrée, est susceptible de subir toutes les manipulations. Pourquoi ne pas l’exploiter jusqu’à l’infini, surtout quand cela est techniquement possible ? En effet, « le succès de la révolution industrielle s’est fondée sur cette vision d’un monde matériel muet et donc instrumentalisable à loisir »1. Les écologistes ne vibrent pas dans ce sens. Peut-être à cause du Taoïsme imprégnant l’Occident, ils développent un autre sens de l’univers. « Nous autres, écrit François Cheng, qui refusons toute forme de nihilisme, avouons que nous disons oui à l’ordre de la vie. C’est là rejoindre d’une certaine façon, quelles que soient notre éducation et convictions l’intuition du Tao. La Voie, cette gigantesque marche orientée de l’univers vivant, nous montre qu’un Souffle de vie, à partir de Rien, a fait advenir le Tout. Comme le matérialiste pour lequel “il n’y a rien”, nous aussi parlons en effet, de Rien, mais ce Rien signifie le tout… Voilà un mystère qui dépasse notre entendement »2. Dans cette ligne, les écologistes développent « une conception cosmologique, qui a reçu depuis quelques années un important écho, ouvre la voie du dialogue planétaire qui ne concerne pas seulement l’utilité commune mais aussi le sens de l’ensemble. Avec l’idée de la Pacha Mama (Terre Mère), formée par les peuples des Andes, s’affirme la rupture avec la modernité occidentale : la nature n’y ai pas valorisée en fonction de son utilité, mais en tant qu’elle est porteuse de valeurs propres »1. Un artiste chilien me parle souvent de la Pacha Mama. Je n’arrive pas vraiment à adhérer à ses propos tant les formules qu’il emploie me font penser au panthéisme. « Une circulation permanente, écrit F. Euvé, qui tend à l’identification s’établit entre le divin et le monde : “le cosmos, Dieu et les hommes sont tous en étroites relations les uns avec les autres” (F. Capra) »3. « Toute notion de divinité n’est pas niée », mais on refuse « la figure d’un Dieu mécanicien, gouvernant du dehors le monde qu’il a fait. » Telle est mon image du Dieu – point au sommet de la pyramide. « Le renversement de l’image du monde, de la physique classique à la nouvelle physique, entraîne le basculement de l’image de Dieu, d’un Dieu “transcendant” à une Dieu “immanent”. Dieu fait corps avec le monde, dont il est, en quelque sorte, l’âme ».
A l’image d’un Dieu surplombant la terre, ligne droite et verticale, j’imagine désormais un Dieu circulaire, une pensée dynamique qui parcours tout ce qui est. Dialogue certes entre Dieu –Père, Fils, Esprit- mais aussi avec les créatures minérales, végétales, animales et avec tous les astres du cosmos infini. Il n’y a plus “fuite” du temps, mais flux, , à la fois permanent et mobile »4. Un souffle constant entraîne dans son dynamisme circulaire, créateur de liens, tant les êtres inanimés que les vivants d’une vie végétale ou animale, instinctive ou spirituelle. Me vient alors le souvenir du psaume 138 où Dieu chemine à nos côtés :
Tu me scrutes, Seigneur, et tu sais !
Tu sais quand je m’assois, quand je me lève ;
de très loin tu pénètres mes pensées.
Que je marche ou me repose, tu le vois,
tous mes chemins te sont familiers.
Avant qu’un mot ne parvienne à mes lèvres,
déjà, Seigneur, tu le sais
Tu me devances et me poursuis, tu m’enserres,
tu as mis la main sur moi.
Savoir prodigieux qui me dépasse,
hauteur que je ne puis atteindre !
Où donc aller, loin de ton souffle ?
où m’enfuir, loin de ta face ?
Je gravis les cieux : tu es là ;
je descends chez les morts : te voici.
Je prends les ailes de l’aurore
et me pose au-delà des mers :
même là, ta main me conduit,
Ta main droite me saisit.
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1 Hervé Kempf, Fin de l’Occident, naissance du monde, Seuil, 2013, p. 126.
2 François Cheng, Cinq méditations sur la mort, autrement dit sur la vie, Albin Michel, 2013, p. 17-18.
3 François Euvé, Penser la création comme jeu, cerf, 2000, p. 31
4 François Euvé, Penser la création comme jeu, cerf, 2000, p. 30