N’appelez personne “Père”. Qu’avez-vous donc fait de cette parole de Jésus ? Elle a été foulée aux pieds alors qu'elle était très explicite
Une amie m’a passé le livre de Christine Pedotti, Qu’avez-vous fait de Jésus ? Albin Michel, 2019.
Dès la première page, je ne me suis pas vraiment senti à l’aise. Sa façon de s’adresser à « Messieurs les responsables de l’Église catholique » est brutale même si elle explique que sa colère s’adresse plus à une structure qu’à une personne. Pourtant, j’estime que cet ouvrage mérite d’être lu. En effet, je reconnais qu’ayant été formé dans les écoles des Frères des Écoles chrétiennes depuis les 11 - 12 ans jusqu’en première (Saint-Gilles à Moulins ; Godefroy de Bouillon à Clermont-Ferrand), puis, en terminale dans une école de l’Église catholique tenue par des prêtres, La Colombière à Chalon-sur-Saône et étant entré ensuite au séminaire, je suis largement modelé par des Institutions dirigées par des religieux et des prêtres, tous des hommes, des « Messieurs » confiants dans leur responsabilité et pouvoir. Cela ne peut que marquer l’esprit et contenir la pensée dans une certaine façon de voir le monde.
A-t-on vraiment pris conscience du moule dans lequel on a été formé, élevé dans ces pensionnats ? Je me permets de me poser la question me rappelant que nos libertés d’enfants, puis d’adolescents étaient largement encadrées. J’ai le souvenir à Moulins des promenades, en rang par deux, dans la neige jusqu’au terrain de foot au-delà de l’Allier et de la surveillance des frères à la messe où des élèves préféraient lire leur livre de maths plutôt que de suivre la prière. Cela mettait en colère un frère surveillant. Oui, formaté de longue date par un style d’éducation, il est fort probable que nous ne puissions pas réaliser tout le poids d’un système autoritaire. Alors, nous pouvons estimer abusifs les propos de celles et ceux qui interrogent ce système, ces structures. Formé dans un climat clérical, il devient difficile d’admettre que des chrétiens puissent interroger ce qu’ils voient : « Il est terrible d’observer que les meilleurs des hommes se retrouvent ainsi broyés, muselés, paralysés. Ma colère est contre ce système qui étouffe le meilleur de vous-mêmes », explique Christine Pedotti.
Alors, même si je reconnais avoir eu quelques hésitations et peu le désir de lire son texte, je me décide de suivre le cheminement de sa pensée et, au fil des pages, je me dis qu’il est bon que de nombreux « Messieurs les évêques » et « Messieurs les prêtres », notamment parmi les plus jeunes, prennent le temps de s’interroger avec cette autrice sur l’organisation de la structure ecclésiale. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’exprimer en ce lieu, je conçois plus celle-ci sous la forme circulaire d’une assemblée démocratique que sous celle pyramidale d’une monarchie même si la théologie explique que l’Église ne peut être l’émanation de citoyens puisqu’elle est réponse à l’appel de Dieu.
En un mot, pour clore cette réflexion, je remercie mon amie qui me donna à lire cette suite d’interrogations sur le fonctionnement de l’Église. Les problèmes de pédophilie (affaire Barbarin) ouvrent la lecture avec le chapitre « de la crise ».
Pour alimenter mon invitation à entrer dans le processus de l’acceptation qu’il y a un réel problème dans la vie de l’Église gérée par trop de clercs, je recopie le passage où Christine Pedotti rappelle que l’Évangile dit de n’appeler personne « Père ». Et je note l’engagement de François, évêque de Rome qui vient de nommer Sœur Nathalie Becquart qui sera la première femme à rejoindre de manière stable le Synode des évêques.
Christine Pedotti, page 49 :
« Pour vous, ne vous faites pas appeler "Rabbi" : car vous n'avez qu'un Maître, et tous vous êtes des frères. N'appelez personne votre "Père" sur la terre : car vous n'en avez qu'un, le Père céleste. » Évangile de Matthieu 23,8-9.
Rappelez-vous, « Messeigneurs », ces mots sont de Jésus lui-même. Le ton général n'est pas aimable. Toute l'hypocrisie des prétendus spécialistes de la religion est ici pointée : ceux qui disent, mais ne font pas ; ceux qui font porter aux autres les fardeaux... Il y a en un chapitre entier qui est sans doute l'un des plus tranchants de tous les Évangiles, scandés par des « Malheur à vous » et qui s'achève par ce qu'on est obligé de considérer comme des insultes : « Serpents, engeance de vipère... » On a vu plus doux et plus pacifique. Cette « sainte » colère de Jésus commence donc par l'interdiction formelle de donner à qui ce soit le titre de « père », « maître » ou « seigneur ». Vous le savez bien, et cela a dû plusieurs fois vous mettre mal à l'aise, avouez-le : il est rare que Jésus ordonne ou interdise des paroles ou des actes précis. En général ce qui lui importe, c'est l'intention, l'attitude intérieure des gens. Mais là, il est très clair : un être humain ne peut employer ces mots-là, car ils le mettent en porte-à-faux vis-à-vis de l'autre ainsi nommé. On sent bien qu'il y a là un lien avec l'essence du monothéisme juif, c'est-à-dire le refus de l'idolâtrie : «... Car vous n'avez qu'un Père. »
Eh bien, convenez-en : la verve de Jésus rapportée par l'écrivain évangélique n'a pas été suffisamment explicite, si l'on se rapporte à la pratique en usage dans le catholicisme, à votre pratique. En haut de la pyramide hiérarchique, se trouve le pape, dont le nom signifie bien « père » et que d'ailleurs on désigne aussi comme « Saint Père ». Puis viennent les évêques, les « seigneurs » que l'on nomme comme tels « Monseigneur », et enfin les prêtres, désignés comme « père Dupont » ou « Monsieur l'abbé Dupont », ou par le mot « abbé » qui vient bien de Ma et qui désigne le père.
Qu'avez-vous donc fait de cette parole de Jésus ? Non seulement elle a été foulée aux pieds alors qu'elle était très explicite, mais la « paternité », symbolique ou spirituelle, est devenue l'un des grands motifs de la spiritualité du monde sacerdotal. Vous me répondrez qu'après tout ce n'est pas bien grave, qu'il n'y a là qu'une question de terminologie, c'est l'usage depuis des siècles, et il a peu de conséquences. Non, Messieurs, vous faites erreur : d'une part, on se demande bien pourquoi cette injonction formelle serait sans problème sujette à transgression alors qu'à partir d'autres paroles, beaucoup moins évidentes de Jésus, vous avez déduit des interdictions absolues, éternelles, intouchables - par exemple celle du divorce. D’autre part, et surtout, si vous vous souvenez des quelques notions basiques de psychanalyse qu’on vous a enseigné au séminaire, vous êtes obligés de convenir que ce vocabulaire ambigu n’est peut-être pas sans lien avec cette culture de l’abus » que dénonce Fançois.