Interprétons à nouveaux frais Vatican I. Reformulons les déclarations sur l’infaillibilité pontificale et la primauté de juridiction du pape
Le pape François et vingt responsables des Églises chrétiennes bénissent des fidèles, le 30 septembre 2023 au Vatican.
Je ne sais pas depuis quand, pour la prière eucharistique, je ne prononce plus le mot « pape » mais parle, à la place, de l’évêque de Rome.
Affermis ton Église, en pèlerinage sur la terre, dans la foi et la charité, en union avec ton serviteur, l’évêque de Rome, François., notre évêque Olivier, l’ensemble des évêques, les prêtres, les diacres, (j’ajoute) les laïcs en mission ecclésiale, les personnes consacrées et tout le peuple que tu as rachetés.
Il me semble en effet, très important de ne pas signaler le successeur de Pierre dans un primat qui le situerait au sommet d’une pyramide comme pourrait le faire penser le mot « pape » des catholiques. Ce pape couronné d’une tiare qui serait au-dessus de tous les empereurs, de tous les rois.
Autrement dit, j’estime vraiment regrettable que les prêtres continuent à parler du pape ; mais ils sont respectueux du droit catholique (canonique, liturgique) qui a ainsi constitué la prière eucharistique : ensuite, les mains étendues, il (le prêtre) dit : en union avec ton serviteur notre pape…
De même, en pensant à l’annonce de l’Évangile à tous les hommes, toutes les femmes qui vivent sur cette Terre, la Maison commune à tous et toutes, je trouve éminemment regrettable que les responsables des Églises choisissent des vêtements, des coiffures qui datent d’autres siècles, peut-être du XVIe ou du XVIIe pour les plus récents. Pourquoi voulons-nous oublier la Lettre à Diognète : « Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les coutumes… Ils habitent les cités grecques et les cités barbares suivant le destin de chacun ; ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et le reste de l’existence ».
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Ceci dit, j’aborde la semaine de l’unité des chrétiens 2025, avec plus d’engagement personnel que les années précédentes. Cela est dû à la lecture avec des amis de l’ouvrage de Christoph Theobald, Le courage de penser l’avenir. Nous en sommes au chapitre XXI : Que nous est-il permis d’espérer ? L’œcuméniste : un seuil à franchir. Voir ici.
Et également ici. L’unité chrétienne, non derrière mais devant nous, nécessite le courage de se laisser imprégner de l’avis de l’autre pour une sagesse commune.
Je place ci-dessous, en fichier joint, le chapitre XXI de cette étude. QUE NOUS EST-IL PERMIS D’ESPÉRER ? L'œcuménisme : un seuil à franchir.
Enfin, pour alimenter cette étude, je suis heureux de donner à lire l’article rédigée par Gonzague de Pontac qui me semble bien présenté l’essentiel de la réflexion.
Longtemps un obstacle pour les autres Églises chrétiennes, la primauté du pape semble aujourd’hui un sujet théologique apaisé.
En pratique, cette aspiration est loin d’être partagé par tous.
Œcuménisme : 1 700 ans après Nicée, les chrétiens jamais aussi près de l’unité ?
La scène est inédite. Sous le soleil romain, vingt responsables des principales Églises chrétiennes bénissent ensemble une foule de 18 000 fidèles rassemblés sur la place Saint-Pierre, au Vatican. Au milieu d’eux, le pape François, hôte de cette veillée œcuménique historique, organisée le 30 septembre 2023 à quelques jours de l’ouverture du Synode sur la synodalité. Pour frère Matthew, actuel prieur de la communauté œcuménique de Taizé, aux manettes de l’événement, cette image de l’évêque de Rome « présidant dans la charité » (l’expression est d’Ignace d’Antioche) est le meilleur symbole de l’effort œcuménique accompli ces dernières décennies.
Que de chemin parcouru, de fait, depuis le concile Vatican II, au lendemain duquel le pape Paul VI déplorait que la figure du pape demeure « l’obstacle le plus grave sur la route de l’œcuménisme ». Aujourd’hui, la question de la primauté dans l’Église semble devenue un sujet de dialogue, voire de créativité théologique, largement apaisé.
En témoigne le document L’Évêque de Rome, publié en juin 2024 par le dicastère pour la promotion de l’unité des chrétiens. Il s’agit d’une synthèse des récents développements œcuméniques sur ce thème, répondant à l’invitation adressée par Jean-Paul II, il y a trente ans, à trouver, « évidemment ensemble », les formes dans lesquelles le ministère de l’évêque de Rome « pourra réaliser un service d’amour reconnu par les uns et les autres » (Ut unum sint, 1995) .
Le grand intérêt de ce « document d’étude », commente son architecte, le père Hyacinthe Destivelle, official du dicastère pour la promotion de l’unité des chrétiens, est de « remettre en perspective certaines oppositions anciennes (entre autres sur l’interprétation du rôle de l’Apôtre Pierre ou sur l’infaillibilité pontificale) et de proposer un modèle différent de la primauté, conçue comme un ministère d’unité ». On pourrait ainsi distinguer chez le pape son rôle à la tête de l’Église latine et, au niveau universel, de primat au service de l’unité de toutes les Églises.
La base n’est pas prête
Le dialogue théologique semble donc arrivé à un point de maturité. « La primauté comme service d’unité est acceptée par la très grande majorité des Églises, y compris russe », abonde le dominicain. Une convergence saluée également par la plupart des interlocuteurs d’autres Églises chrétiennes contactés par La Croix.
Mais qu’en est-il en pratique ? Parmi les fidèles orthodoxes, il y a un grand effort éducatif à accomplir, estime un bon connaisseur de l’orthodoxie, faisant le constat qu’ils « ne ressentent pas trop le besoin d’une représentation universelle » et ont une image de l’Église catholique romaine, et donc du pape, « très dégradée ». En cause, des siècles de contentieux : croisades, prosélytisme romain… « Beaucoup de saints orthodoxes sont cités au calendrier comme ‘’morts martyrs de la main des catholiques” », ajoute la même source.
Du côté des protestants, ce n’est pas non plus une évidence : « Je ne rêve pas forcément d’une personne qui parle au nom de tous les chrétiens », réagit ainsi la pasteure Jane Stranz, longtemps engagée au Conseil œcuménique des Églises. Un sentiment partagé, selon elle, par de nombreux protestants. La pasteure aspire à un œcuménisme qui ne soit pas « décrété d’en haut », avec le risque, de la part de chaque Église, de vouloir tirer la couverture à soi. En faveur du rôle de « serviteur de l’unité » que le pape pourrait jouer, elle cite néanmoins Laudato si’, l’encyclique papale de 2015 sur l’écologie : « Sans cela, nous n’en serions pas là aujourd’hui, y compris dans les autres Églises chrétiennes, pourtant pionnières sur ces questions. » Elle pointe également un angle mort du document romain : la quasi-absence des mouvements pentecôtistes, pourtant en très forte croissance dans le monde.
La force du document, défend le père Destivelle, est de situer la question de la primauté (faut-il un « premier » ? qui ? sous quelle forme ?) dans le cadre plus large de la synodalité : « Vatican I insistait sur la primauté, Vatican II a complété par la collégialité des évêques, maintenant on articule ces deux principes avec la dimension communautaire fondée sur le baptême. » Une articulation qui se vérifie d’ailleurs « à tous les niveaux », aussi bien universel que local et régional. « On ne peut être le premier que d’un groupe, et tout groupe nécessite une organisation et donc un principe d’unité », résume Mgr Job Getcha, métropolite orthodoxe de Pisidie et coprésident de la commission pour le dialogue théologique entre l’Église catholique romaine et l’Église orthodoxe.
Réinterpréter Vatican I ?
Pour avancer concrètement vers l’unité, le document romain envisage plusieurs pistes. La première serait d’interpréter à nouveaux frais Vatican I, en contextualisant voire en reformulant ses déclarations les plus litigieuses (sur l’infaillibilité pontificale et la primauté de juridiction du pape). « Ce serait une avancée considérable », pointe le pasteur André Birmelé, théologien luthérien très engagé dans le mouvement œcuménique, qui anticipe la probable résistance des milieux conservateurs catholiques.
Parmi les autres pistes, le document évoque un exercice « différencié » de la primauté – actuellement déjà, le pape nomme directement la plupart des évêques, mais « confirme » les Orientaux. Il met aussi en avant comme clé de l’unité une plus grande synodalité, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’Église. « C’est d’abord à l’aune de sa pratique en interne que sera jugée la crédibilité de l’Église catholique », appuie le père Destivelle. Mgr Getcha, « délégué fraternel » au Synode sur la synodalité, salue la manière qu’a eue l’Église catholique d’impliquer les diocèses et les communautés locales dans ce processus. Une expérience dont les orthodoxes pourraient bien « s’inspirer ».
Le pape François, figure visible de l’unité
Mais c’est peut-être la synodalité ad extra, déjà partiellement à l’œuvre, qui marque le plus les esprits. Les voyages communs du pape François, avec le patriarche œcuménique Bartholomée à Lesbos en 2016, ou avec l’ancien primat de l’Église d’Angleterre Justin Welby au Soudan en 2023, en sont des illustrations récentes.
Selon le père Destivelle, une majorité d’églises seraient prêtes à voir dans l’évêque de Rome, au fond, « une force d’initiative, de coordination, voire de résolution des conflits ». « La mondialisation et la communication numérique favorisent certainement l’identification des chrétiens de diverses traditions à un leader unique », ajoute un observateur. Prochaine étape ? Peut-être la tenue d’un « synode œcuménique sur l’évangélisation », envisagé par le document final du Synode sur la synodalité.
En attendant, les chrétiens commémoreront en 2025 les 1 700 ans du concile de Nicée (aujourd’hui Iznik, en Turquie), le premier concile œcuménique universel. Le pape devrait s’y rendre à l’invitation du patriarche Bartholomée pour une grande prière œcuménique. Le concile de Nicée avait voulu faire l’unité de l’Église par une même profession de foi (le Credo) et la célébration de Pâques à une date commune. Hasard du calendrier ou providence, Pâques tombera cette année le même jour pour tous les chrétiens.
Gonzague de Pontac, La Croix, 20/01/2025
Ch. Theobald, Le courage de penser l'avenir, ch XXI, Que nous est-il permis d'espérer ?