Tentation

Publié le par Michel Durand

Jacques Ellul est de religion protestante. Cela se ressent dans sa façon de parler de l’homme. Déjà nous avons perçu la conception calviniste (seule la grâce peut sauver, l’homme à cause du péché originel, ne peut rien) dans la phrase citée hier : « il est bon que l’homme organise le monde, mais c’est le monde de la chute ».
Ainsi, devant la tentation de l’enrichissement, l’homme ne peut que succomber.

L’intérêt de lire Jacques Ellul, c’est qu’il se fait critique de toutes habitudes de pensée et il pose bien les questions. C’est du moins ce que je pense en vous donnant à lire ces divers textes.


La tentation de travailler plus pour gagner plus.
Tentation de la richesse.


La possession des grands biens est identique dans l'Ecriture, qu'elle soit le fait d'un seul ou de tous, et ses dangers restent identiques.
Elle est, de toute façon, une tentation. Non pas le mal par elle-même, mais une tentation. Et n'oublions jamais ce que peut être la tentation lorsqu'on l'inscrit dans le contexte de la chute. On peut dire qu'il n'y a eu qu'une tentation à l'état pur, celle d'Adam. Mais depuis, la tentation est assortie d'une puissance extraordinaire par le fait de la chute. L'homme, étant donné sa nature, n'est pas intègre devant la tentation ; il doit normalement y succomber car il participe du mal, et n'a pas de force en lui-même pour résister. Parce qu'il est soumis à la loi de la chute, l'homme est tel maintenant qu'il tombe chaque fois, comme en vertu d'une loi de pesanteur spirituelle. Donc, dire que la richesse est une tentation, c'est dire qu'elle n'est pas neutre. Elle est en relation avec l'homme et cette relation ne manifeste pas du tout la grande spiritualité, la grande valeur de l'homme, bien au contraire. Elle manifeste sa propension au mal, la richesse est occasion de chute. Nous avons à cet égard deux indications:
Tout d'abord la richesse est tentation parce que l'homme est poussé à mettre sa confiance dans la fortune plutôt qu'en Dieu. C'est là un thème bien connu et qui se retrouve dans le Nouveau Testament. Il est inutile d'y insister car c'est une vérité d'évidence et générale : celui qui dispose d'une puissance quelconque a pour tendance de rapporter à cette puissance son amour, son espérance, sa sécurité. Car l'homme préfère ce qu'il voit et ce qu'il tient à ce que Dieu promet et donne (cf Ps XLIX, 7; Ps LlI, 9; Ps LXlI, 11). Et il semble bien que l'homme ne puisse pas faire autrement. En possession de la fortune, de l'argent, des biens quels qu'ils soient, l'homme s'installe et dit: « Mon âme, réjouis-toi, car tu as de grands biens.» Il est presque impossible de rester juste en ayant de grands biens. Juste, c'est-à-dire totalement attaché à l'action de Dieu.
Bien plus, l'abondance matérielle conduit l'homme à défier Dieu. Non seulement à le méconnaître, mais à le renier. Tel est le deuxième aspect de la tentation : « Ne me donne pas la richesse ... de peur que dans l'abondance je ne te renie et ne dise : Qui est l'Éternel?» (Pr xxx, 8). Quand l'homme est rassasié, son cœur s'enfle d'orgueil (Os XIII, 6). Il suffit de se rappeler cette longue plainte de Dieu vers le prince de Tyr rapportée par Ézéchiel.
Dieu donne cette richesse de la création et voici que l’homme s’en empare, en fait sa chose ; au lieu de rendre gloire, il se glorifie 1ui-même ; à l'abri de sa richesse l'homme se prend très vite pour Dieu. C'est ce que nous voyons aujourd'hui très exactement dans l'éclat du développement économique. Il y a de telles richesses par le monde que même le pauvre participe aujourd'hui de l'état d'esprit du riche. Chacun de nous dit dans le fond de son cœur : « Qui est comparable à l'homme ? Il a dominé les forces de la Nature, il a accumulé les richesses et fait produire tout ce qui était possible. L'homme est riche. Et même si moi, je ne le suis pas, néanmoins je mériterais de l'être, car je suis un homme, et qui est comparable à moi ?» Telle est la grande tentation qui permet à l'homme de se moquer de Dieu, aujourd'hui, comme au temps des Prophètes. Et d'ailleurs qu'est-ce que l'homme aurait encore à faire de Dieu, puisque non seulement il a la puissance mais arrivé à ce stade, il prétend de plus avoir la justice : « Ephraïm dit : A la vérité, je me suis enrichi ; j'ai acquis de grands biens ; mais c'est entièrement le produit de mon travail. On ne trouvera chez moi aucune iniquité, rien qui soit un crime» (Os XII, 9). Le brave honnête homme, grand travailleur : c'est l'argument même de notre civilisation ; toute cette richesse que nous voyons autour de nous, elle est simplement le fruit du travail des hommes. Le seul débat entre capitalistes et communistes est de savoir à qui cette richesse appartiendra. Mais personne ne se demande si elle est juste ; car aux yeux de tous, l'homme qui a travaillé est juste.

Publié dans Anthropologie

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