Vie sobre, pauvreté volontaire

Publié le par Michel Durand

Quel modèle de Société pourrions-nous observer afin de trouver une alternative à la surconsommation propre au régime néolibérale ?

L'exemple du M'Zab.

Je pense que la civilisation ibadite telle qu'on l'observe encore dans le M ‘Zab apporte quelques réponses. Mais, qui va suivre ce modèle traditionnel ? Les ibadites eux-mêmes, selon ce qu'ils disent, s'en détachent de plus en plus. Sous la pression de la mondialisation, comment seront les lendemains des sociétés volontairement et traditionnellement sobres ?


L'emprunte du désert sur les modes de vie sobres

Vous allez me dire, et vous aurez raison, que ma quête de modes de vie sobre, simple, pauvre vire à l'obsession. Tout ce que je vois depuis mon observatoire occidental devient objet d'analyse pour alimenter mes réflexions sur l'objection de croissance. Obsession !

Il y a deux ans, suite à un voyage au nord du Burkina-Fasso, dans un Sahel peuplé entre autres de Touaregs, je me laissais impressionner par la vie des nomades. Des articles du mensuel Confluences en rendirent compte.

Aujourd'hui, après un séjour à Béni-Isguen, chez les Ibadites, musulmans du M'Zab, je reste sous le charme d'un mode de vie qui se refuse à étaler ses richesses. Je crois en avoir déjà parlé. Cette non-ostentation de l'argent se constate à travers la façon dont les maisons sont construites et dans la vie de tous les jours. Les Mozabites, tout en étant au contact de l'Occident, conservent leurs habitudes de modération. Pourtant, les tentations se font vives. Déjà, vers 1960, on redoutait la disparition de cette culture. Mouloud Mammeri écrivait, soulignant la volonté séculaire de ce peuple de demeurer fidèle aux profondes et exigeantes valeurs essentielles de leur spiritualité :

« De plus en plus des voix s'élèvent par-delà les régimes et les idéologies pour crier gare à des hommes emportés par l'élan d'un progrès et d'une technique qu'ils contrôlent de moins en moins. De plus en plus en plus l'homme perd le contact de la nature, les espaces verts cèdent devant la ville envahissante... Notre science chaque jour plus précise et plus puissante, sous couleur d'humaniser le paysage, en fait une image de cauchemar ; rien de plus inhumain que la nature humanisée par nos machines...

Des architectes sortis des villes les plus savantes, les plus sophistiquées, jamais construites de mémoire de civilisation, se sont trouvés, divine surprise, conquis par la soudaine apparition de cinq petites citées incrustées de main d'homme et à sa hauteur, le long d'une simple vallée perdue dans l'immensité d'un désert où rien ne semblait devoir les attirer.

A des fugitifs (les Ibadites) qui jugeait préférable de renoncer à la douceur de vivre plutôt qu'à des principes de vie, le désert aride apparemment ne pouvait offrir que la douceur d'une tombe, et voilà qu'il fut leur berceau. Pendant plusieurs siècles, les Mozabites ont mené une vie recluse, mais recluse sur l'essentiel, et Le Corbusier visitant la Chebka reçut comme un choc la révélation qu'une vérité cachée mais vitale était enfouie dans la pierre...

Il y a l'unité de Dieu, et dans la pierre le Mozabite inscrit le rapport qui le lie au principe qui fonde toutes les valeurs et en qui se fondent toutes les oppositions. Dominant la tourbe serrée des maisons basses, comme plus arasées d'être couvertes d'une terrasse, le minaret de mosquée (sans aucun décor), souvent unique, s'étire comme l'élan vers le ciel et la tension de l'Absolu.

Je vois bien que tout cela est menacé. Cinq petits bourgs lovés au fond d'une vallée qui n'était perdue qu'au temps des caravanes, ne sauraient résister au poids, aux tentations et souvent aux nécessité d'une civilisation devenue planétaire. Les Mozabites eux-mêmes ont hâte de changer tout cela ; ils changeront, c'est sûr. Il reste à espérer que, sous couvert des changements de surface, ils demeurent fidèles à une vocation déjà éprouvée. »

Plus de 40 ans après, je peux témoigner que dans les changements indispensables vers plus de confort au quotidien, l'essentiel des valeurs fondamentales est bien conservé. Certes, tout n'est pas sans problème. Par exemple, la position sociale de la femme ; la vision théocratique de la vie sociale. .. Mais, regarder de près ces modes de vie demeure un enseignement qu'Occidentaux nous pouvons (nous devrions) recevoir.

La volonté de ne pas écraser son voisin par un éventuel étalage de richesses structures encore la société ibadite. Il suffit pour le constater de demander les règles de construction, de voisinage. Quand cela n'est pas respecté, des « sages de la mosquée » le font savoir et il y a débat.

Pourquoi cela ne continuerait-il pas ? Pourquoi ne pourrions-nous pas en tirer profit ? Une invitation originale à la vie sobre.

A suivre...


Publié dans Anthropologie

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