Petits pays, premiers exemples de sociétés post-capitalistes
Samedi j'écrivais : « Comme j'ai l'habitude de le dire, et je le redirai, le témoignage d'une vie simple ou l'essentiel est donné, une vie au ras d'un sol qui
s'étend à perte de vue, m'est devenu vital. »
J'ai entendu sur France-Inter l'entretient avec Jean-Claude William et peu de temps après un correspondant me communique le Manifeste pour les "produits" de haute nécessité ; mardi 17 février
2009.
Des propos à mettre dans le dossier "Chrétiens et pic de pétrole".
Neuf intellectuels antillais, Ernest Breleur, Patrick Chamoiseau, Serge Domi, Gérard Delver, Edouard Glissant, Guillaume Pigeard de Gurbert, Olivier Portecop, Olivier Pulvar, Jean-Claude William ont rédigé ce manifeste.
En voici quelques extraits :
Dès lors, derrière le prosaïque du "pouvoir d'achat" ou du "panier de la ménagère", se profile l'essentiel qui nous manque et
qui donne du sens à l'existence, à savoir : le poétique. Toute vie humaine un peu équilibrée s'articule entre, d'un côté, les nécessités immédiates du boire-survivre-manger (en clair : le
prosaïque) ; et, de l'autre, l'aspiration à un épanouissement de soi, là où la nourriture est de dignité, d'honneur, de musique, de chants, de sports, de danses, de lectures, de philosophie, de
spiritualité, d'amour, de temps libre affecté à l'accomplissement du grand désir intime (en clair : le poétique). Comme le propose Edgar Morin, le vivre-pour-vivre, tout comme le vivre-pour-soi
n'ouvrent à aucune plénitude sans le donner-à-vivre à ce que nous aimons, à ceux que nous aimons, aux impossibles et aux dépassements auxquels nous aspirons.
La "hausse des prix" ou "la vie chère" ne sont pas de petits diables-ziguidi qui surgissent devant nous en cruauté spontanée, ou de la seule cuisse de quelques purs békés. Ce sont les résultantes
d'une dentition de système où règne le dogme du libéralisme économique. Ce dernier s'est emparé de la planète, il pèse sur la totalité des peuples, et il préside dans tous les imaginaires - non à
une épuration ethnique, mais bien à une sorte "d'épuration éthique 1" (entendre : désenchantement, désacralisation, désymbolisation, déconstruction même) de tout le fait humain. Ce système a
confiné nos existences dans des individuations égoïstes qui vous suppriment tout horizon et vous condamnent à deux misères profondes : être "consommateur" ou bien être "producteur". Le
consommateur ne travaillant que pour consommer ce que produit sa force de travail devenue marchandise ; et le producteur réduisant sa production à l'unique perspective de profits sans limites
pour des consommations fantasmées sans limites. L'ensemble ouvre à cette socialisation anti-sociale, dont parlait André Gorz, et où l'économique devient ainsi sa propre finalité et déserte tout
le reste. Alors, quand le "prosaïque" n'ouvre pas aux élévations du " poétique ", quand il devient sa propre finalité et se consume ainsi, nous avons tendance à croire que les aspirations de
notre vie, et son besoin de sens, peuvent se loger dans ces codes-barres que sont "le pouvoir d'achat" ou "le panier de la ménagère". Et pire : nous finissons par penser que la gestion vertueuse
des misères les plus intolérables relève d'une politique humaine ou progressiste. Il est donc urgent d'escorter les "produits de premières nécessités", d'une autre catégorie de denrées ou de
facteurs qui relèveraient résolument d'une "haute nécessité". Par cette idée de "haute nécessité", nous appelons à prendre conscience du poétique déjà en œuvre dans un mouvement qui, au-delà du
pouvoir d'achat, relève d'une exigence existentielle réelle, d'un appel très profond au plus noble de la vie.
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La haute nécessité est de tenter tout de suite de jeter les bases d'une société non économique, où l'idée de développement à croissance continuelle serait écartée au profit de celle
d'épanouissement ; où emploi, salaire, consommation et production serait des lieux de création de soi et de parachèvement de l'humain.
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On ne peut vaincre ni dépasser le prosaïque en demeurant dans la caverne du prosaïque, il faut ouvrir en poétique, en décroissance et en sobriété. Rien de ces institutions si arrogantes et
puissantes aujourd'hui (banques, firmes transnationales, grandes surfaces, entrepreneurs de santé, téléphonie mobile...) ne sauraient ni ne pourraient y résister.
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NOUS APPELONS À UNE HAUTE POLITIQUE, À UN ART POLITIQUE
Nous appelons donc à ces utopies où le Politique ne serait pas réduit à la gestion des misères inadmissibles ni à la régulation des sauvageries du "Marché", mais où il retrouverait son essence au
service de tout ce qui confère une âme au prosaïque en le dépassant ou en l'instrumentalisant de la manière la plus étroite.
Nous appelons à une haute politique, à un art politique, qui installe l'individu, sa relation à l'Autre, au centre d'un projet commun où règne ce que la vie a de plus exigeant, de plus intense et
de plus éclatant, et donc de plus sensible à la beauté.
Ainsi, chers compatriotes, en nous débarrassant des archaïsmes coloniaux, de la dépendance et de l'assistanat, en nous inscrivant résolument dans l'épanouissement écologique de nos pays et du
monde à venir, en contestant la violence économique et le système marchand, nous naîtrons au monde avec une visibilité levée du post-capitalisme et d'un rapport écologique global aux équilibres
de la planète...
Alors voici notre vision : Petits pays, soudain au cœur nouveau du monde, soudain immenses d'être les premiers exemples de sociétés post-capitalistes, capables de mettre en œuvre un
épanouissement humain qui s'inscrit dans l'horizontale plénitude du vivant...
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