La Cimade espère toujours conserver sa mission dans les centres de rétention
Une information à associer à la tenue des « cercles de silence ».
- Le Conseil d'État examine aujourd'hui un recours en référé contre le décret du ministère de l'immigration qui remet en cause la mission de la Cimade
Après des mois de bras de fer avec le gouvernement, la Cimade (service œcuménique d'entraide) veut encore y croire. Le Conseil d'État examine aujourd'hui en référé une demande de suspension d'un décret qui réorganise la présence associative dans les centres de rétention où sont placés les étrangers en attente d'expulsion.
Ce texte date du mois d'août 2008. Les associations ont depuis bataillé à coups de pétitions, de courriers au gouvernement et de recours devant le juge administratif pour obtenir l'annulation de
ce décret qui introduit de la concurrence entre associations et même avec d'éventuelles entreprises privées. En octobre, le juge avait donné en partie raison à la Cimade, en censurant l'appel
d'offres lancé par le gouvernement. Mais le ministère de l'immigration n'a pas cédé et il a publié, en décembre, un nouvel appel d'offres qui divise les centres de rétention en huit « lots »
géographiques. Plusieurs organismes ont déposé leur dossier de candidature avant la date limite qui était fixée au 10 février (lire La Croix du 26 janvier).
En principe, il ne reste maintenant plus au gouvernement qu'à décider de l'attribution des lots. Pourtant, la Cimade, ainsi que les neuf autres associations qui ont introduit le recours (Secours
catholique, Acat, Ligue des droits de l'homme...) veulent croire que tout peut encore basculer. Tout d'abord, le Conseil d'État a inscrit prestement le nouveau recours, introduit le 6 février, à
son agenda chargé, et c'est le président de la section du contentieux lui-même qui doit présider l'audience de cet après-midi. Signe que la haute juridiction prend l'affaire très au sérieux.
Ensuite, une suspension du décret pourrait bien servir de prétexte au ministre de l'immigration, Éric Besson, pour reprendre à zéro le dossier. Les relations du monde associatif avec son
prédécesseur, Brice Hortefeux, s'étaient vite dégradées. Nommé en janvier dernier, Éric Besson a exprimé le désir de renouer des relations sereines avec les associations « de bonne foi ». Il y a
quelques jours, lors d'une visite à la préfecture de police de Paris, Éric Besson avait ainsi lâché cette petite phrase à l'attention des fonctionnaires qui luttent contre l'immigration
clandestine : « Je vous invite donc instamment à entretenir les meilleures relations avec les associations les plus sérieuses et les plus reconnues qui sont souvent à l'initiative des démarches
engagées auprès des services de police ou de gendarmerie. » Une suspension du décret, aujourd'hui, ne serait donc pas une mauvaise nouvelle pour le ministre, qui a reçu la semaine dernière la
Cimade.
Sur le plan juridique, le recours en référé repose sur des motifs de forme (le texte n'aurait pas été signé par l'ensemble des ministres chargés de son exécution...) et surtout de fond. Les dix
associations estiment que le décret « porte atteinte à la mission d'information et de soutien » des étrangers en organisant son démantèlement. « Les étrangers sont souvent conduits dans des
centres éloignés de leur domicile, ils sont transférés d'un endroit à l'autre, explique Laurent Giovannoni, le secrétaire général de la Cimade. Diviser les centres de rétention en lots
empêcherait toute coordination, toute vision d'ensemble. » La Cimade qui s'était dite favorable à une collaboration avec d'autres associations avait proposé, en vain, à Brice Hortefeux de
s'associer avec le Secours catholique ou d'autres partenaires dans le cadre d'un regroupement au plan national.
GORCE Bernard
Le collectif Alerte demande le respect de l'accueil inconditionnel
Le collectif Alerte, qui regroupe la plupart des associations de lutte contre la pauvreté, a demandé, vendredi, que « soit respecté l'accueil inconditionnel dans les centres d'hébergement d'urgence ». Cet appel fait suite à la perquisition menée mardi dernier par la police aux frontières dans la communauté Emmaüs de Marseille Pointe-Rouge, après l'interpellation d'un sans-papiers qu'elle hébergeait (lire La Croix du 20 février). Le responsable du centre marseillais avait été placé en garde à vue pendant six heures.
Lire aussi dans la Croix du 20 février :
Les sans-papiers ne sont plus en paix chez Emmaüs.
Les Compagnons d'Emmaüs n'avaient jamais vu cela. Lundi dernier, les services de police de Marseille ont perquisitionné, sur ordre du procureur, la communauté Pointe-Rouge, du nom d'un quartier de la cité phocéenne. Les fonctionnaires ont saisi des documents relatifs aux identités des compagnons, des responsables du centre, ainsi que des documents comptables. Pendant une dizaine d'heures, le responsable de la communauté a ensuite été placé en garde à vue.
À l'origine, l'interpellation d'un compagnon de nationalité étrangère en situation irrégulière, ensuite placé en centre de rétention. De telles interpellations ne sont pas rares, car toutes les communautés Emmaüs accueillent des personnes déboutées du droit d'asile ou en phase de régularisation. Mais jamais elles ne débouchent sur une perquisition. « Les Compagnons d'Emmaüs ne cachent personne, rappelle Christophe Deltombe, président d'Emmaüs France. Nous accueillons tout le monde de manière inconditionnelle, c'est-à-dire qu'on ne demande pas ses papiers à un compagnon. Mais nous tenons des registres de police à jour que les autorités peuvent consulter à tout moment », précise cet avocat qui a tenté de joindre, sans résultat, le procureur de Marseille.
À la fin de l'été 2007, une trentaine de gendarmes s'étaient présentés à l'aube au centre Emmaüs de Foulain (Haute-Marne), pour interpeller deux compagnons africains, un Ukrainien et un Arménien. Quelques semaines plus tard, lors de l'examen de la loi Hortefeux au Parlement, le député UMP Thierry Mariani avait tenté de faire passer un amendement qui remettait en cause le droit à l'hébergement pour les étrangers en situation irrégulière. Mais, à la suite de ces alertes, le président de la République avait, dans un discours au Conseil économique et social, réaffirmé le principe de l'accueil inconditionnel. « Quand quelqu'un est à la rue, qu'il est dans une situation d'urgence et de détresse, on ne va tout de même pas lui demander ses papiers ! », avait alors déclaré Nicolas Sarkozy.
Coïncidence ou pas, l'affaire de Marseille tombe en même temps que l'arrestation d'un compagnon à Auxerre, dans l'Yonne. Helder Dos Santos, citoyen angolais sans papiers, s'est rendu dans les locaux de la caisse primaire d'assurance-maladie (Cpam) pour bénéficier de l'aide médicale d'État (AME). L'agent de la Sécurité sociale le fait patienter puis, une demi-heure plus tard, les gendarmes viennent l'interpeller. « Helder vivait depuis plusieurs mois avec nous, témoigne Grégor Seurre, responsable de la communauté de Pontigny. Il a perdu une jambe dans son pays et suit un traitement médical lourd. » Le responsable dénonce la pratique de « délation » de la caisse primaire. Transféré dans un centre de rétention de la région parisienne, Helder Dos Santos a, depuis, été remis en liberté. Le juge des libertés a reconnu que son état de santé ne permet pas son expulsion. Au-delà de ce cas, le président d'Emmaüs dénonce un risque de remise en cause de la neutralité de certains espaces du territoire. « Il est intolérable que l'on puisse arrêter des gens dans les écoles, dans les hôpitaux ou dans des centres d'hébergement, s'indigne-t-il. Dans nos communautés, nous accueillons les plus pauvres, les plus fragilisés. Ce sont les derniers lieux qui leur restent. Si, même là, ils ne sont plus en sécurité, c'est toute notre société qui va perdre son âme. » Les affaires de Marseille et d'Auxerre signifient-elles qu'un « pacte est rompu » avec les pouvoirs publics ? s'interroge Christophe Deltombe. Emmaüs, qui devait être reçu hier au cabinet d'Éric Besson, ministre de l'immigration, espérait bien recevoir l'assurance que ce n'est pas le cas.
GORCE Bernard