Bernanos altermondialiste. L’éloge de la vie sobre

Publié le par Michel Durand

Dans un monde qui fait de l'avoir sa valeur absolue, que ce soit sous la forme d'une redistribution des richesses ou celle de la course au profit, l'être perd sa primauté.

 

 

claire-daudin-133x150.jpgClaire Daudin a rédigé un article publié dans la Nouvelle revue théologique Nº 133 (2011) qui ne peut qu’intéresser les objecteurs de croissance.

 

 

 

 

Dans ses romans comme dans ses écrits de combat, Bernanos disqualifie nos façons de penser, de panser la pauvreté. Il ne nous incite pas à soulager les pauvres, encore moins à les enrichir, ce qui serait intégrer ces irréductibles à un monde qu'ils contestent par leur seule existence. En appelant à honorer le pauvre, c'est bien un autre monde qu'il promeut. Un monde qui défie la primauté de l'argent ; un monde que l'Église aurait dû préfigurer, mais dont l'écrivain en révolte confie les destinées «aux mains des nations pauvres».


Ce texte situe donc Bernanos au milieu des altermondialistes dans la mesure où il présente cet écrivain en quête de pauvreté volontaire, situant le combat contre l’enrichissement sur un plan métaphysique.

Le mensuel « la décroissance » témoigne régulièrement de celles et ceux qui ont délibérément choisi un mode de vie sobre, la pauvreté n’étant pas la misère. Bernanos les a devancés, comme le montre Claire Daudin :


« La pauvreté comme état évangélique et défi au culte idolâtre rendu par le monde à l'Argent est un des messages prophétiques les plus remarquables de l'œuvre de Bernanos, l'un des plus difficiles et des plus nécessaires à entendre. La position de l'auteur nous déstabilise. «Honorer le pauvre ? Et pourquoi pas les poux de la pauvreté ? », lui rétorquait déjà le contradicteur fictif des Grands Cimetières sous la lune.

Le regard que Bernanos pose sur les pauvres n'est pas un regard de compassion, et il est totalement exempt de cette culpabilité qui nous submerge, sans doute parce que l'écrivain se considère comme faisant partie de leur cohorte. Il ne nous incite pas à les soulager, encore moins à les enrichir, ce qui serait intégrer ces irréductibles à un monde qu'ils contestent par leur seule existence. La position de l'écrivain va bien au-delà de la charité telle que nous l'entendons et, parfois, la pratiquons. Avec une hargne qui nous déconcerte, il disqualifie nos façons d'agir et de penser, de panser la pauvreté. Ce n'est pas qu'il prône la résignation à un état de fait. C'est plutôt qu'il perçoit derrière nos initiatives le désir caché d'en finir avec ce qui demeure le dernier défi au règne universel de l'argent.

Bernanos n'est pas dupe de «l'opulente providence totalitaire, des mesures sociales ni des œuvres de bienfaisance. Dans un monde qui fait de l'avoir sa valeur absolue, que ce soit sous la forme d'une redistribution des richesses ou celle de la course au profit, l'être perd sa primauté. Ceux qui ont peu valent peu. Bernanos est moins sensible à l'indigence des pauvres qu'à leur vulnérabilité. Car rien, si ce n'est dans un ordre où la personne humaine a une valeur absolue, ne garantit leur dignité: «Sans l'esprit, les faibles ne sont que déchets, utilisables seulement pour la part de force dégradée qui reste en eux, si dégradée qu'elle ne saurait paraître que s'ils s'assemblent en grand nombre. Le trésor du misérable est spirituel, et la raison, sans doute, de la béatification par le Christ de la condition du Pauvre, c'est que tout ce que perd l'Esprit est aussi perdu par le Pauvre. Le Pauvre suit le destin de l'Esprit » (Nous autres Français, dans Essais et écrits de combat.

L’Église a trahi le pauvre

L’Église en quête de richesse, de pouvoir, veut « soigner les pauvres » alors qu’elle devrait exalter les vertus de la pauvreté tout en combattant la misère. Elle devrait montrer la force des modes de vie sobre, car ce sont eux, dans leur refus d’idolâtrer le dieu argent, qui développent l’être humain spirituel.

« Avec des accents terribles, écrit Claire Daudin, Bernanos tonne contre une Église qui a trahi le pauvre »: « Ce que je vous reproche, à vous autres, ça n'est pas qu'il y ait encore des pauvres, non. ( ... ) je ne vous pardonne pas, puisque vous en avez la garde, de nous les livrer si sales. Comprenez-vous ? Après vingt siècles de christianisme, tonnerre de Dieu, il ne devrait plus y avoir de honte à être pauvre. Ou bien, vous l'avez trahi, votre Christ! Je ne sors pas de là. Bon Dieu de bon Dieu ! Vous disposez de tout ce qu'il faut pour humilier le riche, le mettre au pas. Le riche a soif d'égards, et plus il est riche, plus il a soif. Quand vous n'auriez eu que le courage de les foutre au dernier rang, près du bénitier ou même sur le parvis - pourquoi pas ? - ça les aurait fait réfléchir. Ils auraient louché vers le banc des pauvres, je les connais. Partout ailleurs les premiers, ici, chez Notre-Seigneur, les derniers, voyez-vous ça ? Oh ! Je sais bien que la chose n'est pas commode. S'il est vrai que le pauvre est à l'image et à la ressemblance de Jésus, Jésus lui-même, c'est embêtant de le faire grimper au banc d'œuvre, de montrer à tout le monde une face dérisoire sur laquelle, depuis deux mille ans, vous n'avez pas encore trouvé le moyen d'essuyer les crachats. Car la question sociale est d'abord une question d'honneur. C'est l'injuste humiliation du pauvre qui fait les misérables. On ne vous demande pas d'engraisser des types qui d'ailleurs ont de père en fils perdu l'habitude d'engraisser, qui resteraient probablement maigres comme des coucous. ( ... ) Reste qu'un pauvre, un vrai pauvre, un honnête pauvre ira de lui-même se coller aux dernières places dans la maison du Seigneur, la sienne, et qu'on n'a jamais vu, qu'on ne verra jamais un suisse, empanaché comme un corbillard, le venir chercher du fond de l'église pour l'amener dans le chœur, avec les égards dus à un Prince - un Prince du sang chrétien » (Journal d'un curé de campagne dans Œuvres romanesques, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1961, p. 1075).


Claire Daudin commente :

« Pour le chrétien Bernanos, l'Église a trahi le Pauvre, et les bonnes œuvres n'y changeront rien. Les bonnes œuvres donneront bonne conscience à ceux qui l'ont mauvaise, mais Bernanos, lui, n'est pas de cette trempe. Il a choisi son Maître : « “Vous ne pouvez pas servir Dieu et le monde, vous ne pouvez servir Dieu et l'Argent ... ” Rassurez-vous, je ne commenterai pas ce texte, puisque vous me le défendez. Je dirai simplement que si vous aviez pris depuis vingt siècles autant de peine à le justifier que vous avez dépensé d'ingéniosité, de finesse et de psychologie, non pas sans doute à le détourner de son sens – Dieu ne l’eût pas permis - mais à mettre en garde vos paroissiens contre une interprétation trop littérale, la chrétienté serait peut-être plus vivante » (Les grands cimetières de la lune).

 

J’ai beaucoup aimé dans son court texte les nombreuses citations de Bernanos. Une authentique invitation à lire ou relire ses romans. Mais, qu’en pense Mme Daudin ? Peut-être pourrait-elle nous le dire ici même ou au cours d’une conférence. Ce serait un apport de plus au colloque organisé avec "Chrétiens et pec de pétrole".


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